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Valérie Dupont: «La crise du coronavirus nous a fait sortir de notre routine journalistique»

Valérie Dupont devant la Garde suisse
Valérie Dupont devant la garde suisse pontificale au Vatican. Valérie Dupont

En Suisse, seuls quelques médias peuvent se prévaloir de leur propre réseau de correspondants à l’étranger. Qui sont ces personnes qui ont fait le choix de vivre ailleurs pour raconter le monde à leurs compatriotes? Quel est leur rapport à la Suisse en tant que journaliste? SWI swissinfo.ch brosse le portrait de cinq d’entre eux. Cinquième et dernière étape: l’Italie.

«La vita è bella». C’est par cette petite phrase que l’on pourrait résumer Valérie Dupont, tant la correspondante de la RTS (radiotélévision suisse francophone) à Rome rayonne et déborde d’énergie. Dans un flot de paroles à faire pâlir le plus loquace des Italiens, la quinquagénaire est revenue pour swissinfo.ch sur son parcours et sur les derniers mois passés en Italie, qui l’ont profondément marquée.

L’internationale

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Valérie Dupont a toujours été attirée par l’étranger. À 17 ans déjà, elle part vivre un an aux États-Unis et y suit des cours au «College» (soit l’université). De retour en Belgique – car Valérie Dupont est franco-belge – elle se lance dans des études de journalisme et commence à travailler immédiatement après pour une entreprise de production s’occupant des journalistes accrédités par l’Union européenne.

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Elle entre ensuite à la RTBF (Radiotélévision belge francophone) et y fait ses armes jusqu’à devenir cheffe d’édition pour le journal télévisé du soir. En 2005, une rencontre fait tout basculer. Hubert Gay-Couttet, alors chef de la rubrique «politique étrangère» à la TSR (ancien nom de la RTS), cherche un(e) journaliste freelance pour couvrir l’Italie. Déjà tombée sous le charme du pays et de l’un de ses habitants – qui deviendra son mari, Valérie Dupont se dit que la vie lui «offre une opportunité». À cette époque, elle se rend compte qu’elle n’a pas réellement «l’ambition d’être cheffe» et veut «faire du reportage». Avec Hubert Gay-Couttet, elle convainc la RTBF de créer un poste conjoint de correspondante à Rome pour la Suisse et la Belgique.

portrait de valérie dupont
Valérie Dupont, 51 ans, est depuis 2005 la correspondante télé de la RTS et de la RTBF en Italie. Filippo Traversa

«Il existe de nombreuses similitudes entre la Belgique et la Suisse, affirme Valérie Dupont. Le multilinguisme, les équilibres régionaux et politiques qu’il faut connaître». Ces ressemblances lui permettent de mieux comprendre la Suisse. Elle se rend aussi très régulièrement à Genève, siège de la télévision suisse, car elle «aime la collaboration avec la rédaction», stimulante. Cela lui donne également l’occasion de rendre visite à sa fille qui y vit désormais.

Elle travaille depuis quinze ans pour la Suisse et se sent ici «à la maison». Si elle possède plusieurs passeports, Valérie Dupont se sent européenne. «Je n’aime pas ce monde dans lequel on nous identifie à notre lieu de naissance. Il a certes une influence sur notre culture, mais au final une carte d’identité sert seulement à passer les frontières». Au-delà des nationalités, Valérie Dupont se définit avant tout comme «une femme qui a eu la chance d’exercer la profession qu’elle souhaitait de manière enrichissante».

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Un pays de contrastes

Elle trouve d’ailleurs «insupportable» le fait que les femmes n’aient pas une place plus importante dans le monde du travail italien, «mais les structures actuelles sont un obstacle». Elle regrette par exemple que la commission d’urgence mise en place durant la crise du coronavirus n’ait été composée que d’hommes. Parallèlement, «ce sont des femmes chercheuses qui ont été appelées lors de l’épidémie». «Il est vrai que la société italienne est trop axée sur les hommes, mais je n’ai jamais eu l’impression d’être moins considérée parce que je suis une femme». Aux yeux de la journaliste, le pays est parfois plus lent que les autres dans l’acceptation des changements sociétaux; il y a «toutefois toujours une femme forte pour remettre l’église au milieu de village».

Lorsqu’elle parle de l’Italie, Valérie Dupont a les yeux qui pétillent. «J’adore la liberté de proposer des reportages qui montrent ce pays encore très naturel au sud et très industriel au nord. Ce sont les contrastes qui font de l’Italie un endroit merveilleux». Elle aime aussi l’idée d’être devenue, pour les téléspectateurs suisses, le visage qui représente l’Italie, «avec tout ce qu’elle a de positif et de négatif».

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En effet, pas toujours évident d’exercer son métier dans un pays où «la presse est discréditée par la politique». Quand elle tourne des reportages à Rome, il n’est pas rare qu’elle se fasse arrêter par les Carabinieri et doive se justifier. Un jour, alors qu’elle filmait devant le Palais Farnèse (un lieu touristique dans lequel se trouve l’Ambassade de France), la police est venue la contrôler, «alors qu’elle n’a jamais demandé aucune explication aux milliers de touristes qui le photographient chaque jour!». Elle dit avoir parfois l’impression que la presse est un peu mise sous contrôle.

À l’occasion de divers reportages sur Matteo Salvini (Secrétaire fédéral du parti d’extrême droite La Lega et sénateur, ancien premier ministre), Valérie Dupont a reçu de nombreuses critiques de la part de citoyens suisses. Cela ne l’a pas empêchée de poursuivre sur cette voix, car «c’est le travail du journaliste de présenter toutes les facettes d’une réalité». Elle sourit en relevant l’ironie de la situation: «Au nord, fief historique de La Lega, la Suisse est la référence suprême, car tout fonctionne et les règles y sont respectées. Alors que la Lega du Tessin est plutôt anti-italienne…».

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Et arrive le coronavirus

Pour la journaliste, ce cliché d’une nation chaotique où tout serait fait de combines est par ailleurs surfait. Lors du confinement très strict imposé par le gouvernement, «les gens ont été hyper respectueux des règles». Elle reconnaît que le pays n’était pas préparé, mais «il a malgré tout su affronter la crise et a joué le jeu».

Entre les mois de février et mai, Valérie Dupont a passé chaque jour sur le terrain. «Au début, quand nous étions dans la zone rouge, nous ne nous rendions pas compte que la situation était potentiellement dangereuse pour notre santé». Peu avant le confinement, elle achète sur un coup de tête deux masques de protection FFP2. «Je les ai portés durant des semaines».

Au risque sanitaire s’ajoute l’impact personnel. «Côtoyer des gens désespérés à qui l’on interdit de voir leurs proches mourant est insoutenable. Les images de Bergame resteront à jamais gravées dans ma mémoire». Ces souvenirs ont laissé des traces, mais Valérie Dupont relativise: «Nous sommes une génération qui aura vécu une pandémie, mais ce n’est pas non plus la guerre».

Valérie Dupont sert la main du Pape François
L’un des moments marquants dans la carrière de Valérie Dupont a été sa rencontre avec le Pape François. Valérie Dupont

Toutefois, elle se dit choquée par le manque de solidarité en Europe. Elle a vu débarquer des Russes, puis des Cubains, mais n’a pu que constater que tous les voisins «se refermaient comme des huîtres». Globalement, elle considère que «cette crise a fait émerger le pire et le meilleur de la politique européenne». Elle l’a confortée dans son idée que le service public est fondamental, car «il a été la référence d’information dans tous les pays touchés».

«La pandémie de coronavirus nous a, nous autres journalistes, poussés dans nos retranchements et fait sortir de notre routine journalistique». Valérie Dupont pense que, paradoxalement, la crise a été bénéfique à la profession parce qu’elle l’a replacée devant les vraies questions qu’un journaliste doit se poser.

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