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Universités sur la sellette

Genève: la place de l'Université devant Uni Bastions. Université de Genève, Jacques Erard

Malversations, abus, polémiques: des «affaires» de gravité variable se sont succédées dans les hautes écoles de Zurich, Genève, Lausanne ou Neuchâtel.

Les conséquences de ces turbulences seront mesurées le 21 mai, car les Suisses doivent justement se prononcer sur un article constitutionnel concernant les hautes écoles.

«Je suis désolé par ces affaires qui ne sont pas bonnes pour l’image des universités», déclare Charles Kleiber à swissinfo. Mais le secrétaire d’Etat à l’éducation et à la recherche est persuadé que si cela fait tant de remous, «c’est que les universités sont aujourd’hui au centre de la société».

Sans minimiser les choses, Jean-Marc Rapp, président de la Conférence des recteurs des universités suisses, estime que c’est un hasard si différentes affaires ont éclaté coup sur coup dans la presse. «Mais elles sont très malheureuses, car elles peuvent jeter le soupçon sur l’honnêteté de membres de la communauté universitaire», déclare-t-il.

Série noire

Rappel des faits… Fin avril, le chef du service de neurologie du CHUV et professeur à l’Université de Lausanne a été inculpé pour le détournement de 1,1 à 2,1 millions de francs avec des fausses factures.

A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, une enquête a été ouverte contre un professeur qui aurait détourné au moins 160’000 francs. L’enquête est en cours dans les deux cas.

A Genève, un audit sur des abus de notes de frais a fait sensation il y a un mois. Puis le débat s’est envenimé avec la publication par l’Université d’un 2e rapport, cette fois sur des rachats de prestations de prévoyance et des gains accessoires douteux. Enfin l’Université aurait utilisé pour ses propres besoins une subvention de l’Etat de Genève destinée… à la recherche sur le sida.

L’année dernière à Zurich, la responsable de la fondation de recherche de fonds de l’Ecole polytechnique fédérale avait encaissé près d’un million de francs pour des mandats de conseil. Rien d’illégal, a conclu l’enquête, mais les responsabilités ont été redéfinies.

Neuchâtel a subi des soubresauts lors du rapatriement de comptes privés (718’000 francs), utilisés pour financer des activités universitaires.

Relativisation… et empoignade

Charles Kleiber ne dramatise pas les choses. «Là où il y a de l’argent, il y a des voleurs, mais là où il y a des voleurs, il y a des sanctions. Elles seront prises en connaissance de cause et permettront de rebondir», affirme-t-il.

Concernant l’affaire genevoise, le Parquet a ouvert une enquête pénale. De son côté, l’ancien ministre neuchâtelois Thierry Béguin a commencé sa propre enquête lundi, à la demande des autorités genevoises. Le verdict du magistrat, qui a aussi été procureur général à Neuchâtel, est attendu pour fin juin.

D’autre part, Laurent Paoliello, porte-parole d’Expo.02, a été mandaté par l’institution pour l’aider à gérer la crise.

Pendant ce temps, la classe politique genevoise s’empoigne sur la modernisation du contrôle et de la gestion de l’Université.

Déficit de contrôle ou de responsabilité?

«Il y a eu un déficit de contrôle et ces affaires permettent de les renforcer», tranche Charles Kleiber. Jean-Marc Rapp, qui est aussi recteur de l’Université de Lausanne, le reconnaît. Mais rappelle que «ce sont les mécanismes de contrôle des universités qui ont permis de dévoiler ces affaires».

Les universités, comme bien d’autres domaines, sont un fidèle reflet du fédéralisme. Assujetties à leurs autorités cantonales, chacune a son système.

Les contrôles sont-ils insuffisants? «Comme dans toutes les organisations un peu compliquées, il s’agit de trouver un équilibre entre la confiance et le contrôle», répond Jean-Marc Rapp.

Pour Charles Kleiber, «ce qui arrive, c’est surtout un déficit de responsabilité des directions. Cette responsabilité, assortie d’une exigence de résultats, est une condition de l’autonomie des établissements».

Une institution n’est bonne que s’il y a un seul vrai responsable qui, «si quelque chose ne marche pas, ne dort pas», précise-t-il. En d’autres termes, il faut mettre fin à la «dilution des responsabilités».

Des choix importants

Pour certains, cette succession de problèmes tombe mal, car elle pourrait infléchir la réponse de la Confédération, à laquelle le Fonds national de la recherche scientifique (FNS) demande 48% d’augmentation pour le budget 2008-2011 (10% par an).

Pour d’autres, cela tombe très bien, puisque la Confédération est justement en train de redéfinir le paysage suisse des hautes écoles… Ainsi, le peuple suisse doit-il se prononcer le 21 mai sur de nouveaux articles constitutionnels sur l’éducation, dont l’un servira de base à une loi-cadre sur les hautes écoles.

Sans toucher aux responsabilités politiques, il s’agit de créer un espace dans lequel «Confédération et cantons partageraient quatre compétences sur les plans d’étude, l’accréditation, les principes communs de financement et la planification dite stratégique», explique Charles Kleiber.

Le monde académique reconnaît qu’il faut des réformes, mais reste très jaloux de son indépendance. Se laissera-t-il faire? Pour le secrétaire d’Etat, ce ne sont pas les principes qui posent problème, mais la mise en œuvre.

«Quand on entre dans le détail, on touche à la responsabilité et il y a des luttes de pouvoir. Là, la sainte alliance disparaît, bien sûr, car on entre dans la guerre des ressources», dit encore Charles Kleiber.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Les 10 université et les 2 écoles polytechniques fédérales ont coûté au total 5,425 milliards de francs en 2004.
La formation de base à coûté 1,46 milliard et la recherche 2,87.
Les dépenses de recherche atteignent 61% de la facture contre 38% aux sciences humaines et sociales.
Au semestre d’hiver 2005-2006, les hautes écoles suisses abritaient un record de plus de 166’000 étudiants.

– Les 2 écoles polytechniques fédérales (EPFZ et EPFL) dépendent de la Confédération.

– Les 10 universités sont contrôlées et financées par leur canton siège. Elles touchent une contribution des autres cantons au pro rata des étudiants, ainsi qu’une subvention de la Confédération. Certains projets sont financés par le Fonds national de la recherche et l’UE. Elles reçoivent encore des fonds de fondations ou d’entreprises privées. Et la taxe des étudiants couvre 3-4% des budgets.

– Les 7 hautes écoles spécialisées (HES) sont financées pour un tiers par la Confédération et le reste par les cantons.

– La Conférence universitaire suisse (CUS) est l’organe commun de la Confédération et des cantons pour la politique des hautes écoles universitaires.

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