A Davos, les nuits blanches suivent les journées noires
La réunion annuelle du World Economic Forum (WEF) est un panaché ouaté de sessions planifiées et d'à-côtés permettant aux participants d'enrichir leur portefeuille de clients ou de partenaires, leur compréhension de la situation, leur emprise sur la réalité.
«Puisque je ne peux pas parler, je ne reviendrai plus!» Après la défense enflammée de l’intervention israélienne à Gaza par le président de l’Etat hébreu, le Premier ministre turc réplique. Coupé par l’animateur, il quitte la scène en colère, devant des centaines de participants plus coutumiers du ton affable et décontracté de Davos.
Il est un peu plus de 19h et un débat émotionnel s’achève dans le grand hall du Centre de Congrès, le centre névralgique fortifié de la réunion annuelle du WEF. Plus tard dans la soirée, on tentera de recoller les pots cassés.
Klaus Schwab, patron du Forum, se dit désolé et réaffirme l’«esprit de Davos» fait de compréhension mutuelle entre nations, d’écoute et de discussion. Fin du scandale, à l’échelle de Davos, et retour aux «basics».
Jour J+3 de cette édition 2009, tôt le lendemain matin. Ils sont des dizaines à se presser dans la salle Sanada 1+2. Avec la crise, la cravate a fait son retour. Mais personne ne va jusqu’à ronger ses ongles et l’humour a survécu. Des débatteurs de haut vol vont évoquer les scénarios d’avenir pour le système financier.
«L’économie mondiale ne reviendra pas à une croissance soutenable sans qu’auparavant, les problèmes dans le secteur financier ne soient réglés», avertit Tony Tan Keng-Yam, responsable du fond souverain de Singapour.
L’urgence l’a voulu
Le patron de la Barclays Marcus Agius, dont la banque se retrouve à 70% en mains du gouvernement britannique, explique qu’elle reviendra dans le secteur privé. «Une banque est mieux gérée par les managers que par l’Etat. Cette entrée de l’Etat ne s’explique pas pour des raisons de stratégie politique, mais par l’urgence.»
Président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet salue la réaction «très prompte des gouvernements». Il constate que «beaucoup de travail a été fait», mais mesure le reste du chemin et fixe des exigences. Il faut la transparence, il faut corriger les biais au sein du système, il faut combattre l’obsession du court-terme.
Souvent interpellé, comme si, déstabilisée, la communauté des affaires cherchait quelques certitudes auprès des autorités, Jean-Claude Trichet estime que «le système financier est beaucoup plus fragile que nous le pensions, nous devons instituer des airbags».
Le maître de la BCE espère que la prochaine réunion du G20 en avril (qui fait beaucoup parler à Davos) débouchera sur des pistes concrètes, qui puissent ensuite être reprises au niveau des organisations internationales comme le FMI et la Banque mondiale.
Un traité international
Eternel sourire en coin, Walter Kielholz, qui dirige le conseil d’administration de Credit Suisse, répercute pour sa part l’idée d’un traité international concernant la finance qui porterait sur la régulation, la supervision et les renflouages.
Voisin sur sa droite, le ponte du Private Equity (capital-investisseur) Henry Kravis reconnaît quant à lui que «nous avons été trop focalisés sur le court-terme et sur le seul profit».
Cette façon de battre sa coulpe, souvent observée à Davos cette année, fait dire à un vieux routinier de la réunion que l’«on parle beaucoup des causes et de la situation actuelle, mais sans beaucoup de pistes de solutions. Je suis un peu déçu.»
Pendant ce temps, et plus tard dans la journée, vont se tenir plus d’une soixantaine de sessions et débats selon le programme officiel. Au sein du vaste Centre de Congrès en béton armé, mais aussi dans plusieurs hôtels de la station baignée de soleil.
De la crise à Shakespeare
Sujets de ces sessions? Les relations entre Chine, Japon et Inde, l’éducation de la prochaine génération d’entrepreneurs, la mobilité dans le monde en développement, la coopération globale, la sécurité alimentaire, l’avenir digital, la crise, la foi dans les religions, la génétique personnelle en médecine, les leçons de leadership tirées de Shakespeare…
Tout est ouvert aux 2500 participants, à condition que leur badge personnel les rendent désirables. Les médias, eux, sont souvent privés de dessert. Voire du menu.
Décideurs économiques, politiques et de la société civile profitent de ces réunions, mais surtout des «temps morts», dîners à huis-clos et autres réunions en salons particuliers, pour enrichir leur carnet d’adresses, leur compréhension de la situation, leur portefeuille de clients ou de partenaires, leur emprise sur la réalité.
Dans ce jeu diplomatique plus ou moins souterrain qui profitent des avantages de l’hôtellerie locale, le gouvernement suisse n’est pas le dernier à tirer son épingle du jeu.
A partir de l’hôtel de la Poste
Basés comme plusieurs pontes de l’économie suisse au Morosani Posthotel, à quelques centaines de mètres du Centre de Congrès, les ministres multiplient les discussions de travail, jonglent avec leur agenda et les sollicitations surprises.
Hans-Rudolph Merz, Président de la Confédération, rencontre par exemple les présidents turc, mexicain, arménien ou de l’Azerbaïdjan. A l’hôtel de la poste, il remonte l’escalier seul, sourire aux lèvres.
Doris Leuthard, ministre de l’économie, réunit de manière informelle les présidents de plusieurs banques multilatérales de développement (BMD) et sa collègue des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey rencontre le fils du leader libyen Kadhafi pour tenter de calmer le jeu entre les deux pays.
Ceci ne donne qu’un faible idée de l’activité déployée cette fin de semaine, qui fait constamment rappeler aux autorités suisses la formidable opportunité de pouvoir accueillir les décideurs de la planète regroupés à 250 km ou trois heures de route de Berne.
«Nous ne pouvons ignorer nos responsabilités, a dit Klaus Schwab aux décideurs réunis en début de forum. Nous devons travailler ensemble à reconstruire les économies dévastées et les institutions en ruine.» Une invitation à ajouter quelques nuits blanches aux journées noires, sans doute.
swissinfo, Pierre-François Besson à Davos
Sécurité. 4500 soldats de l’armée suisse sont engagés pour assurer, en dehors des forces de police, la sécurité du Forum. La plupart d’entre eux ne sont pas stationnés dans la station même mais surveillent des infrastructures ou assurent des tâches logistiques.
Surveillance. Les soldats surveillent par exemple 24 heures sur 24 le barrage de Küblis qui alimente Davos en électricité. Le site est entouré de barbelés.
Ciel. L’espace aérien au-dessus de Davos est fermé jusqu’au 2 février. La base aérienne de Sion, en Valais assure la surveillance aérienne. Une quarantaine de pilotes et une quinzaine d’avions de combat sont sur pied de guerre.
Interdiction. Deux F/A-18 survolent en permanence le site et font respecter l’interdiction de vol au-dessus de Davos, dans un rayon de 36 kilomètres. Six F-5 « Tiger » ont la même mission en dehors de ce périmètre.
Engagement. Les avions sont équipés de munitions de combat. Un éventuel recours aux armes en cas d’infraction demeure du ressort du chef du département de la défense Ueli Maurer.
Débuts. Le World Economic Forum a été fondé par Klaus Schwab sous le nom de Management Symposium à Davos en 1971.
NYC. Depuis, le WEF tient sa réunion annuelle dans la station grisonne, hormis l’édition 2002, déplacée à New York après les attentats du World Trade Center quatre mois plus tôt.
Slogan. Cette édition 2009 réunit plus de 2500 participants de 96 pays. Elle est placée sous de signe de «Redessiner le monde de l’après-crise».
Figures. Parmi les personnalités présentes ou qui ont participé à cette édition: Vladimir Poutine, Angela Merkel, les premiers ministres chinois Wen Jiabao, japonais Taro Aso et britannique Gordon Brown, les ministres français Bernard Kouchner et Christine Lagarde, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le patron de la commission européenne José-Manuel Barroso, etc, etc.
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