Le sort des réfugiés soudanais en Libye inquiète les Nations unies

Plus de 200’000 Soudanais et Soudanaises ont trouvé refuge en Libye pour fuir la guerre qui sévit dans leur pays. Selon l’ONU, ils et elles y sont exposés à de nombreuses violations des droits humains et risquent de se diriger vers l’Europe si aucune aide ne leur est fournie.
Les Nations unies tirent la sonnette d’alarme sur le bilan humain de la guerre en cours au Soudan. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dix millions de personnes ont été déplacées depuis le début du conflit.
Dix millions de personnes ont été déplacées depuis avril 2023, début de la guerre qui oppose l’armée soudanaise et le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (RSF). Environ deux millions d’entre elles ont fui vers les pays voisins. Leur situation n’est nulle part plus critique qu’en Libye où beaucoup espèrent se rendre en Europe ou en Tunisie.

En janvier 2025, le HCR estimait à 210’000 le nombre de réfugiés et réfugiées soudanais en Libye. Ils et elles arrivent souvent sans documents d’identité, ce qui les plonge dans l’illégalité au regard de la loi libyenne.
«Les réfugiés soudanais sont donc généralement arrêtés immédiatement et emmenés dans des centres de détention ou des postes de police, où nous devons intervenir en tant qu’avocats», explique à swissinfo.ch Omar, un avocat basé dans une ville du sud de la Libye. Selon le HCR, 400 à 500 personnes originaires du Soudan ont cherché refuge quotidiennement dans le district d’Alkufra, dans le sud-est du pays, rien qu’en 2024.
Omar est membre du réseau anti-torture libyen LAN. Il nous parle sous couvert d’anonymat, car les avocats et les organisations non gouvernementales sont criminalisés en Libye s’ils aident les réfugiés et réfugiées.
Selon une enquête publiée en novembre 2024Lien externe par son organisation, LAN à Genève, en collaboration avec l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), les réfugiés et réfugiées soudanais en Libye sont exposés à d’effroyables violations des droits humains. Malgré leur droit à la protection en vertu du droit international, en Libye «ils subissent des arrestations et des détentions arbitraires, des extorsions, la traite des êtres humains, la torture, la violence sexiste et la discrimination raciale», précise le rapport.
La Libye est aux prises avec son propre conflit interne. Un soulèvement populaire soutenu par l’OTAN a chassé le dirigeant de longue date Mouammar Kadhafi en 2011. Depuis, elle est devenue un dangereux pays de transit pour les migrants et migrantes. Le pays a deux gouvernements qui opèrent dans différentes zones, ce qui, avec les nombreux groupes armés qui contrôlent les fiefs locaux, a conduit à un environnement dans lequel les droits humains sont régulièrement violés.
La Libye n’a pas ratifié la convention des Nations unies sur les réfugiés de 1951, mais a signé un accord similaire de l’Union africaine. Cela ne l’empêche pas de détenir des réfugiés et réfugiées ainsi que des demandeurs et demandeuses d’asile.

Détentions
Avec des confrères du sud de la Libye, Omar soutient chaque année plusieurs centaines de réfugiés et réfugiées soudanais détenus dans des postes de police. Son organisation travaille avec des avocats et avocates dans tout le pays.
«Parfois, nous pouvons payer l’amende exigée par la loi libyenne pour obtenir leur libération, explique-t-il. Nous obtenons la libération de nombreuses personnes si les postes de police acceptent de les poursuivre et qu’une procédure judiciaire est engagée. Si un réfugié est arbitrairement détenu sans procès et transféré dans un autre lieu, il devient difficile pour les avocats de le retrouver. Certaines personnes restent en détention pendant des années sans justification, même si on sait où elles se trouvent et malgré les plaintes déposées auprès du bureau du procureur général.»
Les Soudanais et Soudanaises dans le sud de la Libye, où ils arrivent depuis leur pays, sont confrontés à des problèmes supplémentaires tels que le sans-abrisme, le vol et le viol. En outre, les enfants et les jeunes sont souvent soumis au travail forcé dans les fermes. Omar regrette que le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) soient trop peu présents dans la région. Les enfants sont particulièrement menacés, plusieurs d’entre eux sont morts de faim en septembre et octobre 2024.
Les réfugiés et réfugiées soudanais dans cette zone et à l’est du pays, des territoires contrôlés par le groupe armé des Forces armées arabes libyennes (LAAF), risquent également de finir dans les mains de la milice paramilitaire soudanaise RSF et renvoyés au Soudan.
Plusieurs dizaines de personnes ont été remises à la RSF, explique à swissinfo.ch à Genève Abdelaziz Muhamat, membre du Comité de la diaspora soudanaise.
En route vers l’Europe
Au nord du pays, où beaucoup planifient de fuir, les soins sont meilleurs. Dans la capitale Tripoli, ils et elles peuvent s’enregistrer comme réfugiés auprès du HCR.
Ces personnes espèrent une certaine protection ou la perspective d’être réinstallés dans un pays tiers, même si la Libye n’est pas membre de la convention des Nations unies sur les réfugiés. En réalité, cela concerne très peu de gens. L’Allemagne est le pays qui a accueilli la plupart des réfugiés et réfugiées de Libye, mais cela représente seulement 450 personnes.
Pour beaucoup, le voyage est loin d’être terminé. Selon le HCR, environ 6000 réfugiés et réfugiées soudanais sont arrivés en Italie via la Tunisie et la Libye entre le début de l’année 2023 et avril 2024, soit près de six fois plus que l’année précédente.
Nombreux sont celles et ceux qui sont interceptés par les garde-côtes locaux et renvoyés de force en Libye
Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a multiplié les avertissements. Selon lui, les réfugiés et réfugiées soudanais pourraient continuer de se rendre en Europe s’ils et elles ne reçoivent pas un soutien suffisant de la part des pays riches.
«Les pays riches s’inquiètent constamment de ce qu’ils appellent la ‘migration irrégulière’. Mais ils ne font pas assez pour aider les gens avant qu’ils ne se tournent vers les trafiquants d’êtres humains», déclarait Filippo Grandi au Conseil de sécurité des Nations unies à la fin du mois de mai 2024.
La majorité des réfugiés et réfugiées soudanais interrogés par l’OMCT et LAN ont également exprimé leur désir de s’installer dans un pays sûr.
L’UE a soutenu les garde-côtes libyens à hauteur d’au moins 59 millions d’euros depuis 2017, avec des navires militaires, de l’argent et des formations pour empêcher les migrants et migrantes d’entrer en Europe.
Souvent, les personnes interceptées par les garde-côtes et ramenées en Libye se noient ou sont blessées, puis emmenées dans divers lieux de détention où elles sont maltraitées, a expliqué à swissinfo.ch à Genève Mohamed, qui travaille pour LAN dans le nord-ouest de la Libye.
Ces faits ont été corroborés par des témoignages recueillis par l’ONG ainsi que par une mission d’enquête indépendante (FFM) du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il existerait également des preuves de la collaboration des garde-côtes du nord du pays avec les trafiquants d’êtres humains.

Le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) appellent depuis longtemps à cesser de renvoyer en Libye les migrants et migrantes capturés par les garde-côtes libyens, car ils et elles risquent d’être détenus arbitrairement et maltraités. La Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (FFM) a condamné, dans son rapport de mars 2023, les crimes contre l’humanité commis à l’encontre de cette population dans les lieux de détention contrôlés par les autorités libyennes, y compris les garde-côtes.
LAN recueille des informations sur ces violations des droits humains et les transmet à des organisations internationales telles que la Mission d’appui des Nations unies en Libye et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). C’est le seul moyen dont dispose l’ONG pour exercer une pression sur le gouvernement, explique Mohamed. «Nous avons réussi à faire fermer trois centres de détention.»
Mohamed dénonce le fait que les réfugiés et réfugiées ne sont même pas respectés après leur mort. Il nous montre des photos sur son téléphone de corps de noyés, certains déjà décomposés, échoués sur les côtes libyennes. Ces gens sont enterrés dans des cimetières spéciaux, mais généralement sans être identifiés, ajoute-t-il.
Aucune sortie possible
Celles et ceux qui cherchent à passer en Europe depuis la Tunisie sont arrêtés et renvoyés en Libye où ils et elles sont détenus dans un centre de détention à Al-Assa, près de la frontière.
Selon Mohamed, 700 personnes vivent en permanence sur ce site. Comme l’explique l’OMCT, lorsque le camp est surpeuplé, les gens sont emmenés dans d’autres lieux de détention et leurs données personnelles ne sont pas enregistrées. «Beaucoup se perdent ici, disparaissent, meurent ou sont torturés dans d’autres centres», précise Mohamed.
Fosses communes
Début février, deux fosses communes ont été découvertes dans le désert de l’est du pays. 19 corps ont été trouvés à Jakharrah (400 km au sud de Benghazi) et on suspecte jusqu’à 70 corps sur un second site dans le désert d’Alkufra au sud-est. Les circonstances de leur mort et leur nationalité restent inconnues. Les deux fosses ont été découvertes à la suite d’un raid policier au cours duquel des centaines de migrants et migrantes ont été sauvés de trafiquants d’êtres humains. En mars 2024, 65 corps ont été mis au jour dans une fosse commune, située dans le désert du sud-ouest de la Libye, près de la frontière tunisienne.
«Le HCR continue de plaider pour que les réfugiés et les migrants aient de nouvelles opportunités pour reconstruire leur vie, pour qu’ils bénéficient d’une assistance humanitaire et d’un accès aux services de base en Libye et le long des routes migratoires où les réseaux criminels exploitent les personnes vulnérables pour des rançons et des abus», a déclaré l’agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Lucie Donzé/op

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