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Le monde commémore les victimes d’Auschwitz

Des bougies allumées dans le camps d'Auschwitz pour se souvenir des victimes. Keystone

D’anciens déportés et dizaines de chefs d’Etat – dont Samuel Schmid – ont commémoré jeudi le 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.

Ces cérémonies à la mémoire du million de juifs exterminées par les nazis se déroulent sur fond de polémique entre la Suisse et le président du Congrès juif mondial.

Un sifflement et le bruit d’un train freinant brusquement, rappel de l’arrivée de centaines de milliers de prisonniers à Auschwitz, ont ouvert les cérémonies réunissant chefs d’Etat et de gouvernement de 44 pays, survivants et libérateurs dans l’enceinte du camp.

Un millier de survivants étaient blottis sous la neige. Ils côtoyaient notamment d’anciens soldats soviétiques qui ont libéré le camp le 27 janvier 1945 et des centaines de jeunes chargés de préserver la mémoire du drame.

Plus jamais ça

Plantées dans la neige brûlaient des milliers de bougies en hommage aux victimes d’Auschwitz – entre un et 1,5 million – pour la plupart juives. Le prisonnier politique n°4427, l’ex-ministre polonais des Affaires étrangères Wladyslaw Bartoszewski, s’est exprimé le premier au nom des victimes non juives.

«Les gouvernements du Royaume-Uni et des Etats-Unis ont été bien informés de ce qui se passait à Auschwitz-Birkenau, a-t-il lancé face à un parterre de dizaines de hauts dirigeants de la planète. Aucun des pays du monde n’a réagi de manière appropriée à la gravité du problème», a-t-il regretté.

Le président israélien Moshe Katzav a lui aussi accusé les Alliés d’être restés «muets». Il a par ailleurs appelé l’Europe à faire face à la résurgence de l’antisémitisme.

L’ancienne présidente du Parlement européen, la Française Simone Veil, aussi déportée à Auschwitz, a de même appelé à lutter contre le racisme et l’antisémitisme.

La Suisse était représentée par le président de la Confédération Samuel Schmid. «C’était très impressionnant et touchant, a-t-il déclaré sur les ondes de la Radio Suisse Romande (RSR). Nous avons à nouveau dans nos mémoires des années très sombres. On ne peut qu’espérer que cela ne se répète plus.»

Commémoration sur fond de polémique

Ces derniers jours, l’anniversaire de la libération du camps a été commémorée notamment par l’ONU et par le Parlement européen, ainsi que par les autorités et les institutions de divers autres pays européens.

En Suisse, les participants au Forum économique mondial de Davos ont également honoré le souvenir des victimes lors d’une cérémonie à laquelle ont participé des personnalités religieuses chrétiennes, juives et musulmanes.

Mais en Suisse cette commémoration intervient sur fond de polémique. Mardi à Berlin, le président du Congrès juif mondial (CJM), Israel Singer, a qualifié de «crime» la neutralité suisse durant la Seconde Guerre mondiale, la plaçant sur le même plan que la «complicité» de l’Autriche ou la «collaboration» de la France.

Israel Singer n’en est pas à ses premières critiques envers la Suisse. Durant la crise des fonds en déshérence des années 1990, il a attaqué aussi bien les banques suisses que la neutralité au temps du nazisme.

L’historien Jean-François Bergier a affirmé mercredi n’avoir aucune compréhension pour les accusations d’Israel Singer. Sur les ondes de la radio alémanique SR DRS, l’ancien président de la Commission indépendante d’experts Suisse-2e Guerre mondiale a qualifié ces propos d’«écart de langage».

Le président du CJM sait pourtant que la neutralité constituait pour la Suisse «la seule chance» dans la situation difficile qui était la sienne, a ajouté l’historien. Pour lui, ce sont plutôt les violations de la neutralité commises par la Suisse qu’il faudrait critiquer.

Juifs suisses pas d’accord

Les juifs suisses ne partagent pas non plus les appréciations d’Israel Singer. «On ne peut pas comparer neutralité et collaboration active», a déclaré Thomas Lyssy, porte-parole de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI).

Président de la FSCI, Alfred Donath juge «inacceptable» les propos d’Israel Singer. «Même si son rôle n’a pas été toujours tel qu’on aurait pu l’attendre d’un point de vue éthique, la Suisse l’assume et s’en est excusée», a-t-il déclaré.

Dans une interview publiée jeudi par Le Temps, Alfred Donath affirme son intention de protester auprès du Congrès juif européen, dont il est membre de la présidence et de demander la démission d’un Israel Singer qui s’est à ses yeux «disqualifié». Alfred Donath souhaite également qu’il s’excuse auprès des autorités suisses ou du président de la Confédération.

Par ailleurs, pour le président de la FSCI, cette déclaration intervient à un moment «extrêmement malheureux», alors que l’on commémore les 60 ans de la libération d’Auschwitz. «C’est lancer une polémique qui n’a absolument pas sa place aujourd’hui», a-t-il déclaré mercredi sur les ondes de la RSR.

L’incompréhension des autorités

Ce souci de ne pas polémiquer au moment où le monde rend hommage aux victimes est également celui du gouvernement suisse. Dans un premier temps, les autorités helvétiques ont opposé un «no comment» à la déclaration d’Israel Singer.

Deux ministres se sont toutefois exprimés. Mercredi, sur les ondes de la RSR, Micheline Calmy-Rey a fait part de son «incompréhension». Le ministre des Affaires étrangères a rappelé que la Suisse n’avait pas participé au génocide et qu’elle avait fait la lumière sur les ombres de son passé au travers du rapport Bergier.

«Israel Singer est le président d’une organisation juive importante et nous aurons l’occasion de lui dire que son interprétation de la neutralité suisse ne correspond pas à la réalité des choses», a annoncé Micheline Calmy-Rey.

A Auschwitz, Samuel Schmid a tenu des propos similaires: «les reproches entendus ces derniers jours sont totalement injustifiés. Ce n’est pas acceptable.»

Quant à d’éventuelles excuses de la part d’Israel Singer, le président de la Confédération reste vague. «Je n’ai pas encore eu contact avec les représentants de la communauté juive, a-t-il dit. M. Singer n’est pas un homme d’Etat. S’il est honnête, on devrait s’attendre à ce qu’il s’excuse. Mais c’est son affaire…»

swissinfo et les agences

La cérémonie de jeudi à Auschwitz rend hommage aux plus d’un million de personnes mortes dans le camp nazi
A l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp par les forces soviétiques, nombre de chefs d’Etat ont souhaité qu’une telle tragédie n’ait plus jamais lieu
La Suisse était représentée par le président de la Confédération, Samuel Schmid

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