Des perspectives suisses en 10 langues

«Les musulmans se méfient de l’Occident»

Pour Tariq Ramadan, la fracture entre l'Islam et l'Occident reste profonde. Keystone

Cinq ans après les attentats du 11 septembre, le professeur suisse d'études islamiques, Tariq Ramadan, estime que la confiance entre musulmans et Occidentaux est au plus bas.

Il explique à swissinfo que la solidarité suscitée par le terrorisme chez nombre de musulmans est mise à mal par les guerres d’Irak et du Liban et par l’image négative de l’Islam en Occident.

Tariq Ramadan travaille actuellement comme chercheur au St Anthony’s College de l’Université d’Oxford, ainsi que pour la Fondation Lokahi à Londres. Il est l’auteur de plus de 20 ouvrages sur l’Islam.

Après les attentats de Londres, il a été invité par le gouvernement britannique à participer à la ‘task force’ créée pour combattre la radicalisation et l’extrémisme musulman.

swissinfo: Quel est le sentiment des musulmans à propos du 11 septembre?

Tariq Ramadan: Je pense que la grande majorité des musulmans de la planète ont condamné ce qui est arrivé. Le sentiment général est que ces actes n’ont rien à voir avec l’Islam et sont contraires à ses valeurs. Mais ce qui s’est passé ensuite a provoqué une méfiance profonde et générale.

En outre, il y a la réalité de la politique sécuritaire des pays occidentaux et la manière dont les musulmans y réagissent. Ainsi, en gros, les conséquences du 11 septembre sont perçues de manière négative.

swissinfo: La méfiance, c’est à cela que se résument les relations entre les musulmans et l’Occident, cinq ans après?

T. R.: Oui. Il y a toujours, en Occident, ce sentiment que l’Islam constitue une menace potentielle, pas seulement les extrémistes et les radicaux, mais les musulmans en général.

Cela a encore été démontré avec l’affaire des caricatures (de Mohammed), où, d’un côté, l’Occident disait que les musulmans étaient contre ses valeurs et la liberté d’expression et, de l’autre, des musulmans disaient que l’Occident était contre l’Islam. Certains leaders musulmans jouant aussi un rôle négatif dans ce sens.

swissinfo: Après les attentats, il y a eu de nombreux appels en faveur d’une meilleure entente entre les deux camps. Cinq ans après, avons-nous fait des progrès?

T. R.: Je pense que la situation est problématique. Ces cinq dernières années, beaucoup de gens ont dit qu’il fallait améliorer l’entente mutuelle mais différents événements l’ont empêché. Au bout du compte, les gens sont très influencés par la politique américaine, par le silence et le manque d’unité manifesté par les gouvernements européens.

Les musulmans entendent l’Occident parler de démocratie et de droits humains et pourtant ils constatent que les interventions en Irak et en Afghanistan n’ont pas apporté la démocratie et que les gens ne sont pas traités dignement. En plus de cela, des pays musulmans pensent qu’Israël a effectivement reçu le feu vert pour tuer des civils au Liban pendant plus de cinq semaines.

On peut ajouter à cette liste ce qui se passe en Europe et aux Etats-Unis dans le domaine sécuritaire, de l’immigration, ainsi que la récente confirmation de l’existence des prisons secrètes.

swissinfo: Les musulmans font-ils la différence entre l’Europe et les Etats-Unis?

T. R.: Oui. L’actuelle administration Bush est perçue comme peu crédible et préoccupée par ses seuls intérêts. L’Europe, elle, aurait la possibilité de se profiler différemment mais elle s’aligne sur les Etats-Unis.

Après l’opposition manifestée à la guerre en Irak, on a pu espérer voir quelques gouvernements européens se montrer sous un jour différent. Mais la guerre du Liban a montré qu’on ne peut pas attendre grand-chose de l’Europe et qu’elle n’a pas le courage de prendre parti pour les Arabes.

swissinfo: Que devrait faire l’Occident pour améliorer son image?

T. R.: C’est une question de consistance. Vous ne pouvez pas promouvoir la démocratie et, en même temps, faire affaire avec des dictatures qui soutiennent vos intérêts ou n’arrêtent pas une guerre qui tue des innocents.

Et puis, ce discours continuel sur l’impossibilité de l’intégration ne fait que marginaliser un peu plus les musulmans. En Europe et aux Etats-Unis, on présente toujours l’Islam comme quelque chose d’étranger, comme si nous ne partagions aucune valeur et que nous ne pouvions pas vivre ensemble.

Interview swissinfo: Adam Beaumont
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

Tariq Ramadan est détenteur d’une licence de philosophie et de littérature française ainsi que d’un doctorat d’études arabes et islamiques de l’Université de Genève.
Il travaille actuellement au St Anthony’s College de l’Université de Cambridge et à la Fondation Lokahi à Londres.
Il est président du European Muslim Network, basé à Bruxelles.

– Tariq Ramadan est le petit-fils de Hassan-al Banna, fondateur du mouvement des Frères musulmans en 1928.

– Il y a deux ans, les autorités américaines ont refusé de lui accorder un visa pour prendre un poste à l’Université Notre-Dame, dans l’Indiana. Les autorités ont invoqué des motifs de sécurité mais le chercheur né à Genève clame que c’est pour «motif idéologique».

– Tariq Ramadan, qui vit actuellement à Londres, indique qu’il essaie de «jeter des ponts entre deux mondes que se connaissent mal».

– Accusé de soutenir les attentats en Israël et en Irak, Tariq Ramadan a publiquement condamné les attentats de New York et de Londres et affirmé son opposition à la mort de victimes innocentes.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision