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Les temps ont changé

«Cartes postales» de Suisses expatriés... Rolf Kesselring, écrivain, ancien éditeur, nous adresse son courrier de la région de Nîmes.

La censure, il l’a connu. Mais, après un récent séjour en Suisse, il a pu constater une évolution… gainsbourgienne.

Lorsque je vivais en Suisse, je me suis épuisé à revendiquer plus de tolérance, plus de liberté, plus de libre choix.

Je me suis battu, beau diable et fou à lier, contre la censure, la cuistrerie, l’intolérance et le conservatisme qui sévissait dans ce pays que j’aimais pourtant avec passion. Finalement, légèrement dégoûté, je l’ai quitté. J’avais l’impression d’étouffer.

De l’Écho des Savanes à Charlie Hebdo

À chaque fois que j’arrivais de Paris avec un chargement de livres, c’était un problème entre les douanes, la censure toujours déclenchée par des citoyens honnêtes (et heureux de l’être!) ou par les autorités, qu’elles soient militaires, religieuses ou politiques.

On me reprochait d’avoir proclamé «que le Suisse avait le droit de choisir ses lectures». J’ai été inculpé des dizaines de fois pour avoir osé importer l’Écho des Savanes, Hara-Kiri ou Charlie Hebdo ou pire, Les Cents verges ou Emmanuelle. Même le grand Henri Miller n’avait pas trouvé grâce aux yeux des censeurs.

Atteinte au culte et à la croyance

Je me souviens qu’un jour, j’ai été inculpé d’«atteinte au culte et à la croyance» pour avoir diffusé sur le territoire helvétique Les Aventures de Dieu et du Petit Jésus de l’ami François Cavanna.

Ma femme et moi risquions alors tout de même six mois d’emprisonnement pour ce crime épouvantable! Notre vie, à cette époque pas si lointaine, n’était faite que de procès, d’inculpations, de tracasseries de la part des censeurs de tous bords.

Le voyage en tristesse

Récemment un deuil dans ma famille proche m’obligea à revenir au pays pour quelques jours. Famille dispersée et peu attentive, nous nous retrouvons toujours dans les moments difficiles.

Normalement, lors des enterrements, je refuse d’assister à la cérémonie religieuse. Je prétexte une grande fâcherie historique avec Dieu. En général, on me pardonne: je suis le parent excentrique, marginal. Là, mon frère, touché au cœur, insista pour que je pénètre dans ce lieu consacré.

Le fumeur de havane

Au milieu d’une profusion de fleurs et de couronnes, un pasteur en robe noire se mit à faire l’éloge de celle qui nous était chère. Puis, il annonça qu’une chanson, dernière volonté de la morte, allait être diffusée.

Quelques crachotements de haut-parleurs plus tard, j’entendis, stupéfait, résonner la voix de Gainsbourg qui affirmait que Dieu était un fumeur de havanes!

Les yeux fixés sur le ministre protestant, l’oreille pleine de la dérision gainsbourgienne, je me suis dit que, en vingt ans à peine, les temps avaient vraiment changé dans cette Suisse qui m’est toujours aussi chère.

swissinfo/Rolf Kesselring

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