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Une initiative d’ampleur vise à intégrer l’IA dans le traitement contre le cancer en Suisse

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Les attentes sont élevées pour l'IA dans le domaine de la pathologie numérique, le but étant de prédire l'efficacité de thérapies spécifiques. Keystone / Anthony Anex

En Suisse, l’intelligence artificielle (IA) reste rare dans les services d’oncologie. Un nouveau partenariat entre universités, prestataires de soins de santé et entreprises privées prévoit de changer cette situation, en développant des outils d’IA destinés à diagnostiquer et traiter le cancer.

Ce projet, intitulé NAIPO (pour National AI Initiative for Precision Oncology, soit «Initiative nationale IA pour l’oncologie de précision»), va construire une base de données de dossiers de patients et de notes de diagnostics, puis utiliser de grands modèles de langage pour analyser cette information. Il va aussi intégrer de l’IA dans la radiologie, la pathologie, et d’autres domaines cliniques.

Planifiée pour cinq ans, cette initiative est financée à hauteur de 8,25 millions de francs par Innosuisse, l’agence nationale de soutien à l’innovation, et ses partenaires institutionnels contribueront à hauteur de 10 millions de francs supplémentaires. Ce qui en fait le projet de recherche contre le cancer le plus généreusement subventionné actuellement en Suisse.

«À la fin de ce programme, nous devrions pouvoir aider les patients traités en oncologie de précision à bénéficier de tous ces développements en IA, afin d’être mieux soignés», déclare Olivier Michielin, chef du service d’oncologie de précision aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et co-coordinateur du projet.

«Le but final, comme toujours en oncologie, c’est d’augmenter le taux de survie, et d’améliorer tous les indicateurs liés aux bénéfices du traitement», ajoute-t-il.

Comment va fonctionner cette initiative?

La première étape consiste à créer un espace partagé et centralisé de stockage de données, qui contienne les dossiers médicaux et les notes liées aux traitements de patients consentants. À partir de là, de grands modèles de langage seront développés pour extraire, récupérer et distribuer l’information, en vue de coordonner le traitement.

Une autre composante de NAIPO se concentre sur l’élaboration d’outils d’IA destinés à la pratique clinique, spécifiquement en radiologie et en pathologie, des domaines qui doivent gérer des ensembles de données complexes, issus de données génétiques ou d’images au microscope de tissus. En parallèle, les chercheurs vont explorer l’usage de l’IA pour analyser des échantillons de tumeurs avec une précision et une profondeur que les outils actuels n’atteignent pas.

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L’information récoltée sera envoyée aux comités des tumeurs moléculaires. Ce sont des organismes médicaux qui rassemblent des spécialistes pour discuter des cas et partager des opinions sur les diagnostics et les thérapies. Il existe des comités locaux au sein des hôpitaux, ainsi qu’un comité d’envergure nationale, où les experts examinent les cas les plus complexes parmi les 50’000 cancers annuels en Suisse.

Enfin, le projet impliquera les patients grâce à une application mobile dédiée qui leur permettra de rester activement informés et investis au fil de leur traitement.

NAIPO repose sur l’initiative dédiée à l’oncologie de précision du Swiss Personalized Health Network, un programme fédéral lancé en 2018 et étendu en 2022 pour compléter un espace national de stockage de données pour la recherche clinique, avec une collecte de données de pointe visant à guider les comités des tumeurs. Ce projet comportait de nombreux partenaires qu’on retrouve désormais chez NAIPO.

Un comité par IA des tumeurs à Zurich

NAIPO n’est pas la première tentative d’introduction de l’IA au sein des cliniques. En mai dernier, l’Hôpital universitaire de Zurich a annoncé la création d’un comité par IA des tumeurs qui commencera à travailler en novembre.

L’incitation à utiliser l’IA en oncologie est motivée par ce qu’on appelle «le séquençage de nouvelle génération», une technologie développée au cours des dernières décennies qui analyse l’ADN des cellules cancéreuses. Ce processus a permis d’obtenir des informations détaillées et a créé un besoin d’analyses complexes à l’aide de machines.

Selon Andreas Wicki, vice-président du département d’oncologie et d’hématologie de l’Hôpital universitaire de Zurich, tous les hôpitaux universitaires suisses ont introduit le séquençage de nouvelle génération il y a environ 10 ans. «Nous n’avions jamais obtenu autant de données», dit-il

De nombreux cas de cancers présentent des mutations génétiques, et l’identification de ces mutations peut s’avérer cruciale pour permettre de classifier le cancer et suivre les directives thérapeutiques appropriées. Le comité par IA des tumeurs et le projet NAIPO prévoient tous deux d’utiliser l’IA pour détecter des schémas qui pourraient passer inaperçus, et fournir ensuite cette information aux médecins.

«Si vous avez un patient dans une situation thérapeutique relativement classique, vous pouvez décider d’utiliser cette technique pour trancher entre deux thérapies équivalentes», explique Andreas Wicki. Les systèmes d’IA pourraient aussi aider quand il s’agit de recommander de transférer un patient vers un traitement en phase d’essai clinique. L’IA peut aussi comparer des patients aux caractéristiques similaires au sein du réseau, pour coordonner et recommander des stratégies de traitement.

L’IA dans la pathologie numérique

L’IA suscite des attentes élevées dans le domaine de la pathologie numérique, dont le fonctionnement se rapproche du séquençage de nouvelle génération. Les deux méthodes débutent par une biopsie, mais elle se concentrent sur des aspects différents.

Le séquençage de nouvelle génération examine l’ADN afin de trouver des changements génétiques au sein des cellules cancéreuses, tandis que la pathologie numérique examine leur tissu: elle transforme les lames du microscope en images numériques, mettant en évidence la disposition des cellules, leur apparence, et leur réaction à des colorants spéciaux, des teintures ou des produits chimiques qui rendent certaines parties de la cellule plus visibles sous le microscope.

Combinées, ces deux approches offrent une meilleure vue d’ensemble de la tumeur, à la fois à l’intérieur (via les gènes) et à l’extérieur (via la structure du tissu).

A Genève, le groupe d’Olivier Michielin est en train de mettre au point une IA qui prédirait l’efficacité de thérapies spécifiques. Si, par exemple, l’algorithme indique qu’un patient a de très faibles chances de tirer des bénéfices de l’immunothérapie, les oncologues pourraient déprioriser cette approche au profit d’une stratégie différente. «C’est une composante additionnelle à prendre en compte au sein d’un système de décision multifactoriel sur la manière de soigner le patient», déclare le médecin.

L’algorithme a été entraîné avec les données d’une centaine de patients, et est actuellement en phase de validation, avec plus de 500 cas traités. Le processus de validation est rétroactif, ce qui veut dire que les chercheurs analysent des échantillons issus de patients déjà traités, puis ils comparent les suggestions de l’IA aux résultats obtenus dans le monde réel, afin de tester si les prédictions du système sont exactes et fiables.

La compagnie pharmaceutique Roche, l’un des principaux partenaires privés au sein de NAIPO, et collaborateur de l’Hôpital universitaire de Zurich, a développé une gamme d’outils d’IA pour aider les pathologistes à diagnostiquer le cancer.

Par exemple, une équipe au Brésil a récemment affirmé avoir réduit la durée nécessaire à un diagnostic, passée d’une heure à trente secondes, grâce aux instruments d’IA de Roche. Une étude en Espagne a également conclu qu’un diagnostic via l’IA pouvait réduire la durée entre l’arrivée en laboratoire d’un échantillon issu d’une biopsie et le moment où le diagnostic final est donné au médecin et au patient.

Avec les méthodes traditionnelles, cela prenait en moyenne 10,5 jours, mais avec la pathologie numérique, cette période est désormais inférieure à sept jours. La charge de travail des pathologistes a baissé de près d’un tiers, et lors des mois de pointe, de plus de la moitié.

Un vif intérêt international pour l’IA dans la lutte contre le cancer

L’IA au sein de l’oncologie suscite un vif intérêt à l’échelle internationale. La Société européenne d’oncologie médicale (ESMO), une association professionnelle comptant plus de 30’000 membres, qui représente la plupart des oncologistes européens, organise une conférence à Berlin en novembre consacrée au sujet.

«Quand nous avons commencé à parler de faire une conférence, on imaginait qu’au mieux 150 personnes y assisteraient. Mais quand on a commencé à l’organiser, on a pris conscience que c’est un sujet brûlant, et le lieu va accueillir plus d’un millier de participants», indique l’oncologue Rudolf Fehrmann du centre médical universitaire de Groningen, l’un des organisateurs de la conférence.

NAIPO ne sera pas à l’agenda de cette édition à cause de problèmes de timing, mais «aura certainement des résultats à présenter dans les éditions à venir», estime Olivier Michielin.

Même si la présence de l’IA en oncologie demeure limitée, la situation évolue rapidement. Les chercheurs espèrent que NAIPO constituera une nouvelle étape vers de meilleurs pronostics pour les patients de Suisse et d’ailleurs.

Texte relu et vérifié par Gabe Bullard, traduit de l’anglais par Pauline Grand d’Esnon/dbu

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