
Champions, les champignons

En Suisse, la cueillette des champignons est un véritable sport national. Scientifiques et industriels perçoivent aussi de grandes promesses dans ces organismes autrefois considérés comme nuisibles. Qu’est-ce qui a donc bouleversé l’idée que nous nous faisons des champignons?
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Connaissez-vous le plus grand organisme vivant de Suisse? Il s’étend dans notre Parc nationalLien externe sur plus de 35 hectares, soit une surface équivalente à 50 terrains de football.
Aucun animal ni aucune plante n’atteint de telles dimensions. Le géant qui nous intéresse est un armillaire appartenant à la famille des Physalacriaceae. Il est réputé pour son gigantesque mycéliumLien externe, un réseau souterrain comptant d’innombrables filaments microscopiques. Cet organisme n’émet des sporophores (littéralement «porte-fruit»), plus communément connus sous le nom de champignons, que pendant quelques semaines.
Le fait que les champignons soient désormais recherchés, récoltés, cuits et consommés, est plutôt récent. Autrefois considérés comme nuisibles, ils ont longtemps suscité la peur et l’on en craignait même les émanations délétères. C’est que l’on n’avait que peu d’informations à leur sujet.

Il est vrai que les champignons peuvent déclencher vomissements, diarrhées et maux de tête, altérer la perception de ceux qui les ingèrent, modifier le rythme cardiaque et dans les cas les plus graves causer la mort. Avec des risques pareils, pas étonnant qu’il ait fallu attendre une différenciation systématique des champignons en espèces vénéneuses et comestibles pour les consommer. De telles connaissances n’ont commencé à se répandre qu’à partir du 19e siècle, même s’il existait déjà des exceptions comme la culture des champignons dans les catacombes de Paris ou certaines spécialités régionales.

La science autant que l’enthousiasme des amatrices et amateurs de champignons ont contribué au nouvel intérêt porté à ces organismes. De nouvelles méthodes et découvertes scientifiques ont popularisé le champignon. L’un des scientifiques les plus réputés de son temps, le Français Louis Pasteur connu pour l’invention de la pasteurisation, a découvert que la fermentation du raisin était déclenchée par des levures qui le transformaient en vin. Alcool et champignons? À consommer avec modération et à votre santé!
Toute une culture populaire s’est développée parallèlement à la recherche académique, notamment dans le domaine des grands champignons que l’on trouve en forêt. Il s’agit autant d’en identifier les comestibles que d’en éviter les vénéneux.
Comment donc inculquer à tout un chacun l’art de l’identification systématique et sûre des champignons? Grâce à l’art, justement. Les champignons étant difficiles à conserver, on s’est donc efforcé de les dessiner et de les peindre pour en reconnaître formes et couleurs. Outre des scientifiques comme Louis RuffieuxLien externe à Fribourg ou des autodidactes comme Jeanne Favre à Genève, Hans Walty (1868-1948) s’est aussi adonné à la peinture des champignons.
Mais contrairement à ses pairs, Hans Walty avait fréquenté une académie de peinture. Ses aquarelles se distinguent par des qualités artistiques exceptionnelles comme on peut en juger dans la nouvelle édition de ses œuvres (voir encadré). Walty avait aussi acquis une somme de connaissances scientifiques sur les champignons qui en avaient fait un spécialiste semi-professionnel du domaine.

Bénéficiant de la double compétence d’artiste et de scientifique amateur éclairé, Hans Walty trouva son public. Lorsque la nourriture vint à manquer vers la fin de la Première Guerre mondiale, les champignons connurent une grande popularité. Des promeneuses et promeneurs de plus en plus nombreux se mirent à parcourir les forêts suisses pliés en deux, à la recherche de champignons comestibles.
On pouvait aussi les acheter sur les marchés de nombreuses villes. Cette popularité donna naissance en 1919 à l’Union suisse des sociétés de mycologie qui édita dès 1923 le Bulletin suisse de mycologieLien externe et publia dès 1942 les «Tableaux suisses de champignons», recueils des planches de Hans Walty qui firent bientôt partie de l’équipement standard des champignonneuses et champignonneurs.

Après un certain calme pendant le boom économique de l’après-guerre, l’intérêt pour les champignons a repris au XXIe siècle. Cette fois-ci, ce sont les crises climatiques et des déchets qui mettent les champignons au centre de l’attention : en tant que matériau de construction, ils doivent remplacer le béton nuisible au climat, en tant que matériau d’emballage, ils doivent rendre le polystyrène superflu et, en tant qu’outil de recyclage, ils doivent décomposer le plastique et les déchets industriels. En tant que métaphore, ils peuvent également inspirer notre coexistence dans des réseaux coopératifs.
À notre époque où numérique et réseaux sont rois, les champignons continuent à nous fasciner et à nous faire rêver car ils n’ont cessé de proliférer dans la nature comme dans la science, l’économie, l’art et la littérature. On croit même parfois qu’ils pourraient sauver le monde. Vos préoccupations sont-elles plus terre à terre? Dans ce cas profitez de l’automne pour vous promener en forêt à la recherche de champignons. C’est très bon pour le moral, ce qui est déjà un bon début.
Hannes Mangold s’occupe des partenariats de recherche de la Mobilière Suisse Société Coopérative. Il fait des expos, des livres et des projets entre science, art et histoire.
L’article original sur le blog du Musée national suisseLien externe

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