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Le cas Duvalier embarrasse la justice suisse

Jean-Claude Duvalier (premier plan), au temps de sa gloire, en compagnie de son père Claude Duvalier. Keystone Archive

Le Conseil fédéral a bloqué 7,5 millions de francs appartenant à Jean-Claude Duvalier. Mais l'ancien dictateur d'Haïti n'a jamais été jugé.

La Suisse peut-elle être plus royaliste que le roi? En d’autres termes, peut-elle considérer que Jean-Claude Duvalier, président à vie d’Haïti de 1971 à 1986, a pillé les caisses de son pays, alors que le gouvernement haïtien se montre incapable de le démontrer.

Le Conseil fédéral vient de bloquer 7,5 millions de francs appartenant à «Bébé Doc», l’ancien dictateur d’Haïti, chassé du pouvoir en 1986. Pour cela, le gouvernement a utilisé des pouvoirs exceptionnels, conférés lorsque la sauvegarde des intérêts du pays est en jeu.

En effet, il n’existe plus aucune raison de séquestrer la fortune de l’ancien tyran. Non seulement son pays n’a jamais fait la preuve de ses forfaits, mais ses successeurs n’ont pas meilleure réputation que lui.

Deux comptes à Zurich

En fait, il ne s’agit pas de justice mais de morale. La Suisse ne veut plus donner l’image d’un pays qui héberge la fortune des dictateurs de la planète et qui n’entreprend rien pour les empêcher de jouir de leurs forfaits.

En 1999, l’entourage de Jean-Claude Duvalier avait pu récupérer deux comptes bancaires à Zurich à la Warburg Bank et à l’ABN Amro Bank, contenant respectivement 380 000 dollars et 900 000 francs. Aujourd’hui, les 7,5 millions de francs dorment sur d’autres comptes à Genève et Lausanne.

Chassé du pouvoir en février 1986, Jean-Claude Duvalier est arrivé à Grenoble avec sa femme et ses deux enfants à bord d’un avion de l’US Air Force. Théoriquement, l’ancien dictateur d’Haïti ne bénéficiait que de quelques jours de transit sur le territoire français. Toutefois, depuis 16 ans, «Bébé Doc» séjourne en France sans titre de séjour.

Pillage des biens nationaux

Dès sa chute, la Suisse a décidé de bloquer ses comptes, avant même de recevoir une demande des autorités haïtiennes. Seulement voilà, depuis tout ce temps, Port-au-Prince n’a pas trouvé le temps de juger Jean-Claude Duvalier, et donc de prouver qu’il «aurait organisé une vaste entreprise de pillage des biens nationaux».

Par ailleurs, le 19 septembre 1989, le Tribunal fédéral a demandé aux autorités haïtiennes «les garanties nécessaires quant au respect, dans leurs pays, des principes découlant de la Convention européenne des droits de l’homme».

Or, il faut bien reconnaître que dans ce pays de la Caraïbe, «rien n’avait changé, sinon, une fois de plus, la personne du ministre de la justice», constatait déjà en 1999 Dominique Poncet, l’avocat suisse de Jean-Claude Duvalier.

Duvalier, un sans papiers à Paris

En clair, le Conseil fédéral a décidé de ne pas rendre 7,5 millions de francs à l’ancien dictateur. Mais ensuite? Cet argent ne pourra pas être restitué à Haïti. Il risquerait de tomber dans les poches du nouveau président, élu sans adversaire.

Abandonné par son épouse, Jean-Claude Duvalier serait devenu depuis quelques années un sans-papiers dans la région parisienne. «De temps en temps, il me téléphone, mais il n’a plus un sou», raconte Sauveur Vaisse, son avocat parisien.

swissinfo/Ian Hamel

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