La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935
Les meilleures histoires
Démocratie suisse
Les meilleures histoires
Restez en contact avec la Suisse

«Pedo-Hunter»: quand la traque des pédophiles dérape en violence

Personnes
Dans cette forêt à la périphérie de Zurich, les «Pedo-Hunter» se sentent en sécurité face à la police. SRF

Les groupes de «Pedo-Hunter» ou «chasseurs de pédophiles» se multiplient en Suisse, piégeant et agressant des hommes qu'ils soupçonnent d'être pédocriminels. Derrière ces actions se cachent une forme problématique de justice personnelle, avec des fantasmes de violence et une rhétorique d'extrême droite. Rencontre.

«Chaque week-end, nous partons à la chasse!» Il ne s’agit pas ici de chasser le chevreuil ou le loup, mais de traquer des êtres humains: plus précisément, des pédophiles présumés. Yannick (nom connu de la rédaction) organise de telles chasses. Sur internet, il se fait passer pour une jeune fille de 14 ans et chatte avec des hommes. S’ils montrent de l’intérêt, cela mène généralement à une rencontre – souvent dans un endroit isolé, dans des zones boisées en dehors de la ville.

>> Regarder un extrait du reportage de SRF :

Contenu externe

Au lieu de rendez-vous, l’homme présumé pédocriminel ne trouve pas une jeune fille, mais un groupe d’adolescents masculins: prêts au combat, parfois armés, masqués. Ce qui se passe ensuite fait frissonner. Les issues sont barrées, les hommes sont maîtrisés et battus, parfois pendant plusieurs minutes. Les jeunes filment leurs actions et publient un montage des enregistrements sur internet afin de montrer que l’homme mérite les coups et que le recours à la violence est légitime. Selon les «Pedo-Hunter», l’objectif est de dissuader les pédophiles.

«C’est un schéma très ancien», explique Jérôme Endrass, expert en extrémisme. «Chaque agresseur cherche toujours une justification pour ses actes de violence.» Le thème de la pédophilie s’y prête particulièrement bien.

Rencontre avec les chasseurs en forêt

Quiconque fait des recherches sur le «pedo-hunting» en Suisse tombe inévitablement sur le groupe «PHCH». Une vidéo sur la plateforme X, dans laquelle un homme est brutalement battu, porte également le filigrane de ce groupe. Mais entrer en contact avec le groupe s’avère difficile. Plusieurs de nos approches sont restées sans réponse. Après plusieurs semaines, une rencontre est acceptée et organisée.

La méfiance envers les médias est grande, tout comme la peur de la police. Les «Pedo-Hunter» n’indiquent pas de lieu de rendez-vous, mais seulement une heure. Ce n’est que peu avant la rencontre qu’ils envoient les coordonnées: un emplacement pour grillades dans la forêt, à la périphérie de Zurich. Sur place, il faut attendre. Aucune trace des chasseurs. Seuls quelques randonneurs regardent avec étonnement l’équipement de caméra installé. Nous sommes nerveux: personne ne sait qui va venir. Le téléphone vibre – Un message. Quelques minutes plus tard, deux adolescents nerveux et timides montent la colline.

Des vidéos de passages à tabac comme moyen de dissuasion

«Nous voulons rencontrer les pédophiles et les tabasser. Si les vidéos deviennent virales, d’autres pédophiles les verront et auront peur de rencontrer de nouveaux enfants.» C’est ainsi que Yannick légitime ses actions. Cependant, la recherche contredit clairement cette approche, explique Jérôme Endrass: «La dissuasion ne permet pas d’empêcher de tels actes.» Celui qui franchit le pas en commettant un grave délit sexuel sur un enfant ne va pas s’arrêter. Selon l’expert, la peur d’être arrêté par la police a un effet nettement plus fort, mais ne suffit pas toujours.

Yannick raconte que des actions comme celle de la vidéo, où un homme a été battu, ont lieu dans toute la Suisse. Une centaine de personnes seraient impliquées dans tout le pays, affirme-t-il. Un chiffre qui soulève des doutes. SRF Impact a réussi à s’infiltrer dans différents chats Telegram du groupe de chasseurs de pédophiles. L’un de ces chats comptait effectivement plus de 200 membres, mais il est inactif. Un autre comprend à peine une douzaine de personnes. Ce qui est frappant: des messages et des symboles ouvertement d’extrême droite circulent dans les groupes.

Idéologie en arrière-plan

Le lien entre l’extrême droite et les soi-disant «chasseurs de pédophiles» n’est pas une coïncidence: il suit un schéma. Comme l’explique le chercheur en extrémisme Jérôme Endrass, l’argument de la «protection de l’enfance» est instrumentalisé depuis des siècles. «Déjà au Moyen Age, on prétendait que les communautés juives massacraient des enfants chrétiens.» Aujourd’hui encore, des groupes d’extrême droite reprennent cette rhétorique: la prétendue lutte contre les «pédophiles» sert de couverture pour semer la haine et justifier la violence. La figure du «protecteur d’enfants» devient ainsi un bouclier moral pour des ennemis idéologiques.

Peu après la confrontation dans la forêt, Yannick a quitté le chat. Quelques minutes plus tard, le groupe de discussion est supprimé – un nouveau a probablement déjà été créé pour planifier la prochaine chasse.

Contenu externe

Une «tendance» venue des Etats-Unis

Le «Pedo Hunting» est un phénomène encore jeune en Suisse. Aux Etats-Unis, en revanche, de telles formes de justice d’autodéfense existent depuis des années. Des centaines de vidéos circulent en ligne et même dans des émissions de télévision dans lesquelles des hommes sont confrontés, humiliés ou battus devant la caméra. Il n’est généralement pas possible de vérifier si ces enregistrements sont authentiques.

En Allemagne aussi, le mouvement a gagné un fort soutien ces dernières années. Des youtubeurs comme Nick Hein y soupçonnent des pédophiles, dans des formats mis en scène et dramatiquement édités qui atteignent des millions de clics.

Le harcèlement sexuel en ligne touche un tiers des adolescents

Environ un tiers des adolescents ont reçu au cours des deux dernières années des sollicitations sexuelles non désirées sur Internet. Beaucoup ont été interrogés sur leur corps, abordés avec des intentions sexuelles ou sollicités pour envoyer des photos érotiques. Certains ont même été confrontés à des invitations à agir sexuellement devant la webcam ou à du chantage avec des images intimes.

Source : Etude James 2024Lien externe

>> Sur ce sujet : Une femme sur cinq et un homme sur sept dans le monde victimes de violences sexuelles avant 18 ansLien externe

Contenu externe

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision