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Le plastique envahit la Suisse et le recyclage ne résoudra pas tout

Menschen sammeln Plastik und Abfall vom Boden auf
Une situation qui ne correspond pas vraiment à l'image de la Suisse: des déchets plastiques sur les rives du lac Léman, dans la réserve naturelle du Fort, non loin du Bouveret (VD). © Keystone / Jean-christophe Bott

La Suisse consomme un million de tonnes de plastique par an. La plus grande partie est incinérée, seule une fraction est recyclée. Environ 14'000 tonnes finissent dans la nature. Certes, les capacités de recyclage augmentent, mais la consommation augmente également.

La réserve naturelle des Grangettes est située sur l’ancien grand delta du Rhône. Les amphibiens et les insectes s’y reproduisent en nombre, décrit Pro Natura. L’Association pour la sauvegarde du Léman, qui a passé au peigne fin 25 plages du lac, décrit des marais souillés par le plastique. «Le site le plus précieux du Léman est aussi celui qui est le plus impacté par les déchets plastiques», déplore l’ASL.

«Par sa consommation élevée de produits en plastique en comparaison avec les autres pays, la Suisse contribue de manière notable à ce problème environnemental croissant», résume un rapport du Conseil fédéral publié en septembre 2022. Selon une modélisation, cette consommation se monte à environ un million de tonnes par an, soit 120 kilos de matières plastiques par personne. L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) ne donne pas de données comparatives pour l’Europe.

Ein grosser Berg Plastikabfall
Le plastique consommé en Suisse entraîne une montagne de déchets de 790’000 tonnes par an. Le taux de recyclage augmente, mais la consommation aussi. © Keystone / Alexandra Wey

Finalement, la Suisse se retrouve face à une montagne de déchets plastiques de 790’000 tonnes, dont près de la moitié est issue de produits ayant été utilisés moins d’un an. Il faut traiter ce solde. Plus de 80 % de cette matière est incinérée, dans des usines, ce qui produit notamment de l’énergie pour les réseaux de chauffage urbains. Une faible portion est recyclée ou réutilisée (environ 15%).

Une fraction finit dans les sols, les eaux et l’air. Soit environ 14’000 tonnes qui échappent chaque année à «un système d’élimination performant», selon le même rapport. Le seul littering produit environ 2700 tonnes de ces déchets par an. Près de 50 tonnes de macroplastiques sont rejetées dans les sols par des pertes dues au transport dans le cadre de l’élimination des déchets, selon le rapport cité plus haut. Dix tonnes de cotons-tiges et d’autres produits d’hygiène jetés dans les toilettes se retrouvent dans les eaux de surface. Il faut aussi compter dans ce total les microplastiques (voir encadré).

Gaz à effets de serre et recyclage

Ein Sack, um Plastik zu sammeln.
Actuellement, de nombreuses communes suisses introduisent un nouveau système de collecte pour les déchets plastiques de toutes sortes. L’objectif est clair: atteindre un taux de recyclage nettement plus élevé. © Keystone / Alexandra Wey

Que faire? «Comme pour le PET, qui est entièrement recyclable, il faudrait mettre en place une politique nationale de traitement du plastique, qui irait de la conception de la matière à son traitement», estime Jasmine Voide, responsable de projets au sein de la faîtière Swiss Recycling. En effet, la complexité infinie des plastiques complique ou empêche parfois le recyclage.

Swiss Recycling rappelle cependant les propriétés uniques du plastique, notamment pour protéger des aliments. Greenpeace souligne que lorsqu’un produit plastique est fabriqué avec des produits chimiques toxiques et qu’il est ensuite recyclé, ces substances nocives peuvent être transférées dans les plastiques recyclés. En tout cas, de nouvelles filières de collecte de plastiques non-PET se développent qui permettent par exemple de traiter des berlingots de lait, des flacons, des paquets de chips.

Basé en Thurgovie, Inno Group indique avoir collecté en 2022 plus de 7000 tonnes de plastique à travers un réseau de 500 communes, lesquelles accordent une concession pour la collecte des plastiques ménagers. L’entreprise annonce un taux de recyclage d’environ 63 %. La filière est basée sur des sacs payants. Elle fonctionne en lien avec une usine de tri et de traitement basée en Autriche. Les granulats extraits des plastiques sont revendus en Europe.

Le groupe prévoit la construction d’une usine en Thurgovie et vise une collecte de 20’000 tonnes par année, indique Patrik Ettlin, porte-parole. De son côté, la Migros annonce avoir collecté 3200 tonnes de bouteilles en plastique (non-PET) et 500 tonnes de sacs en plastique en 2022.

Une consommation en hausse

«Le taux de recyclage augmente, mais la consommation aussi. Par ailleurs, ce processus consomme de l’énergie», note Florian Breider, directeur du Laboratoire central environnemental à l’EPFL. L’empreinte gaz à effet de serre (GES) du plastique de la Suisse représente environ 5 % de l’empreinte GES totale du pays, selon l’OFEV. «Quand votre bouteille en plastique a été transformée en pull, en arrosoir, en différents objets, ces derniers ne seront pas recyclables», écrit Jacques Exbalin, auteur d’un livre consacré à la guerre au plastique.

Le principe même de la privatisation du recyclage est remis en question par Greenpeace, qui estime que le besoin en plastique de ces filières alimentera sa production, dans un monde où l’électrification des transports pousse les grands groupes pétroliers à diversifier une partie de leur production vers le plastique. Plus de 400 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année. «Le message qui dit que si l’on trie son plastique, c’est bon, est erroné. Il faut produire des objets prévus pour durer un maximum de temps et qui soient les plus simples possibles à recycler», estime Florian Breider.

Qui déplore l’énorme gaspillage des objets à usage unique, parmi lesquels les bouteilles d’eau minérale, «un produit inutile, puisqu’en Suisse l’eau du robinet est de très bonne qualité». Greenpeace juge que les mesures visant à perfectionner la collecte des déchets relèvent d’une «simple opération de greenwashing». L’association préconise une transition vers un système d’emballages réutilisables.

En Suisse, la plus grande partie des déchets plastiques disséminés dans la nature provient de l’abrasion des pneus (8900 tonnes par année), selon l’OFEV. En outre, environ 100 tonnes de petites matières plastiques pénètrent chaque année dans les sols à travers des engrais issus du compost. Des microplastiques sont générés lors du lavage et du port de vêtements synthétiques. Environ trois tonnes de microbilles plastiques provenant de produits cosmétiques sont relâchées annuellement dans la nature.

Or l’élimination des particules de microplastiques disséminées se révèle pratiquement impossible. La faune en paye le prix. De faibles quantités de microplastiques ont été trouvées dans le tube digestif d’oiseaux et de poissons aussi en Suisse, signale une étude de 2014. Les effets du plastique sur l’homme sont encore méconnus, indique Florian Breider, qui participe à une étude visant à mesurer leur présence dans les poumons.

Autre problème: les plastiques intègrent des additifs visant par exemple à les assouplir. Cependant, «les industriels n’affichent des informations complètes (sur ces additifs) que s’il y a des objectifs marketing. C’est le cas par exemple pour les tétines pour bébés, garanties sans bisphénol», souligne ce spécialiste.

Cet article est paru initialement dans la Revue SuisseLien externe.

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