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Lumière suisse sur l’Appel du Général de Gaulle

Le général de Gaulle à Londres, lors de l'appel du 18 juin 1940. AFP

Nicolas Sarkozy assiste vendredi à Londres à la commémoration du discours du 18 juin du Général de Gaulle, dont on n’a conservé aucun enregistrement. La seule retranscription exacte de ce fameux discours a été faite par les services de l’armée suisse.

Français et Britanniques ont vu les choses en grand: visite de l’ancien quartier général du Général de Gaulle à Londres, à Carlton Gardens, puis discours du président français Nicolas Sarkozy au Royal Hospital Chelsea devant des centaines d’anciens combattants de la France Libre.

«À 49 ans, j’entrais dans l’aventure comme un homme que le destin a jeté hors de toutes les séries», écrira Charles De Gaulle à propos du 18 juin. Aucun doute: l’Appel marque un tournant majeur pour la France de ces années noires. Difficile de comprendre comment un simple général de brigade, sous-secrétaire d’État à la guerre depuis quinze jours, a trouvé les ressources pour désavouer sa hiérarchie et incarner loin de chez lui la France «résistante».

Un brouillon manuscrit

Avant d’installer ses quartiers à Carlton Gardens, de Gaulle loge au 7-8 Seamore Grove, près de Hyde Park, dans l’appartement d’un de ses collaborateurs. Là, au lendemain de son arrivée à Londres, il rédige un texte qu’il a prévu de lire le soir même sur les ondes de la BBC. Le maréchal Pétain vient de demander un armistice aux Allemands. De Gaulle, qui refuse vigoureusement l’arrêt des hostilités, veut agir vite.

Que nous reste-t-il de l’Appel? Un brouillon manuscrit, quelques extraits dans les journaux. Et l’impression de l’avoir entendu mille fois: «Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas…» Or, le discours du 18 juin n’a pas été conservé par la BBC. Et fort peu de gens l’ont entendu.

Le texte «officiel», tenu comme tel par le Général et les gardiens de la mémoire gaullienne, commence par ces mots: «Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.»

La piste des services suisses

Surpris par les différences entre ce texte et d’autres versions de l’Appel, publiées notamment par les journaux de l’époque, un notaire français, Jacques Fourmy, mène sa petite enquête à la fin des années 1980. Ses recherches le conduisent vers les «services de renseignement» helvétiques, qui retranscrivaient scrupuleusement tout ce qu’ils entendaient à la radio. Banco! Les Suisses ont bien capté, vers 22h, les paroles du général.

L’historien suisse Christian Rossé a récemment localisé ce document dans les archives fédérales. «Il ne s’agit pas d’un rapport des services secrets suisses. Il provient en fait de l’organe militaire chargé de l’écoute des radios étrangères: le Gruppe Ohr (Groupe Oreille).»

« À l’époque, poursuit Christian Rossé, les moyens d’enregistrement n’existent pas. Les contenus radiophoniques sont donc retranscrits à la main, souvent par des agents bilingues, voire trilingues. Le compte-rendu du discours du général du Gaulle apparaît dans le Bulletin n° 153, publié à 6h le 19 juin 1940, à la page 3. Il est rédigé en allemand: «Die frz. Regierung hat beim Feind angefragt, zu welchen ehrenvollen Bedingungen ein Waffenstillstand möglich wäre… »

Une version plus bienveillante

Tiens ce début… Rien à voir avec l’autre, l’ «officiel». La version «suisse» est clairement plus bienveillante à l’égard du gouvernement Pétain. Traduisons: «Le gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer.»

Dans la version «officielle», de Gaulle semblait avoir totalement rompu avec le gouvernement français. Dans la version «suisse», la vraie puisque celle qu’il a lue au micro de la BBC, il laisse encore à Pétain le bénéfice du doute. Le général a donc édulcoré son texte au cours de l’après-midi ou la soirée du 18 juin.

Une journée tout sauf calme

L’histoire officielle du gaullisme place pourtant cette journée sous le sceau du recueillement. «C’est étrangement la seule journée banale de cette période qui ne l’était, certes, pas. Comme si l’Histoire avait suspendu sa marche jusqu’à six heures du soir, pour donner plus d’importance au geste qui allait s’accomplir», racontera Geoffroy de Courcel, qui était alors officier d’ordonnance du général.

Vraiment ? «Cette journée fut tout sauf calme», estime l’historien François Delpla. Peu après midi, le cabinet de guerre britannique refuse que de Gaulle parle à la radio. Et il faut tout l’entêtement du général Spears, alors soutien de de Gaulle, pour faire réveiller Churchill en pleine sieste, lequel obtiendra l’aval des membres de son cabinet.

Les «négociations» se poursuivent sans doute dans la soirée. «Le gouvernement britannique est alors divisé en deux tendances, rappelle François Delpla. D’un côté Churchill, très hostile à Hitler, de l’autre le chef de la diplomatie Lord Halifax, adepte d’une attitude plus conciliante à l’égard de l’Allemagne.»

Deux fers au feu

Churchill avait d’une certaine façon deux fers au feu, estime l’historien et ancien résistant Jean-Louis Crémieux-Brilhac. «D’un côté, il misait sur de Gaulle, à tout hasard, en attendant qu’arrivent à Londres des politiciens français de poids, type Reynaud ou Mandel. De l’autre, il espérait encore que le gouvernement installé à Bordeaux poursuivrait la guerre.»

De Gaulle a-t-il spontanément modifié son texte, tenant compte du climat de grande prudence qui régnait à Londres? L’a-t-il fait sur instruction britannique?

«Le mystère demeure, note Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Le texte finalement lu sur les ondes de la BBC n’exclut pas que la France reste dans la guerre. Un sursaut patriotique auquel de Gaulle ne croyait pas du tout.»

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

10 mai Offensive allemande à l’ouest

7 juin Le front français est brisé. Début de l’exode.

10 juin Le gouvernement s’installe à Tours, puis le 13 à Bordeaux.

14 juin Les Allemands entrent dans Paris.

16 juin Paul Reynaud cède la place à Philippe Pétain comme président du Conseil.

17 juin Pétain demande l’armistice.

18 juin De Gaulle lance son Appel.

28 juin Londres reconnaît de Gaulle comme chef des Français libres.

L’Appel du 18 juin, par Jean-Louis Crémieux-Brilhac, éditions Armand Colin.

De Gaulle, par Eric Roussel, éditions Perrin.

L’Appel du 18 juin, par François Delpla, éditions Grasset.

Dictionnaire de la France Libre, éditions Robert Laffont.

Le service de renseignements suisse face à la menace allemande, par Christian Rossé. Editions Alphil.

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