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Lumières suisses sur la téléportation

Le professeur Nicolas Gisin (au centre), avec deux de ses étudiants, Cyril Branciard et Olivier Landry, dans leur laboratoire genevois. Keystone

Une particule qui téléporte sa structure à plus de 100'000 fois la vitesse de la lumière, cela n'existe en principe pas dans notre univers. C'est pourtant le résultat auquel est parvenu une équipe de l'Université de Genève. Pour la gloire de la science, mais aussi pour faire progresser... la sécurité informatique.

L’histoire existe – sous des formes différentes – dans bien des contes: un souverain envoie deux chevaliers en mission en des confins opposés de son royaume. A chacun, il remet un médaillon magique. Que l’un des chevaliers trépasse, son médaillon virera au noir. Et aussitôt, celui de son compagnon prendra la même teinte.

De la magie ? Aujourd’hui, on dirait plutôt de la téléportation quantique, domaine de recherche dans lequel le professeur Nicolas Gisin et son équipe du Groupe de physique appliquée (section optique) de l’Université de Genève se sont taillé depuis quelques années une réputation planétaire.

En 2003, ils ont réussi la première téléportation à longue distance de la structure d’un photon (particule de lumière). Et aujourd’hui, Nature, une des revues scientifiques les mieux cotées au monde, publie les résultats de leurs travaux sur la nature du canal par lequel passe cette téléportation. Travaux qui donnent notamment tort à… Albert Einstein.

Mystère

On s’en doute, les choses ne sont pas aussi simples que dans la légende des chevaliers. Dans la réalité, le médaillon récepteur ne serait au départ qu’une masse informe de métal. Et après transmission de la mauvaise nouvelle, c’est l’émetteur qui se trouverait réduit à ce triste état.

Ce qui se déplace dans la téléportation quantique, ce n’est pas la matière (on est encore très loin du «Téléportation, Scotty !» de Star Trek), mais uniquement sa structure. Il faut donc bien un photon à chaque extrémité du canal – une simple fibre optique en l’occurrence – pour que les caractéristiques de l’un soient transmises à l’autre. Avec pour conséquence la déstructuration du premier et la structuration du second.

Et cela va très vite. En mesurant le phénomène en continu pendant 24 heures sur les 18 kilomètres séparant deux de leurs labos, Nicolas Gisin et ses collègues sont arrivés à la conclusion que l’information doit voyager à plus de 100’000 fois la vitesse de la lumière ! Théoriquement impossible.

A moins que l’information ne voyage pas. «En fait, c’est un processus qui se déroule simultanément à deux endroits, même s’ils sont très éloignés», explique le physicien, pour qui les 18 kilomètres de l’expérience actuelle sont une simple limite technologique. Car en théorie, cela pourrait marcher avec deux photons situés aux confins opposés de la galaxie.

«C’est ce que l’on nomme la non-localité quantique, poursuit Nicolas Gisin. Et c’est très difficile à comprendre, parce qu’il faut imaginer que cette information se propage ailleurs que dans notre espace. Je ne peux pas vous dire où, cela reste un mystère. C’est pour cela que nous disons que ces corrélations semblent surgir de l’extérieur de l’espace-temps».

Difficile à imaginer en effet. Einstein en tous les cas n’y croyait pas. Il avait baptisé ces corrélations «actions fantômes». Mais le père de la relativité était également convaincu que rien ne peut circuler plus vite que la lumière. Or si l’information circule vraiment d’un photon à l’autre, elle ne tient aucun compte de cette limitation.

La nature n’a décidément pas fini d’étonner et de fasciner les scientifiques…

Message secret et super-ordinateur

«Fascination» est d’ailleurs le premier mot qui vient à Nicolas Gisin quand on lui demande à qui servent ses travaux. «Nous arrivons à un moment de l’histoire des sciences – et des idées – où l’on découvre cette non-localité quantique, où l’on peut même l’exploiter, en parler dans les médias, c’est absolument passionnant et stimulant pour la curiosité scientifique», s’enthousiasme le physicien.

Plus prosaïquement, il se réjouit aussi des perspectives qu’ouvrent ses travaux dans le domaine de la sécurité informatique. «La cryptographie quantique utilise les mêmes technologies que nous. C’est la sécurité au niveau du hardware, et non plus seulement du logiciel», explique Nicolas Gisin.

Une sécurité qui semble absolue: même si l’on ne sait pas encore comment l’information passe d’un photon à l’autre, le fait est qu’entre son départ et son arrivée, elle n’a existé nulle part ailleurs dans l’espace ni dans le temps. C’est le message secret par excellence: impossible à intercepter. Et même s’il pouvait l’être, les photons ont ceci de particulier qu’on ne peut pas les «regarder» sans leur en laisser la trace.

Et ces évolutions ne sont peut-être rien en regard de la véritable révolution que prédisent certains avec l’arrivée – encore hypothétique – de l’ordinateur quantique. Ici, les bits d’information (rebaptisés «qubits») seraient stockés sur des photons, dont on utiliserait la faculté de pouvoir se trouver dans plusieurs états à la fois pour atteindre des puissances de calcul proprement inimaginables.

Mais ceci est une autre histoire…

swissinfo, Marc-André Miserez

Le professeur Gisin et son équipe travaillent avec des photons, ces «grains de lumière» sans lesquels le monde serait opaque. Ils appartiennent à la famille des particules élémentaires, dites aussi subatomiques (plus petites que les atomes), qui sont le champ d’études de la physique quantique.

Dans le monde de l’infiniment petit en effet, les lois de la physique classique n’ont plus cours. Chaque particule est une sorte de nuage, capable de se comporter à la fois comme un morceau de matière et comme une onde, bien qu’elle ne soit au final ni l’un ni l’autre.

Et ce n’est pas la moindre de ses excentricités. Une particule peut apparaître, disparaître ou changer de direction sans raison apparente. Il est impossible de déterminer avec précision sa position et sa vitesse. Et pour cause: elle peut se trouver en plusieurs endroits et dans plusieurs états à la fois.

Plus bizarre encore, ce qui se passe dans le monde quantique dépend de la façon dont on l’observe. On ne peut pas isoler le phénomène observé de l’appareil avec lequel on le mesure. En quelque sorte, c’est l’observateur qui crée la réalité.

Malgré cela, la théorie est vérifiable expérimentalement et donne des certitudes, jamais mises en défaut. Elle a rendu possible nombre des avancées technologiques du XXe siècle, du transistor au laser en passant par la fission de l’atome et sans elle, vous ne seriez pas en train de lire ce texte sur un écran d’ordinateur.

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