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Comment la Suisse se hisse en tête des classements sur l’innovation

Groupe d'enfants en train de regarder un robot
La Suisse concentre de la recherche, de la main-d’œuvre hautement qualifiée et une industrie de pointe, en particulier dans des domaines tels que la biotechnologie, la robotique et l’ingénierie. Keystone / Laurent Gillieron


La Suisse domine régulièrement les classements des pays les plus innovants, devant des puissance technologiques comme les Etats-Unis ou la Chine. Comment expliquer ce succès?

Tapez les mots «pays le plus innovant» dans Google ou Bing et vous tomberez inévitablement sur la Suisse. Pour la quatorzième année consécutive, elle empoche le titre de pays le plus innovant selon l’Indice mondial de l’innovationLien externe (GII) de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), basée à Genève. Cet indice, lancé en 2007 par l’INSEAD à Paris, est dorénavant une carte de visite reconnue dans les pays les mieux classés, Suisse en tête.

L’Indice mondial de l’innovation emploie la définition du Manuel d’Oslo de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mis à jour en 2018, ce manuel définit l’innovation comme un produit ou un processus (ou une combinaison des deux) nouveau ou amélioré, qui diffère sensiblement des produits ou processus précédents d’une unité et qui a été mis à la disposition d’usagers potentiels (produit) ou mis en œuvre par l’unité (processus).

«La Suisse obtient des résultats élevés sur de nombreux indicateurs, la plupart en réalité, explique Sacha Wunsch-Vincent, à la tête du dossier GII au Département de l’économie et de l’analyse des données de l’OMPI. Et compte tenu des données, de notre expérience du système d’innovation suisse et des évolutions récentes, il apparaît peu probable que les performances de la Suisse en matière d’innovation régressent de sitôt.»

Outre le GII, la Suisse domine aussi le Tableau de bord européen de l’innovationLien externe 2024.

De fait, la pays est un pôle pour la recherche, la main-d’oeuvre hautement qualifiée et l’industrie de pointe, notamment dans les biotechnologies, la robotique et l’ingénierie. En témoigne le fait que 3% de la populationLien externe, une part élevée, soit titulaire d’un doctorat (PhD).

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Mais le petit pays à cheval sur les Alpes est-il vraiment, comme le suggère l’indice GII, plus innovant que des géants technologiques comme les Etats-Unis ou la Chine? Et où se situe-t-il par rapport à Israël, souvent qualifié de «nation start-up»? Ou de l’Estonie, rebaptisée nation la plus numérisée?

Nous avons exploré l’indice GII pour identifier les explications de la position de la Suisse au sommet du classement.

De bons résultats dans presque tous les domaines

L’Indice mondial de l’innovation évalue 133 pays au moyen de près de 80 indicateurs divisés en deux catégories. La première touche aux intrants. Soit les moteurs de l’innovation que sont par exemple l’environnement réglementaire, les dépenses en recherche et développement (R&D), le nombre de personnes diplômées en science et en ingénierie ou encore les opérations de capital-risque.

La seconde catégorie porte sur les résultats (extrants). Par exemple le nombre de brevets, la valeurs des firmes licornes (les entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars), et la production de nature créative, mesurée par des indicateurs tels que le nombre de longs métrages ou d’applications mobiles produits.

Comme la Suède et les Etats-Unis, qui font partie du trio de tête, la Suisse fait preuve de polyvalence. Elle présente un bon équilibre entre les intrants et les extrants, avec des scores élevés dans les deux catégories. Sans être systématiquement la meilleure, elle réalise d’excellentes performances selon de nombreux indicateurs.

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Cela la distingue de pays comme Israël ou l’Estonie, qui occupent la première marche du podium en matière de valorisation des licornes, de capital-risque engagé ainsi que dans certains indicateurs relatifs aux technologies informatiques, notamment, mais qui obtiennent des scores inférieurs à la Suisse dans la plupart des autres domaines observés.

Les grands pays que sont la Chine et les Etats-Unis surpassent nettement la Suisse pour ce qui est de la diversification industrielle ou de la taille du marché intérieur, mais la Suisse fait mieux sur de nombreux aspects réglementaires.

Un havre pour les firmes étrangères

La Suisse se distingue aussi en matière de recherche, selon notre examen des indicateurs. Elle dispose des meilleures universités de recherche sur le continent et dépense pour la R&D, en pourcentage de PIB, davantage que la moyenne des pays de l’OCDE. En 2023, la Suisse a consacré 24,6 milliards de francs à la recherche et développement, l’équivalent de 3,3% de son PIB. En comparaison, la Chine a très fortement augmenté ses dépenses dans ce domaine l’an dernier (à 458 milliards de francs), mais pour passer de 1% de son PIB en 2000 à 2,5%.

La Suisse réussit particulièrement bien à construire des liens entre universités et industrie, surpassant tous les autres pays en matière de collaboration entre les deux monde sous l’angle de la recherche.

InnoSuisse, l’agence de promotion de l’innovation financée par l’État, subventionne des projets conjoints. «Ça marche, sachant qu’en Suisse, on trouve des universités qui disposent des connaissances de pointe en matière technologique qui concordent avec les besoins des entreprises», explique Martin Wörter, professeur d’économie de l’innovation à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). 

Deux-tiers environ des dépenses en R&D de la Suisse sont le fait de l’industrie, ce qui n’est pas rare en Europe. Ce qui en revanche est unique en Suisse, indique Sacha Wunsch-Vincent, c’est qu’une large partie de ces dépenses sont réalisées par des firmes étrangères. En plus des géants suisses leaders en matière de R&D comme Nestlé, Roche et Novartis, nombre d’acteurs mondiaux, à l’exemple de Google ou Philip Morris International, disposent de centres de recherche en Suisse.

«Il est très rare d’observer ailleurs que des activités massives en termes de R&D sont le fait d’entités étrangères, souligne Sacha Wunsch-Vincent. La Suisse est une sorte de havre. L’endroit est accueillant et son écosystème en matière d’innovation bénéficie d’un haut niveau de confiance.» La combinaison de taux de taxation faibles et d’une attitude libérale à l’égard de la réglementation de l’industrie fait du pays un endroit attrayant pour les multinationales.

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Production et brevets

La première position de la Suisse s’explique aussi par un solide système de protection de la propriété intellectuelle. Au moins cinq indicateurs touchant aux brevets ou aux marques entrent en effet en compte dans l’indice.

Rapporté à sa population ou à son PIB, la Suisse a déposé l’an dernier davantage de demandes internationales de dépôts de brevet que n’importe quel autre pays. Ce qui s’explique largement par l’importance de l’industrie biopharmaceutique helvétique, fortement dépendante desdits brevets sur les médicaments. Quelque 80% des exportations suissesLien externe reposent sur des droits de propriété intellectuelle sous une forme ou une autre.

Le secteur manufacturier et d’exportation de la Suisse est également dominé par des domaines de haute technologie comme les machines de précision, les appareils médicaux et les biotechnologies. Ce qui contribue à la situer dans le sommet du classement.

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Des pays comme les Etats-Unis et la Chine dépassent largement la Confédération s’agissant du nombre et de la taille des firmes licornes. En Suisse, au moins 500 nouvelles start-ups sont créées chaque année. Une poignée atteignent le statut de licorne mais aucune n’atteint les niveaux de valorisation de l’américaine SpaceX ou de Bytedance, la firme chinoise à l’origine de TikTok, qui vaut 225 milliards de dollars. La plus grande licorne suisse, Sonarsource, un développeur de logiciels basé à Genève, est valorisée à cinq milliards de dollars.

Nombreuses aussi sont les start-ups helvétiques, actives dans des secteurs propices, à être rachetées par des firmes étrangères pour pouvoir se développer au-delà du petit marché national.

Prime au développement

La Suisse se distingue aussi grâce à sa taille et à la sophistication de ses réglementations. Singapour est le seul pays à se classer systématiquement au-dessus sous l’angle de la stabilité des politiques, de la qualité des réglementations et de l’efficience gouvernementale. L’indice favorise aussi les pays qui sont prêts à accueillir l’innovation. Il accorde ainsi des notes élevées à la connectivité à large bande, à l’accès à l’éducation et à la production d’électricité.

Dans un contexte de politiques protectionnistes accrues en Chine, au Brésil et aux Etats-Unis, la Suisse se singularise aussi par ses indicateurs commerciaux. Les exportations comptent pour 70% de son PIB (2021) – nettement plus que la moyenne de 50% dans l’Union européenne.

«Nous sommes un très petit pays et nous produisons énormément de technologies, de brevets et d’innovations, relève Martin Wörter. Pour réussir sur le plan commercial, nous devons accéder aux marchés internationaux.»

La Suisse bénéficie encore de sa petite traille. Elle compte neuf millions d’habitants, l’équivalent de Séoul, la plus grande ville de Corée du Sud. Or, l’indice classe souvent les pays en fonction du volume de leur population. Ce qui explique par exemple que la Suisse domine l’indicateur relatif à la production de longs métrages par habitant.

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Ce que l’indice ne mesure pas

Mesurer puis comparer la maturité des pays en matière d’innovation n’est pas chose facile. L’indice consacre le niveau d’innovation à un moment donné mais pas nécessairement les progrès enregistrés par les pays ou la rapidité à innover. L’Arabie saoudite, le Qatar, le Brésil, l’Indonésie, l’île Maurice et le Pakistan ont le plus progressé dans le classement ces cinq dernières années, mais ils continuent à faire moins bien que la Suisse selon le GII.

Certains indicateurs comme les brevets ont aussi leurs limites pour mesurer l’innovation. Ils rendent compte des inventions, de la création de quelque chose de nouveau, mais pas de la valeur qu’elle engendre, précise Yann Rousselot-Pailley, responsable du domaine innovation et technologies émergentes au sein du cabinet de conseil KPMG en Arabie saoudite.

«L’innovation consiste à se saisir de cette invention et en faire de l’argent ou améliorer la qualité de vie des citoyens», explique le consultant. Les indicateurs permettant de rendre compte de la commercialisation des inventions sont à ses yeux de meilleures jauges de l’innovation. Mais même les mesures de type financier, comme le chiffre des ventes ou la valorisation de l’entreprise, ne saisissent pas son impact sur la société en général.

L’innovation et ses modalités sont très changeantes. Cela complique encore le recours à certains indicateurs pour les comparaisons internationales. Beaucoup d’entreprises de nouvelles technologies misent sur un système d’innovation ouvert et s’appuient sur les secrets commerciaux et la rapidité de mise sur le marché plutôt que sur les brevets pour protéger une invention.

Des pays comme la Chine et l’Arabie saoudite tendent aussi à dynamiter les usages occidentaux en matière d’innovation, lesquels reposent davantage sur une dynamique du bas vers le haut et sur l’action des capital-risqueurs. Là-bas, le gouvernement joue un rôle plus important, en ne se bornant pas à faciliter l’innovation mais en la produisant.

Huawei, Tencent et Alibaba, les plus gros acteurs chinois en termes d’investissement en R&D, ont tous été fondés ces quarante dernières années. Leurs équivalents suisses, Roche, Novartis et Nestlé, ont plus d’un siècle. En Suisse, les investissements en R&D se concentrent sur un nombre réduit de firmes, au contraire de ce qui s’observe dans les pays plus grands.

«Il n’est pas possible de comparer la Suisse et la Chine», estime Mark Greeven, professeur d’innovation à l’IMD de Hong Kong. Leur taille n’a rien à voir mais c’est également le cas de «leurs systèmes d’innovation si différents – différents objectifs, différente gouvernance, types d’entreprises différents.»

Texte relu et vérifié par Virgine Mangin/gw, traduit de l’anglais par Pierre-François Besson/ptur

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