Les Suisses balaient l’initiative sur la taxation des gros héritages
L’introduction d’un impôt fédéral sur les successions des grandes fortunes a été refusée à plus de 78% et par la totalité des cantons en votations fédérales ce dimanche.
Les sondages de la SSR avaient prédit un échec cuisant à l’initiativeLien externe voulant imposer l’héritage des plus riches pour financer la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce scénario s’est confirmé: l’objet a été sèchement refusé, par 78,3% de l’électorat et dans la totalité des cantons.
En Suisse romande, les citoyennes et citoyens ont rejeté l’initiative par 83,5% des voix en Valais, 74,6% à Fribourg, 70,7% dans le canton de Vaud, 70,9% dans le Jura, 68,6% à Neuchâtel, 68,1% dans le canton de Genève et 76,3% à Berne.
Le refus est également très net au Tessin, qui a balayé le texte par 79,4% des voix, et encore plus massif en Suisse alémanique, où les taux de refus dépassent les 80% dans plusieurs cantons.
Le taux de participation s’est élevé à 43%.
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Faire contribuer davantage les plus riches à la protection du climat
L’initiative, intitulée «Pour une politique climatique sociale financée de manière juste fiscalementLien externe», visait l’introduction d’un impôt sur les transmissions de très gros patrimoines. Elle proposait d’imposer une taxe de 50% sur les héritages ou les donations à partir de 50 millions de francs, avec effet rétroactif. Les recettes auraient dû être allouées à la lutte contre le changement climatique et au financement de projets durables.
Les Jeunes socialistes, à l’origine du texte, arguent que les plus riches doivent contribuer davantage à la protection du climat, car leur mode de vie est responsable de la majorité des émissions de gaz à effet de serre.
L’initiative aurait essentiellement ponctionné les quelque trois cents ménages disposant d’un patrimoine dépassant 200 millions de francs, ou moins de 2 foyers fiscaux sur 10’000, d’après une étude du professeur Marius Brülhart de l’Université de LausanneLien externe.
>> Lire notre article expliquant les enjeux de la votation:
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Recettes fiscales ou «autogoal»?
Pour le comité d’initiative, le nouvel impôt aurait généré en moyenne 6 milliards de recettes par an; mais le calcul des adversaires de l’initiative, au rang desquels figurait le Conseil fédéral, était beaucoup plus modeste.
Selon les estimations de Marius BrülhartLien externe, l’initiative aurait permis de collecter entre 2,5 et 5 milliards de francs d’impôts supplémentaires – à condition que le comportement des contribuables concernés ne change pas. Or, la nouvelle taxation proposée aurait probablement poussé une partie de ces super-riches et de ces entreprises à quitter la Suisse, ou les aurait dissuadés de s’y installer.
«Un autogoal fiscal est possible», a résumé le spécialiste dans son analyse, estimant que l’initiative aurait entraîné la fuite de la majorité du potentiel fiscal de ces contribuables. La Confédération a également averti Lien externequ’elle «pourrait entraîner une diminution des recettes». Au final, l’effet net de l’initiative sur les recettes fiscales se serait situé entre une perte de 700 millions et un gain de 300 millions de francs.
«Un hold-up de la part de l’État»
Le sondage gfs.bern a montré que ces doutes sur l’efficacité d’un tel impôt, et la probabilité que les riches contribuables quittent la Suisse, ont convaincu une majorité de l’électorat de glisser un non dans leur enveloppe de vote.
La population a compris que taxer 50% de l’héritage, ce n’est pas une perception d’impôts mais «un hold-up de la part de l’État», a réagi la sénatrice libérale-radicale (PLR) Johanna Gapany, dimanche sur les ondes de la RTS.
Le système fiscal progressif impose déjà davantage les plus riches que les moins riches, a souligné de son côté Benjamin Mühlemann, coprésident du PLR, à la télévision alémanique SRF, ajoutant que les plus riches contribuent de manière disproportionnée à l’impôt fédéral.
Dans un communiqué saluant le rejet du texte, l’alliance pour le «non» (composée du PLR, de l’UDC, du Centre, des Vert’libéraux et d’associations économiques) indique y voir un «rejet ferme des politiques cherchant à sanctionner la propriété privée et l’entrepreneuriat».
Ne pas pénaliser les entreprises
L’autre argument majeur en faveur du non a en effet été la crainte que le nouvel impôt ne pénalise les entreprises. Plus de deux tiers des personnes interrogées par l’institut de sondage gfs.bern disaient craindre que les personnes héritant d’une entreprise ne disposent pas d’assez de liquidités pour s’acquitter de la taxe et soient contraintes de la vendre.
Pendant la campagne, les contribuables qui auraient été concernés ont fait valoir qu’ils investissaient leur fortune en grande partie dans leurs entreprises, et que ces dernières généraient de l’emploi et de la compétitivité.
Pour la conseillère aux États Johanna Gapany, la population a compris qu’il y avait souvent des entreprises derrière les fortunes visées par le texte. «À partir du moment où l’on encourage une entreprise soit à délocaliser, soit à mettre la clé sous la porte, parce que l’État considère qu’il a besoin de 50% de l’héritage, ce n’est pas la bonne voie à suivre», a-t-elle estimé.
La contribution des plus riches reste un thème
À noter encore que, bien qu’il n’existe pas actuellement d’impôt sur les successions à l’échelon fédéral en Suisse, cette forme de taxation existe dans la grande majorité des cantons.
Les taux d’imposition et les modalités sont très hétérogènes à l’échelle du pays mais, dans l’ensemble, la pratique actuelle en Suisse est alignée sur ce qui se fait dans la plupart des pays de l’OCDE, comme nous l’expliquons dans l’article ci-dessous:
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Bien que le problème soulevé par l’initiative ait été éclipsé au fil de la campagne par les difficultés qu’elle aurait générées, une majorité des personnes interrogées lors du sondage gfs.bern pensent néanmoins que les ultra-riches devraient contribuer davantage à la protection du climat.
Sur le plateau de la SRF, la présidente de la Jeunesse socialiste (JS) Mirjam Hostetmann a affirmé que l’imposition des riches n’était pas abandonnée, estimant qu’il faudrait plusieurs tentatives pour y parvenir.
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«En Suisse, les bonnes idées ont besoin de temps», a commenté le coprésident du Parti socialiste, Cédric Wermuth. Il a rappelé que le thème des inégalités restait important pour la population. Selon lui, il faut «une meilleure proposition» pour la redistribution.
«Les riches deviennent toujours plus riches et la classe moyenne s’appauvrit. Il faut essayer de répartir cette richesse d’une manière qui soit correcte, a souligné à la RTS Marie Levrat, députée au Parlement fribourgeois et jeune socialiste. Dans le même temps, il faut lutter contre le réchauffement climatique de manière beaucoup plus incisive.»
Selon elle, malgré l’échec cinglant de leur texte dans les urnes, les Jeunes socialistes sont parvenus à porter ces deux messages.
La plupart des Jeunes socialistes interrogés ce dimanche ont déclaré ne pas être surpris par l’issue du vote, invoquant notamment le fait que le budget de campagne des adversaires du texte était presque dix fois supérieur au leur.
Selon le Contrôle fédéral des FinancesLien externe, un peu moins de 400’000 francs ont été dépensés par la Jeunesse socialiste en faveur du oui. En face, 3,67 millions de francs ont été investis dans la campagne adverse, dont 1,24 millions par l’Alliance en faveur du non, 950’000 francs par le PLR, 750’000 francs par Swiss Family Business, une plateforme représentant les entreprises familiales, et 300’000 francs par Economiesuisse.
Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg
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