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Asile: La solidarité des villes freinée par le fédéralisme

des manifestants
Des défenseurs des droits humains manifestent devant le Parlement européen à Bruxelles le 17 septembre pour que les pays membres de l'UE accueillent davantage de réfugiés des camps grecs. Keystone / Olivier Hoslet

À l’approche de l’hiver, des villes européennes et suisses souhaitent accueillir des réfugiés en provenance du camp grec de Moria, dévasté par les flammes il y a un mois. Mais cet élan peine à se concrétiser.

Plusieurs villes suisses manifestent leur solidarité envers les migrants du camp de Moria, en Grèce, dévasté par les flammes il y a tout juste un mois. Soit par des dons en espèces soit par des appels du pied à la Confédération pour que le gouvernement suisse organise au plus vite une conférence nationale afin de faciliter l’accueil de migrants, prioritairement des enfants non accompagnés.

D’abord lancé par la ville de Zurich, horrifiée à la vue du sinistre de Moria, l’appel a été relayé par les autorités des villes de Genève, Berne ou Lausanne. Un élan humanitaire approuvé aussi dans des chefs-lieux plus petits, à Fribourg ou Delémont. «La Confédération doit saisir cette opportunité», intiment les exécutifs genevois et lausannois face à «une situation d’une extrême urgence».

Partenaires essentiels

En appelant «à un engagement plus important» de la Suisse, ces villes sont convaincues que les pouvoirs publics ont la possibilité de faire bouger les lignes, d’autant que l’Union européenne est en passe de redessiner sa politique migratoire. C’est au titre de «partenaires essentiels» de la politique suisse en matière d’asile et d’intégration, une prérogative de la Confédération, que ces villes s’invitent dans un débat qui a cours depuis le printemps en Europe via le mouvement «CitiesmustactLien externe» (les villes doivent bouger).

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Lancé à la suite de l’appel en mars de la ville de Berlin pour accueillir 1500 migrants afin d’«alléger la pression dans ces camps épouvantables», «Citiesmustact» veut avant tout délivrer un message aux autorités afin qu’elles revoient leur politique migratoire et s’engagent «à soutenir la relocalisation immédiate» de migrants des îles grecques.

Les huit plus grandes villes suisses (Zurich, Genève, Bâle, Lausanne, Berne, Winterthur, Lucerne, Saint-Gall) n’ont, à l’instar de Berlin, pas attendu le drame de Moria pour afficher leur volonté d’accueillir davantage de migrants. En juin déjà, alors que la situation empirait en mer Égée, plusieurs localités avaient ainsi rappelé leur capacité à prendre en charge «un grand nombre de migrants rapidement et efficacement». Ont-elles été entendues? À la mairie de Genève, on s’impatiente. «Nous n’avons jusqu’ici eu aucun retour de la Confédération», assène Félicien Mazzola, l’adjoint du maire Sami Kanaan. «Une démarche est en cours au sein de l’Union des villes suisses», lâche-t-il, mais ce dernier pointe l’inquiétude du maire de sa ville «face à l’arrivée de problématiques spécifiques à la saison hivernale».

Le Secrétariat d’État aux migrations (SEMLien externe) explique, de son côté, avoir pris note des préoccupations des villes, mais précise aussitôt que la compétence en matière d’asile reste stricto sensu de la responsabilité du gouvernement fédéral. La ministre responsable de l’application juridique de ce dossier, Karin Keller-Sutter, a pris langue au milieu du mois de septembre avec les responsables cantonaux chargés de concrétiser à leur échelle, juridiquement et socialement, la politique d’asile. Il est ressorti de ces discussions que la priorité reste avant tout l’aide humanitaire que la Suisse délivre sur place.

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Des réfugiés attendent à côté du nouveau camp de Kara Tepe à Lesbos, construit à la hâte après l’incendie de Moria. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved

Transfert à venir

Au-delà de ce viatique, une vingtaine d’enfants de Moria vont pouvoir bientôt bénéficier d’un accueil en Suisse. «L’organisation de leur transfert est en cours», nous confirme Emmanuelle Jacquet von Sury, porte-parole du SEM, mais sans que la date de leur arrivée ne soit fixée. «Notre pays a déjà fait venir depuis la Grèce plus tôt cette année 52 requérants d’asile mineurs non accompagnés ayant des attaches familiales en Suisse», ajoute-t-elle.

Quant à savoir si le nombre fixe de 20 jeunes migrants sera augmenté sous la pression des villes et du remodelage de la politique migratoire européenne, le SEM entrouvre la porte à une possible évolution: «Dans le cas où un programme européen de relocalisation sur le long terme serait proposé, le Département fédéral de Justice et Police — celui de Karin Keller-Sutter — pourrait examiner une éventuelle participation», explique-t-on à Berne.

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Aide d’urgence

En réaction à l’incendie qui a laissé sans toit environ 12’500 migrants, la Confédération a très vite livré sur place du matériel de première nécessité et envoyé du personnel rodé aux situations extrêmes (le Corps suisse d’aide humanitaire). Avec pour mission de rétablir l’accès à l’eau potable et d’apporter un soutien afin de réduire au maximum les risques sanitaires en période de coronavirus. Cinq tonnes de matériel de secours (tentes, générateurs, réservoirs d’eau, etc.) ont ainsi été acheminées par la Suisse vers Lesbos. Et près de 40’000 masques de protection ont aussi été distribués par la Direction du développement et de la coopération (DDCLien externe) au principal hôpital de l’île. Une action humanitaire qui a pris fin le 30 septembre et qui aura permis de rétablir l’accès à l’eau potable pour environ 10’000 personnes.

Le directeur adjoint de la DDC, Manuel Bessler, s’est lui-même rendu sur place à la fin du mois dernier pour tirer ce constat: «Il est temps de passer le flambeau aux agences et aux ONG». Mais des experts suisses pourraient tout de même être amenés à s’investir à nouveau sur place en fonction de la situation. De leur côté, les autorités grecques ont érigé un nouveau Centre d’enregistrement et d’identification temporaire susceptible d’accueillir 10’000 réfugiés.

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La Suisse a participé à l’aide d’urgence mise en place à Lesbos après l’incendie du camp de Moria. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved

Au lendemain du drame, Karin Keller-Sutter avait elle aussi martelé chez nos confrères de la radio-télévision alémanique SRF que la mission humanitaire primait. «Les villes suisses n’ont pas la possibilité elles-mêmes d’accueillir directement des migrants», avait-elle indiqué, expliquant qu’il est du ressort des cantons de répartir ensuite ces personnes dans les villes qui le souhaitent le plus.

Où les loger?

Dans le canton du Jura, le maire de Delémont n’a pas tardé à annoncer, peu après l’incendie de Moria, que sa localité de 13’000 habitants était disposée à réceptionner des enfants, voire des familles du camp «dans la mesure des disponibilités». Damien Chappuis attend aussi une réponse du Département de Justice et Police. Ses questions sont liées à l’hébergement des jeunes réfugiés. Comment des villes comme la sienne devront-elles procéder une fois les migrants débarqués? «Devrons-nous les loger dans des structures spéciales, des centres ou chez l’habitant?», s’interroge-t-il.

Sur la vingtaine d’enfants de Moria attendus en Suisse, le chef-lieu jurassien serait disposé à en prendre déjà un quart. «Entre quatre et cinq», estime Damien Chappuis. «Mais l’impulsion doit venir d’en haut, de la Confédération, plutôt que des localités elles-mêmes», juge-t-il.

Dans le canton de Neuchâtel, un débat s’est déroulé à la fin du mois de septembre devant le Grand Conseil (législatif cantonal). Celui-ci a été ponctué du vote d’une résolution urgente qui demande au Conseil fédéral d’augmenter le quota de réfugiés en provenance de l’île de Lesbos. Une forte majorité d’élus estime que le nombre de vingt «n’est pas à la hauteur de la tradition humanitaire suisse». Rien que la ville de Neuchâtel s’engage à en accueillir déjà une cinquantaine.

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