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«L’Europe n’est plus au centre des intérêts américains»

Alfred Defago: ne pas évaluer l'ensemble des relations américano-suisses à l'aune du seul problème en cours! Pixsil

Alors que Barack Obama a conclu son premier voyage présidentiel en Europe, Alfred Defago, ex-ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis, évoque une relation fragile.

Alfred Defago, dont le dernier livre «Die USA, Barack Obama und der Amerikanische Traum» («Les Etats-Unis, Barack Obama et le rêve américain») sort ces jours, est professeur de relations internationales à l’Université du Wisconsin.

Il était ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis à la fin des années 1990, au moment où les relations entre les deux pays s’étaient tendues suite à l’affaire des comptes en déshérence des victimes de l’Holocauste.

swissinfo: Pourquoi avez-vous écrit ce livre?

Alfred Defago: Je constate une grande méconnaissance de ce qui se passe outre-Atlantique. Avec l’avènement de Barack Obama, les Européens soudainement sont plus ouverts vis-à-vis des USA. Ils pensent que Obama pourra presque tout changer et de ce fait, il est parfois l’objet d’une admiration aveugle de la part des Européens, qui ont apparemment une vision ultra-optimiste de l’Amérique.

Paradoxalement, j’ai aussi l’impression que le culte Obama est le contre-pied de la haine pour Bush et pour ‘l’autre Amérique’. Dans les deux cas, les Européens sont loin d’avoir une vision réaliste et équilibrée des Etats-Unis.

swissinfo: Y a-t-il un projet de traduction du livre en anglais?

A.D.: Non. C’est un livre qui n’a de sens que pour un public européen. Pour les Américains, j’aurais dû écrire un livre totalement différent, dans lequel j’expliquerais aux Américains ce qu’ils considèrent parfois comme une attitude bizarre de la part des Européens.

swissinfo: Barack Obama obtient toujours un indice de confiance élevé, mais il a vécu quelques semaines difficiles. Quels sont ses plus gros défis à venir?

A.D.: Indiscutablement tenir les promesses qu’il a faites durant sa campagne électorale. Il était le candidat de l’espoir et des promesses, il y a donc une grosse attente et maintenant évidemment, il rencontre des difficultés pour réaliser ce qu’il a promis.

Nous verrons. L’espoir est encore toujours présent, mais ça ne durera pas toujours. Je pense que les gens auront encore un peu de patience. Par contre si aucun changement n’est perceptible avant le début de l’hiver, aussi bien économiquement que moralement ou intellectuellement, il pourrait rencontrer de sérieux soucis, car les gens vont se tourner vers d’autres solutions. Il y aura des élections en novembre 2010 qui pourraient tourner en un Waterloo démocrate.

swissinfo: Les Pères Fondateurs des Etats-Unis ont défini le rêve américain comme étant ‘la vie, la liberté et la quête du bonheur’. Cette définition est-elle toujours d’actualité?

A.D.: Oui certainement, mais comme pour tous les rêves, la définition est vague. C’est un rêve opportuniste pour tous ceux qui souhaitent réaliser une prospérité matérielle. On y trouve aussi un certain sens spirituel. Je pense que son côté vague en fait sa faiblesse, mais en même temps sa force.

Le concept a toujours été controversé aux Etats-Unis parce que pour beaucoup d’Américains c’est un rêve inaccessible. Un grand nombre d’entre eux a été fortement déçu, mais le rêve reste présent et le fait qu’Obama ait été élu président a certainement offert une cure de jouvence au rêve américain.

swissinfo: Vous traitez aussi de la politique étrangère. Jusqu’à quel point le livre n’aurait-il pas pu s’intituler «Le rêve mondial»?

A.D.: Je mets l’accent sur les relations américano-européennes et je me base sur le fait que, jusqu’à un certain point, le rêve américain est unique. Les Européens sont terriblement influencés par l’histoire et ont donc une approche du rêve beaucoup plus terre-à-terre, voir même parfois cynique ou sarcastique. Je pense qu’ils sont fascinés par la carrière d’Obama, car dans la plupart des pays européens, ça n’aurait pas été possible.

Les Etats-Unis sont une nation fondamentalement optimiste. Les gens pensent sincèrement qu’un redressement est possible et que dans deux ou trois ans, tout sera rentré dans l’ordre.

swissinfo: Etes-vous, vous-même, optimiste?

A.D.: Je suis plutôt sceptique concernant les plans économiques d’Obama. Ses propositions pour résoudre les problèmes sont peut-être trop détaillées. En observant la réaction des Européens envers ses mesures de relance économiques, les vieilles tensions resurgissent. Par exemple le 26 mars dernier, le Premier ministre tchèque, Mirek Topolanek a dit que les remèdes américains concernant la crise mondiale ressemblaient à ‘la route vers l’enfer’.

swissinfo: Cet enfer mis à part, comment voyez-vous les relations entre l’Europe et les Etats-Unis?

A.D.: Je pense que les relations seront meilleures, mais ce n’est pas difficile après la présidence Bush. Les relations vont encore s’améliorer, mais de vieilles querelles resteront latentes, en particulier à travers le constat que l’Europe n’est plus le centre d’intérêt de l’Amérique.

Ce n’est pas un hasard si les premiers contacts de Barack Obama ont été noués avec les pays d’Asie et du Moyen-Orient. La secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, a effectué son premier voyage officiel l’étranger en Asie de l’Est. Elle est également venue en Europe, mais il est clair que l’Amérique a une vue plus ‘Pacifique’ des problèmes mondiaux. L’Europe ne devra pas être surprise de jouer, au mieux, les seconds rôles.

swissinfo: Les relations américano-suisses sont plutôt tendues en ce moment. Etes-vous surpris de la façon dont le gouvernement américain a pointé du doigt le secret bancaire suisse?

A.D.: Pas vraiment. J’ai annoncé en janvier, avant qu’Obama n’entre en fonction, que la situation deviendrait inconfortable pour la Suisse si les Etats-Unis et l’Europe coordonnaient leurs efforts pour venir à bout du secret bancaire suisse.

C’est ce qui est arrivé, pas parce que les Américains ont révélé le problème de leur côté mais parce que la Suisse a été confrontée à une coalition de pays qui souhaitaient abolir le secret bancaire en tant qu’élément clé des relations économiques internationales de la Suisse.

swissinfo: Comment la Suisse est-elle perçue aux Etats-Unis?

A.D.: Globalement très bien, mais les Américains ont une vision de la politique qui compartimente les relations: ils peuvent dire «nos relations sont réparties en dix boîtes et dans huit d’entre elles, les relations sont excellentes, dans la neuvième elles sont bonnes et dans la dixième, le secret bancaire, il y a de sérieux problèmes à résoudre».

Les Suisses ont quant à eux tendance à voir leurs relations dans la globalité et si quelque chose ne va pas, ils pensent que toute la relation en est compromise. Nous, les Suisses, devrions apprendre à voir nos relations comme un gros container, avec beaucoup de boîtes à l’intérieur, et essayer de résoudre les problèmes boîte par boîte.

Interview swissinfo, Thomas Stephens
(Traduction et adaptation de l’anglais: Philippe Varrin)

Barack Obama a participé au sommet du G20 à Londres, puis à celui de et l’OTAN à Strasbourg.

Dimanche 5 avril, il a participé à Prague au sommet Union européenne-Etats-Unis. Le président américain s’est prononcé en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne (UE) et s’est aussitôt vu adresser une fin de non-recevoir par Nicolas Sarkozy.

Cette tournée officielle s’est conclue par une halte en Turquie justement.

Durant son voyage européen, de manière générale, Barack Obama a privilégié a prôné un rapprochement entre les Etats-Unis et l’UE.

Les Etats-Unis sont le partenaire économique principal de la Suisse hors de l’Europe.

Les exportations suisses ont atteint la somme de 18.32 milliards de francs suisses, alors que les importations américaines atteignent 9.43 milliards de francs.

Les Etats-Unis sont la destination principale des investissements directs suisses.

Les deux pays ont signé en 2006 l’accord instituant le Forum de coopération sur le commerce et l’investissement.

En 2007, 73978 expatriés suisses vivaient aux Etats-Unis.

Alfred Defago est né à Coire (Grisons) en 1942. Il a obtenu un doctorat en histoire et littérature allemande à l’Université de Berne. Depuis 2001, il enseigne les relations internationales à l’Université du Wisconsin.

En tant que diplomate, il a été notamment Consul général de Suisse à New York de 1994 à 1997 et ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis de 1997 à 2001.

Auparavant, Alfred Defago avait débuté sa carrière à la Société suisse de Radiodiffusion, devenue SRG SSR Idée suisse, société-mère de swissinfo.

Il a été directeur de l’Office fédéral de la culture de 1986 à 1993.

Son dernier livre, intitulé «Die USA, Barack Obama und der Amerikanische Traum», pose les questions suivantes: Où vont les Etats-Unis d’Obama? Obama pourra-t-il sortir son pays de la crise actuelle ? Peut-il répondre aux nombreuses attentes placées en lui? Comment la politique d’Obama va-t-elle avoir une influence sur l’Europe?

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