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Le monde politique suisse s’empare du pouvoir d’achat

Clients à la caisse d un supermarché de hard-discount
L'inflation affecte de manière disproportionnée les ménages aux revenus les plus faibles. © Keystone / Gaetan Bally

Bien que l’inflation soit comparativement modérée en Suisse, la hausse des prix de l’énergie et de certaines denrées de base risque de peser lourd sur les petits budgets. La question des mesures pour le pouvoir d’achat, jusqu’ici écartée par le gouvernement, sera bientôt au programme du Parlement.

Comme ailleurs, l’inflation et la crainte d’une érosion du pouvoir d’achat sont des sujets brûlants en Suisse. Elles constitueront un thème phare de la session parlementaire en cours, avec des débats extraordinaires prévus le mercredi 21 et le lundi 26 septembre. Des élu-es de différents bords politiques tenteront d’obtenir du gouvernement des mesures d’aide pour soulager le budget des ménages, à l’instar de ce qui se fait déjà dans plusieurs pays voisins.

En amont des débats, on fait le point sur la situation en Suisse et les différents dispositifs proposés.

  • Pourquoi la Suisse est-elle moins touchée par l’inflation que les autres pays?

Les problèmes d’approvisionnement liés à la pandémie de Covid-19 et la forte reprise de la demande mondiale consécutive à la crise sanitaire ont fait s’envoler les prix de l’énergie et des matières premières. La guerre en Ukraine a encore accentué le phénomène. La tendance au renchérissement est donc globale, et touche aussi la Suisse.

L’inflation y est toutefois restée contenue jusqu’à présent par rapport à d’autres pays. L’indice global des prix à la consommation a progressé de 3,5% sur un an en Suisse, contre près de 10% dans l’Union européenne et plus de 8% aux Etats-Unis.

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Dans le détail, les prix de l’énergie ont augmenté de 28% et ceux des denrées alimentaires de 2% en Suisse, contre respectivement 38% et 10,6% dans la zone euro.

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La force actuelle de la devise helvétique joue le rôle de tampon. «L’euro a perdu quasiment 10 centimes face au franc depuis le début de l’année, ce qui veut dire que les marchandises importées sont d’autant moins chères », explique Mathieu GrobétyLien externe, directeur de l’Institut d’économie appliquée de l’Université de Lausanne. Cela concerne un quart des produits consommés en Suisse.

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Le spécialiste ajoute que les prix de l’énergie sont un peu moins soumis aux fluctuations internationales qu’ailleurs, en raison d’un marché régulé où une partie de la tarification est fixée à l’avance, et d’une part plus importante d’énergies renouvelables, produites par les barrages.

Mathieu Grobéty
Mathieu Grobéty Fabrice Ducrest / UNIL

La situation géographique de la Suisse au cœur de la zone euro et la menace du tourisme d’achat ont aussi sûrement joué un rôle, selon l’économiste. Les distributeurs suisses d’alimentation n’auraient pas répercuté immédiatement la hausse des coûts mondiaux pour ne pas inciter davantage les consommateurs et consommatrices à faire leurs achats à l’étranger. Mathieu Grobéty s’attend encore à un «rattrapage jusqu’à la fin de l’année, puis à un ralentissement de l’inflation à partir du début 2023».

  • Comment l’inflation se manifeste-t-elle en Suisse?

Les tarifs de nombreux produits de consommation courante, surtout énergétiques, ont augmenté sur un an. Le mazout, utilisé par près de 40% des ménages helvétiques pour le chauffage, a quasiment doublé, et le prix du gaz a bondi de près de 60%.

Les tarifs de l’électricité sont annoncés une fois par an, fin août. Une augmentation de 27% en moyenne a été annoncée pour 2023, avec de grandes disparités selon les endroits – en Suisse le réseau est géré localement, par environ 600 fournisseurs. Certaines communes subiront des hausses record, à l’exemple de Saint-Prex, dans le canton de Vaud, où la facture s’alourdira de 1600%.

Des aliments de base comme les huiles ou les pâtes se sont renchéris de plus de 10%. Ces augmentations commencent à se percevoir de manière concrète sur le budget des ménages. Selon l’Office fédéral de la statistiqueLien externe (OFS), un foyer dépensait en moyenne 535 francs en produits alimentaires chaque mois au premier trimestre 2020, contre 586 francs au deuxième trimestre 2022. La part moyenne du revenu consacrée à l’alimentation est passée de 5,5% à 6% dans l’intervalle.

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Un autre important poste de dépense en Suisse, qui ne figure pas dans l’indice des prix à la consommation, est celui des primes de l’assurance maladie obligatoire. Les spécialistes s’attendent à une hausse comprise entre 5% et 10% pour 2023 – alors qu’elles ont baissé en moyenne de 0,2% cette année, et avaient progressé de 0,5% en 2021.

Les salaires n’ont pour l’heure pas suivi la tendance à la hausse. En 2021, un léger recul des salaires cumulé à l’inflation a fait perdre 0,8% de pouvoir d’achat aux salarié-es, selon l’OFSLien externe. On ne dispose pas encore de tels chiffres pour 2022.

  • Ces hausses de prix sont-elles supportables par la population?

Le revenu moyen en Suisse est plus important que dans la plupart des autres pays. La part du revenu consacrée à l’alimentation et à l’énergie, les produits dont les prix ont le plus augmenté, y est donc plus faible qu’ailleurs, explique Mathieu Grobéty. «En Suisse, ils représentent 20% du panier moyen, contre 30% dans la zone euro», note l’économiste.

Mais l’inflation affecte de manière disproportionnée les ménages aux revenus les plus faibles, et ceux dont une part importante du budget est consacrée à l’énergie. «L’inflation agit comme une taxe, résume le chercheur. Du jour au lendemain, certains ménages voient leurs revenus amputés, et de plus de 3,5%, puisqu’ils consomment une plus grande part de produits dont les prix ont le plus augmenté.» C’est pourquoi des mesures pour les foyers les plus affectés par l’inflation sont importantes d’un point de vue social, estime-t-il.

  • Quelles mesures existent pour préserver le pouvoir d’achat, et sont-elles efficaces?

Face à la flambée des prix, plusieurs pays ont adopté diverses mesures exceptionnelles. Remises étatiques sur le carburant, plafonnement des hausses de loyers ou des tarifs de l’énergie, revalorisation des retraites, des salaires des fonctionnaires et de certaines prestations sociales – par exemple en France – ou encore chèques énergie ou subventionnement des abonnements de transports publics, comme en Allemagne.

«Toutes les mesures non ciblées prises par les gouvernements pour maintenir le pouvoir d’achat, comme les remises sur le carburant, peuvent être contre-productives, analyse Mathieu Grobéty. Elles vont stimuler la demande, or, les banques centrales essaient de diminuer la demande pour contenir les pressions inflationnistes.» Pour Mathieu Grobéty, les dispositifs qui agissent sur les prix de l’énergie, comme les chèques énergie, peuvent aussi avoir un effet pervers mais pour une autre raison: «l’augmentation des prix est un moyen très efficace d’engendrer les changements de comportements nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques.»

Pour le chercheur, le meilleur moyen serait de cibler la petite partie de la population qui a besoin d’être aidée, par exemple par le biais de déductions fiscales, de subsides, voire de chèques – à condition qu’ils puissent être dépensés autrement qu’en énergie.

  • Et en Suisse?

La balle est désormais dans le camp du Parlement. Lors de la session extraordinaire prévue les 21 et 26 septembre, les parlementaires débattront de différentes propositions, émanant principalement de la gauche et du centre. Il sera question d’adapter en urgence les retraites pour compenser le renchérissement et d’augmenter la contribution fédérale aux subsides d’assurance maladie versés aux ménages modestes. Une «allocation énergie» temporaire, ciblée sur les ménages les plus vulnérables, et un «chèque fédéral» pour la classe moyenne seront aussi discutés.

Opposée à de tels dispositifs qu’elle juge trop chers, l’UDC (droite conservatrice) préconise pour sa part des allègements fiscaux, comme la déductibilité des primes d’assurance-maladie, la suppression des taxes sur les huiles minérales pour réduire le prix des carburants et la suppression de l’imposition de la valeur locative pour les retraités.

Jusqu’ici, le Conseil fédéral s’est refusé à intervenir et s’oppose à l’intégralité des propositions. La majorité du gouvernement considère que l’inflation reste supportable, compte tenu de la croissance qui se poursuit et d’un taux de chômage historiquement bas. Il est également d’avis que certaines mesures proposées, trop larges, risqueraient d’être contre-productives, en plus d’être coûteuses pour les finances fédérales. Reste désormais à savoir si les parlementaires peuvent infléchir sa position.

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