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Sens des priorités ou manque de stratégie?

La décision sur le remplacement des vieux Tiger est attendue depuis des années. Keystone

En reportant à 2015 toute décision sur l’achat de nouveaux avions de combat, le gouvernement divise la presse suisse. Pour les uns, le choix est judicieux par temps de caisses vides, alors que les autres crient à l’absence de vision et tapent sur le ministre de la Défense Ueli Maurer.

«Les forces aériennes et la droite politique rêvent d’achats d’armement qui ne sont simplement pas possibles» dans la situation financière actuelle, rappellent froidement le Tages Anzeiger de Zurich et le Bund de Berne. Et le ministre de la Défense a peur d’appeler les choses par leur nom.

Or, «une vision réaliste des menaces», réduit à néant les désirs de l’armée de l’air. Plus généralement, cette vision réaliste devrait «conduire à une armée plus petite, avec nettement moins de soldats en cours de répétition», jugent les deux quotidiens.

La Basler Zeitung trouve elle aussi que la décision du gouvernement est juste. Les priorités ne sont pas dans l’achat de nouveaux avions, mais plutôt dans la logistique, l’informatique et l’armement du simple soldat. «Dans les années à venir, il n’y a pas d’ennemi militaire en vue, écrit le quotidien bâlois. Pour ses tâches de police des airs, l’armée suisse est bien pourvue avec ses avions actuels. Et ceci encore pour longtemps».

«Calculs d’épicier»

A l’opposé, 24 heures voit carrément dans cette décision où les «calculs d’épicier» l’ont emporté sur la vision stratégique un «grounding politique». «Nos sept sages ont peut-être gagné un peu de temps et d’argent, mais ils ont perdu beaucoup de crédibilité», juge le quotidien vaudois.

Et de poursuivre: «C’est tout l’édifice militaire qui est ébranlé par ces hésitations. Comment, quand ceux qui commandent ne savent pas ce qu’ils veulent, faire croire aux simples citoyens soldats que leurs journées sous les drapeaux ont un sens».

Le Temps, lui, s’en prend plus directement à Ueli Maurer, qualifié ici de «ministre de l’insécurité», dont les tergiversations «déstabilisent les états-majors, démoralisent les cadres et démobilisent la troupe».

«Dès son entrée en fonction, Ueli Maurer n’a pas fait mystère de son peu de goût à acquérir de nouveaux avions au détriment de l’armée de milice, écrit le quotidien romand. Dans sa vision conservatrice, l’armée est en effet d’abord identitaire avant d’être militaire. La milice comme instrument de la cohésion nationale et expression d’une farouche volonté d’indépendance».

«Hier, il fallait absolument remplacer les Tiger. Aujourd’hui, les F/A 18 suffisent. Si les certitudes d’hier peuvent aussi facilement être balayées, pourquoi demain serait-il encore nécessaire de disposer d’une armée de 95’000 hommes ? Ueli Maurer fournit lui-même arguments et munitions à ses adversaires», conclut Le Temps.

Et la défense anti-missiles?

La NZZ de Zurich doute fortement que la décision du gouvernement soit la bonne. Selon elle, le renoncement temporaire à cet achat place les forces aériennes «dans une situation critique de manque de perspectives».

Le quotidien zurichois se demande en outre si les conditions d’achat seront plus favorables en 2015. Les avions tendent à se faire de plus en plus chers, et l’on approche du point où «une défense aérienne autonome ne sera simplement plus possible» pour la Suisse. Sans compter, ajoute la NZZ, que le ministère de la Défense «n’a rien prévu dans le domaine de la défense anti missiles»…

Victoire pour les pacifistes

La Neue Luzerner Zeitung quant à elle pointe du doigt la déception des trois avionneurs européens «qui ont investi des millions pour rendre leurs machines plus attractives pour la Suisse» et juge «légèrement cynique» la déclaration d’Ueli Maurer lorsqu’il rappelle que deux d’entre eux auraient de toute façon été déçus.

Par contre, relève le quotidien de Suisse centrale, le Groupe pour une Suisse sans armée peut jubiler. Sans avoir à mener de combat électoral, il vient de voir son initiative populaire couronnée de succès: la Suisse n’achètera pas d’avion de combat avant 2020.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch

Pendant la Guerre Froide, les forces armées absorbaient environ un tiers du budget fédéral. Avec près de 700’000 soldats en activité, soit plus de 10% de la population, la Suisse, petit pays neutre, possédait l’une des plus grandes armées de toute l’Europe continentale.

Le 26 novembre 1989, quelques jours après l’effondrement du mur de Berlin, une initiative favorable à la suppression de l’armée était approuvée par un tiers des Suisses. Un choc pour la classe dirigeante, qui a depuis remis fondamentalement en cause la politique de défense nationale, ouvrant un chantier aujourd’hui encore inachevé.

Le premier grand projet de réforme, baptisé Armée 95, a mené à une réduction des effectifs à 400’000 unités dans la seconde moitié des années ’90. Avec la réforme Armée XXI, entrée en vigueur en 2004, leur nombre est descendu à 120’000 soldats actifs et 80’000 réservistes. Le budget a été lui réduit à moins d’un dixième du total des dépenses fédérales.

La Confédération dépense actuellement environ 4,1 milliards de francs pour la politique de sécurité nationale, dont 3,7 milliards pour l’équipement et l’infrastructure de l’armée. Selon le ministre de la Défense Ueli Maurer, les forces armées devraient disposer de 500 à 700 millions supplémentaires pour s’acquitter de leur mandat.

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