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Pour un moratoire international sur les agrocarburants

Keystone

L'explosion du prix des denrées alimentaires accroît la pauvreté dans le monde. Les agrocarburants sont montrés du doigt. Avec d'autres ONG réunies en symposium à Berne, Swissaid réclame un moratoire international sur cette fausse bonne idée opposée au changement climatique.

Le patron de Nestlé n’est pas seul à s’en prendre au boom des agrocarburants, accusés de capter sucre, maïs, soja, huile de palme ou froment au détriment des bouches à nourrir.

Dans un monde où commence une «nouvelle ère de la faim», l’ONG Swissaid et ses partenaires taillent un costard à ces carburants qui, contrairement à leur visée, «n’ont rien de bio», la notion de biocarburants s’avérant trompeuse.

Selon Caroline Morel, directrice de l’ONG, la production de plantes énergétiques «renforce l’agriculture nocive pour l’environnement, réduit la diversité biologique, tout en excluant les petits propriétaires et les paysans» des pays du Sud.

Directrice d’une ONG indienne, Sagari Randas confirme. Avec la monoculture – un passage obligé pour les agrocarburants de la génération actuelle – «les agriculteurs perdent le contrôle de leurs terres. Ces vingt dernières années l’ont montré en Inde».

Terres accaparées

Pour Henry Saragih, secrétaire de Via Campesina en Indonésie, la production d’huile de palme destinée aux agrocarburants vise l’industrie d’exportation plutôt que le marché intérieur.

«Elle accapare les terres, beaucoup de producteurs de riz se tournant vers l’huile de palme. (…) La production d’agrocarburants va aussi relancer les systèmes de plantations coloniaux, avec les formes de travail proches de l’esclavage qui vont avec.»

L’aspect bénéfique pour l’environnement est contesté aussi. «Les agrocarburants vont augmenter le réchauffement climatique plutôt que le réduire», selon Henry Saragih.

Outre leur rendement énergétique médiocre, ces agrocarburants accroissent l’utilisation de produits chimiques, contribuent à la pollution des sols et des eaux, à la déforestation et à la réduction de la biodiversité (captation du CO2), estime l’Indonésien.

L’Afrique est visée

L’Afrique est particulièrement concernée par le problème (voir interview dans la rubrique «Sur le même sujet»). Selon Mamadou Goïta, socioéconomiste du développement malien, on fait «miroiter au continent l’opportunité de s’enrichir avec la manne des agrocarburants».

On? Une alliance de fait regroupant multinationales du pétrole, grandes entreprises du commerce de grains, multinationales des OGM et secteur automobile.

Mamadou Goïta démonte les mythes: les agrocarburants ne vont pas doper l’emploi et le revenu des agriculteurs et des groupes vulnérables comme les femmes et les jeunes. Ils risquent surtout de briser les exploitations familiales à la base de la souveraineté alimentaire en Afrique et de mettre en péril la culture des populations concernées.

En conséquence, ces ONG, réunies en symposium à Berne jeudi, veulent stopper la machine alors que 2% des surfaces agricoles mondiales cultivées – mais 18% en Colombie – sont déjà versées dans la production d’agrocarburants.

Double exigence

Swissaid exige un moratoire international sur la production industrielle de ces carburants. «Afin de ne pas violer le droit fondamental à l’accès à la nourriture», l’ONG demande l’arrêt de leur subventionnement direct ou indirect par le biais d’exonérations fiscales qui stimulent la demande. Un type de mesures d’encouragement que la Suisse introduira pourtant dès juillet

Avec ses partenaires, l’organisation constate que monocultures et plantes génétiquement modifiées (OGM) ne sont pas adaptées à la lutte contre la pauvreté et la faim. Leur recette: une agriculture écologique de cultures mixtes impliquant la diversité des variétés de plantes.

Caroline Morel relève un autre point. Les agrocarburants mélangés aux produits pétroliers ne font que prolonger l’actuel modèle énergétique basé sur les matières premières fossiles. Swissaid exige de la Suisse une politique de l’énergie qui mise sur l’efficience énergétique et les ressources renouvelables.

«Le bois de chauffe en Afrique est un biocarburant, rappelle Mamadou Goïta. Les agrocarburants ne sont qu’une nouvelle agression.»

swissinfo, Pierre-François Besson

Moins de la moitié des récoltes mondiales sont directement utilisées pour l’alimentation humaine. 700 millions de tonnes vont fourrager les animaux de rente et 100 millions de tonnes sont transformés en agrocarburants.

En Suisse, les agrocarburants représentent 0,2% de la consommation générale en carburant. Ils couvrent 1,5% des besoins mondiaux.

L’Union européenne est le plus grand producteur et consommateur de biodiesel de la planète. Le diesel à base de colza, soja et noix de palme couvre 2% de ses besoins en carburant. L’UE vise 10% d’ici 2020. L’équivalent de 19% de la production mondiale de plantes oléagineuses.

Présidée par la sénatrice socialiste Simonetta Somaruga, cette ONG est active dans neuf pays du Sud dont l’Inde et la Birmanie, le Niger et la Tanzanie, l’Equateur et la Colombie.

Dotée d’un budget de 15 millions de francs, dont un tiers assumés par la Direction du développement et de la coopération (DDC), elle menait en 2007 211 projets.

Swissaid n’envoie pas d’experts du Nord vers le Sud. Elle soutient les efforts d’auto-développement de groupes de population parmi les plus pauvres de la planète. Elle appuie aussi les projets d’organisations partenaires locales.

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