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La société civile suisse réfléchit à l’«après-minarets»

En 2005, Thomas Hirschhorn a fait scandale avec son installation «Swiss-Swiss Democracy» au Centre culturel suisse à Paris. Keystone

Ce week-end, une vingtaine d’organisations actives dans la société civile se réunissent à Soleure pour réfléchir aux suites à donner à la votation anti-minarets de novembre. Parmi elles figure «Art+Politique», nouveau groupe constitué il y a trois semaines contre «l’idéologie populiste».

«Peut-on guérir les blessures de la globalisation par un patriotisme folklorique?» C’est l’une des questions soulevées par l’écrivain Daniel de Roulet dans un atelier sur l’image de la Suisse qu’il propose durant cette Assemblée du Landhaus à Soleure.

Invitées par le Club Helvétique, des organisations de défense des droits humains, des migrants, des femmes, des jeunes, etc., se livrent en effet ce week-end à un «brain-storming» sur la manière de «renforcer les droits de l’homme et la démocratie directe (éventuellement au travers d’une initiative populaire)».

Des artistes qui entrent en politique

L’écrivain romand Daniel de Roulet y représente «Art+Politique», un groupe de créateurs qui s’est constitué le 8 mai dernier à Berne contre «l’empoisonnement du climat social et culturel». Objectif: «Créer un réseau et des plates-formes pour définir une politique commune (…) pour chanter le pays réel et se faire entendre contre l’idéologie populiste».

«Pour moi, cela a commencé avec le débat sur la Suisse et la 2e Guerre mondiale, explique Daniel de Roulet. Et puis, en 2004, la droite conservatrice a cherché à supprimer la Commission fédérale contre le racisme; mais il y a aussi les scandales bancaires, la votation sur les minarets, toute une série de gouttes qui ont fait déborder le vase.»

Pour Daniel de Roulet, «il y a des moments dans l’histoire où des artistes se profilent là où on ne les attendait pas, comme Ferdinand Hodler avait protesté contre la déclaration de la 1re Guerre mondiale par l’Allemagne». (A la suite de quoi, ses œuvres avaient été interdites en Allemagne.)

Le «trou» des années 1980

Après la 2e Guerre mondiale, il y a eu des Friedrich Dürrenmatt, Max Frisch ou Hugo Loetscher, ajoute de son côté l’historien Hans-Ulrich Jost. «Cette génération critique a provoqué la controverse. Par exemple, Max Frisch a lancé le débat sur l’immigration avec cette phrase: ‘On avait besoin de main d’œuvre étrangère, mais ce sont des êtres humains qui sont venus’ (Andorra, 1965).»

Parallèlement, la Société suisse des écrivains se déchira jusqu’à la scission à propos du rôle d’indicateurs joué par certains de ses membres pendant la guerre; et aussi après que son président Maurice Zermatten traduisit en français le «Petit livre rouge de la défense civile», lequel préconisait la méfiance envers les écrivains subversifs.

On relèvera au passage que la critique ironique n’a jamais été le fort des écrivains romands. Il y a eu plutôt une veine d’extrême droite, par exemple avec Gonzague de Reynold. De son côté, Jacques Chessex avait attendu 2009 pour écrire une critique de l’antisémitisme en Suisse. Du reste, Daniel de Roulet (bilingue par sa mère) est le seul Romand d’Art+Politique. Pourquoi? Hans-Ulrich Jost l’explique par la proximité des Romands avec les Français et, donc, par des motifs d’ordre culturel.

Après les années 1960 et 70 marquées par les initiatives xénophobes, le mouvement antinucléaire et pacifiste, les esprits critiques ont surtout brillé par leur absence.

Pour Hans-Ulrich Jost, ce «trou» est dû au renversement de la vision politique amorcé dans les années 1980: «Le Parti radical a lancé sa stratégie de ‘moins d’Etat, plus de liberté’ et l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) a surfé sur la vague néolibérale pour triompher en 1992, avec le refus de l’entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen».

Les artistes ont un rôle à jouer

Beaucoup d’intellectuels se sont alors repliés ou sont partis à l’étranger. Bien sûr, il y a eu des Nicolas Meienberg, Fritz Zorn, Peter Bichsel, Lukas Bärfuss, Thomas Hürlimann, pour ne citer qu’eux, mais en ordre dispersé.

Art-Politique marque-t-il le grand retour des artistes pensants dans la vie publique? «En fait, les cinéastes suisses se sont réunis à plusieurs reprises pour des questions syndicales et se sont rendu compte que leurs problèmes étaient aussi liés à l’atmosphère actuelle.»

Au fil des contacts, un nombre croissant de personnes ont évoqué un «malaise» croissant: «C’est très bizarre, ils ne sont pas tous sûrs qu’il faut s’engager, mais ils sont soulagés de constater qu’ils ne sont pas les seuls à ressentir ce malaise», dit encore Daniel de Roulet. Qui s’empresse de préciser qu’Art+Politique n’est pas une «machine de guerre syndicale».

Georg Kreis, historien et président de la Commission fédérale contre le racisme, estime que la politique est beaucoup trop importante pour la laisser aux seuls politiciens et que les artistes ont un rôle à jouer.

Mais le professeur bâlois distingue deux dimensions: «D’abord, ce n’est pas dans leur travail de création qu’ils doivent faire de la politique, du reste l’art politique n’a jamais été le meilleur. Mais les artistes bénéficient d’un prestige et sont des observateurs indépendants. Leur position est intéressante parce qu’ils sont à la fois proches et éloignés de la politique et cette position leur donne une crédibilité supplémentaire dans la société, qu’ils peuvent mettre à profit pour défendre les droits de l’individu et de l’être humain.»

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

Les 29-30 mai 2010, le Club helvétique a invité à Soleure une vingtaine d’organisations conscientes de la nécessité d’agir après l’acceptation de l’initiative anti-minarets le 29 novembre 2009.

Après un «brain storming» sur la manière de renforcer les droits humains et la démocratie directe le résultat des discussions de l’Assemblée sera publié dans la déclaration de Soleure.

Cette déclaration pourrait déboucher sur le lancement d’une initiative populaire.

L’engagement des artistes pour obtenir un écho politique a gagné une nouvelle urgence après les dernières votations démocratiques.

Une quarantaine d’entre eux se sont réunis le 8 mai au Schlachthaus Theater Bern pour développer des positions et stratégies communes en vue de mettre à jour l’ image de la Suisse.

Ils ont signé le «Manifeste du canari», texte de Daniel de Roulet qui compare l’artiste suisse à un canari qui chante pour avertir du danger le mineur, qui représente la société suisse et est «tellement occupé qu’il ne l’entend pas».

Figurent parmis les signataires le cinéaste Samir, les écrivains Alberto Nessi, Martin R. Dean, Ruth Schweikert, Erica Brühlmann-Jecklin et Heinrich Gartentor (écrivain et artiste).

1944: naît à Genève, grandit à St-Imier, étudie l’architecture et travaille comme informaticien.

1997: se consacre à l’écriture.

Ecrit notamment «Le silence des abeilles», «L’homme qui tombe», «Un dimanche à la montagne».

Ce dernier livre a fait du bruit en 2006, car l’auteur y divulgue qu’il avait incendié le chalet du magnat allemand de la presse Axel Springer trente ans plus tôt.

Vit à Frasne-les-Meulières (France).

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