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La Suisse aussi viole parfois les droits de l’homme

Eine Frau schaut ernst in die Kamera
Ursula Biondi avait 17 ans lorsqu’elle a été internée à la prison pour femmes d’Hindelbank – simplement parce qu’elle était enceinte. Grâce à la Convention européenne des droits de l’homme, cela ne serait plus possible aujourd’hui. Fabian Biasio

La Suisse a plus que jamais besoin de la Cour européenne des droits de l’homme, affirme une organisation non-gouvernementale. Pour le souligner, elle présente les portraits de personnes dont les droits fondamentaux ont été violés par la Suisse.

L’organisation non-gouvernementale Facteur de protection DLien externe est préoccupée par l’avenir des droits de l’homme en Suisse. Selon elle, l’initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers» déposée l’UDC (droite conservatrice) veut pousser la Suisse à dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle met en garde que, dans ce cas, les victimes de violations des droits fondamentaux en Suisse ne pourront plus recourir devant la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH).

Le célèbre photographe Fabian Biasio a réalisé les portraitsLien externe de neuf personnes dont l’histoire montre clairement, selon l’ONG, que le respect des droits de l’homme en Suisse n’est pas toujours une évidence. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient. Voici quatre portraits.


Eine Frau blickt ernst in die Kamera
Fabian Biasio

L’époux de Renate Howald Moor est mort d’un cancer des poumons après avoir été exposé pendant des années à de l’amiante dans le cadre de son travail. Il avait notamment travaillé chez Alstom. Bien que les responsables de l’époque aient connu les risques représentés par l’amiante, ils ne l’en ont jamais informé.

Lorsqu’il a appris le diagnostic le condamnant, Hans Moor a porté plainte contre Alstom, demandant 200’000 francs de dommages et intérêts. Sur son lit de mort, Renate Howald Moor lui a juré de lutter en son nom pour obtenir justice. Les tribunaux suisses ont rejeté la plainte, la jugeant prescrite. Selon eux, les prétentions tombaient sous le coup de la prescription dix ans après le dernier contact avec l’amiante. Et cela bien que dix ans après ce dernier contact, Hans Moor n’ait pas eu la moindre idée du cancer dont il serait la victime.

La famille Moor a contesté ce point de vue devant la CourEDH. Avec succès: le tribunal a estiméLien externe que le court délai de prescription privait les victimes d’un dommage tardif du droit de faire valoir leurs prétentions en justice. La Suisse doit maintenant adapter les délais de prescription pour ce genre de cas.

Ein ernst dreinblickender Mann
Fabian Biasio

Le journaliste Daniel Monnat a réalisé en 1997 un documentaire critique sur l’attitude de la Suisse envers l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa diffusion a provoqué une plainte l’accusant d’avoir présenté un reportage unilatéral et tendancieux. L’émission a par la suite été interdite de rediffusion.

Daniel Monnat a recouru avec succès devant la CourEDH qui a jugéLien externe que l’interdiction représentait une violation de sa liberté d’expression. Depuis cet arrêt, l’émission peut être rediffusée.

Ein Mann lächelt verhalten in die Kamera
Fabian Biasio

Le fils de Hans Glor est diabétique. Malgré cette maladie, il voulait faire son service militaire, mais a été déclaré inapte et, par conséquent, soumis à la taxe d’exemption de servir qui s’élève à 700 francs par an. Seules les personnes souffrant d’une invalidité de plus de 40% peuvent être exemptées, estimaient à l’époque les autorités et les tribunaux suisses.

Au nom de son fils, Hans Glor a contesté cette décision jusqu’à la CourEDH. Elle est arrivée à la conclusionLien externe que les personnes légèrement handicapées doivent bénéficier de la possibilité d’exercer une fonction compatible avec leur handicap dans l’armée ou d’accomplir le service civil. Par conséquent, l’obligation de payer la taxe militaire a été jugée discriminante. Grâce à cette décision, les hommes souffrant d’un handicap léger peuvent choisir entre la taxe et le service militaire.

Ein Mann blickt ernst in die Kamera
Fabian Biasio

Après un accident, Pascal Falcy a été surveillé sans base légale par son assurance. Un détective privé l’a observé lorsqu’il était dans son jardin, en promenade avec le chien, lorsqu’il faisait ses commissions ou se trouvait en famille. Sur la base de son rapport, l’assurance privée a interrompu le versement de la rente parce qu’elle estimait qu’il était apte à travailler à plein temps.

L’assurance a également rompu son contrat, ce qui a eu un effet boule de neige sur les décisions d’autres assurances impliquées, en particulier l’assurance invalidité. Pascal Falcy s’est défendu avec succès contre cette décision.

Dans un cas analogueLien externe, La CourEDH a condamné la Suisse parce que la base légale pour une surveillance photo ou vidéo des assurés n’est pas suffisante.

L’initiative pour l’autodétermination

L’initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)»Lien externe a été lancée par l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice) suite à deux jugements du Tribunal fédéral (TF) qui ont provoqué des remous.

En 2012, le TF a saisi l’occasion d’un recours contre une décision d’extradition pour formuler à l’égard du Parlement des recommandations sur la concrétisation de l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels». Concrètement, il menaçait d’accorder dans certains cas particuliers la primauté à la Convention européenne des droits de l’homme si le législateur décidait d’appliquer strictement l’initiative. Dans un autre jugement, le Tribunal fédéral s’est ingéré dans la question de l’application de l’initiative «contre l’immigration de masse» en soulignant à l’égard du législateur la primauté de l’accord sur la libre circulation des personnes signé avec l’Union européenne.

L’initiative pour l’autodétermination veut maintenant assurer la primauté de la Constitution fédérale sur le droit international, excepté pour ses règles impératives, par exemple l’interdiction de la torture, de l’esclavage ou du recours à la force contre un autre Etat. La Suisse se verrait ainsi contrainte de renégocier certains traités internationaux ou au besoin de les dénoncer pour lever les contradictions entre le droit helvétique et le droit international.

Une large opposition estime que l’objectif de l’UDC est la dénonciation de la CEDH. Cela signifierait que les jugements du Tribunal fédéral – la plus haute instance juridique de Suisse – ne pourraient plus être contestés devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’UDC assure que ce n’est pas son but.

(Traduction de l’alllemand: Olivier Hüther)

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