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Une maison close …au bonheur des dames

Calvin, l'entrepreneur entreprenant. Keystone

Un bordel légal destiné à la clientèle féminine s'ouvre en Argovie. Ce qui convient aux hommes depuis des siècles plaira-t-il aux femmes?

L’endroit s’appelle «Angels». Et cette fois pas de discussion: les anges ont un sexe masculin. «Angels», installé dans la campagne argovienne, est un bordel légal destiné exclusivement aux femmes. Le premier de Suisse, et même d’Europe, à en croire son initiateur, Calvin.

Ce Bâlois de 31 ans, qui s’est mis à la prostitution après plusieurs années de strip-tease, préfère taire son identité complète. Mais il parle de son «offre» comme n’importe quel petit indépendant: «Nous proposons une atmosphère accueillante et des hommes séduisants.»

Une palette de services

«Chacun essaie de répondre aussi bien que possible aux désirs des dames», poursuit-il. Y compris l’acte sexuel. Mais pas forcément. «Angels» offre toute une palette. Cela va du simple massage nu (40 francs suisses) à une prestation de 90 minutes avec acte sexuel (600 francs).

Calvin a choisi d’installer son bordel en campagne, dans la commune argovienne de Leibstadt, à proximité immédiate de l’Allemagne. «Les Allemandes connaissent déjà un peu ce genre de choses», note-t-il. Autre avantage de l’emplacement: la discrétion.

Légale depuis 1992

Ce n’est pas en Argovie, évidemment, que la prostitution destinée aux femmes a été inventée. De tout temps, il y a eu des gigolos. Plus récemment, ce sont les services «d’escort-boy» qui se sont développés. On loue un bel homme pour sortir au restaurant, au théâtre. Et plus si l’on veut.

La prostitution masculine n’est donc pas nouvelle. Elle n’est pourtant légale, en Suisse, que depuis 1992. Actuellement, le pays compte entre 1500 et 2500 prostitués, estime René Akeret, responsable du programme Male Sex Work de l’Aide suisse contre le sida. Et l’immense majorité de ces hommes travaillent pour des hommes.

Modernes et émancipées?

A titre de comparaison, l’Office fédéral de la police, en extrapolant les statistiques disponibles, arrive au chiffre de 14 000 prostituées. Le marché de la clientèle féminine est donc «très, très marginal», comme le relève Mireille Rodeville, coordinatrice d’Aspasie, une association basée à Genève, qui oeuvre en faveur des personnes concernées par la prostitution.

Les femmes iront-elles aux putes, maintenant qu’elles en ont la possibilité? Calvin, l’entrepreneur entreprenant, est convaincu que le besoin existe: «Les femmes sont de plus en plus modernes et émancipées et la demande augmente.» Les spécialistes, eux, sont plutôt dubitatifs.

Femmes plus subtiles

«On essaie d’en faire un business, juge René Akeret, mais à mon avis ça ne marchera pas». Pour lui, les services d’escorte répondent mieux à la demande. Mireille Rodeville, elle aussi, doute du succès de l’initiative de Calvin: «La sexualité des hommes et celle des femmes est assez différente.»

«Les femmes mettent dans leurs relations sexuelles également la tendresse, l’amour, la relation à l’autre, poursuit-elle. Des choses plus subtiles, qui ne peuvent pas se résoudre comme ça en dix minutes. Or une passe entre un homme et une prostituée, c’est dix minutes – un quart d’heure.»

Plaisir et transgression

Apparemment, la nouveauté de Leibstadt est le reflet d’une égalité, d’une symétrie. Hommes et femmes ont désormais leurs bordels. Mais le sexologue genevois Georges Abraham n’y croit pas. Alors que la prostitution destinée aux hommes s’est nettement banalisée, le lupanar pour femmes est encore de l’ordre du tabou.

«C’est une manière de relancer l’interdit, explique-t-il. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui il y a une énorme chute du désir érotique. D’où la recherche de l’interdit comme quelque chose qui pourrait encore stimuler.» L’excitation, et le plaisir, pourraient donc venir de la transgression.

Un laboratoire?

Mais cela n’empêche pas Georges Abraham de rester très sceptique. Les prostitués pourront-ils assurer leurs érections? En allant au bordel, les clientes seront-elles vraiment satisfaites? «Tout va se jouer sur la pénétration, note le sexologue. Et ce n’est pas dit que cela marche. C’est quelque chose de relativement fragile.»

«Sur le plan psycho-sexologique c’est une sorte de laboratoire», relève encore Georges Abraham sur un ton un peu amusé. Le spécialiste donne un an au bordel de Leibstadt. «S’il est encore là et que son promoteur fait de grosses affaires, alors il faudra tout revoir.»

Pierre Gobet, Zurich

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