«Des fuites dommageables pour la Suisse»
Pour le sénateur Hans Hofmann, la publication d'informations secrètes sur l'existence de prisons de la CIA en Europe discrédite les renseignements suisses.
Le président de la Commission de surveillance des renseignements juge que le document n’aurait pas dû être publié par la presse. La justice ouvre une double procédure.
La Berne fédérale oscille entre inquiétude et incompréhension après la publication dans la presse dominicale alémanique d’un fax confidentiel sur l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe.
Un fax adressé par le ministère égyptien des Affaires étrangères à son ambassade à Londres qui avait été intercepté par les services secrets helvétiques en novembre dernier.
Bruxelles dans l’expectative
Selon l’article du «Sonntagsblick», les Egyptiens évoquent des preuves attestant que 23 Irakiens et Afghans ont été interrogés dans une base américaine en Roumanie. D’autres centres d’interrogation existeraient en Ukraine, au Kosovo, en Macédoine et en Bulgarie.
Après avoir «pris note» de ces informations, la Commission européenne n’a pas souhaité les commenter, bien que la Bulgarie et la Roumanie soient candidates à l’adhésion à l’UE. De leur côté, ces deux pays ont démenti les faits.
Bruxelles a rappelé que le Conseil de l’Europe a ouvert une enquête sur les prisons secrètes présumées de la CIA et sur le transit dans plusieurs pays d’avions de la CIA transportant des détenus. De son côté, le Parlement européen doit se prononcer la semaine prochaine sur l’opportunité de lancer sa propre enquête.
Le Suisse Dick Marty, chargé de l’enquête du Conseil de l’Europe, a déclaré pour sa part qu’il n’avait pas pu vérifier l’authenticité du fax intercepté par les services secrets suisses.
Lundi, le sénateur a déclaré toutefois que si les informations s’avéraient correctes, elles seraient d’une «grande importance». Et rappelé que les lieux mentionnés étaient depuis longtemps soupçonnés d’accueillir des prisons secrètes de l’agence américaine du renseignement.
De son côté, la ministre suisse des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey a demandé des explications au gouvernement américain le 28 juin dernier, lors d’une visite à Washington.
La Suisse a aussi demandé des explications à Washington concernant 4 atterrissages à l’aéroport de Genève et 30 vols de la CIA dans l’espace aérien suisse. Berne attend toujours la réponse.
Enfin, contactée lundi par swissinfo, l’ambassade des Etats-Unis à Berne n’a pas souhaité s’exprimer.
La polémique enfle
Au-delà de l’existence ou non de ces prisons secrètes, la polémique ne fait qu’enfler en Suisse. Le sénateur Hans Hofmann, président de la délégation des commissions de gestion, a qualifié les fuites de très «dommageables».
«La publication de ce document, qui n’est manifestement pas destiné à l’être, pourrait conduire à une crise de confiance chez les services secrets des autres pays vis-à-vis de la Suisse», a-t-il déclaré à swissinfo.
Le sénateur estime que ce document n’aurait pas dû être rendu public avant d’être confirmé. Il a promis que la délégation exigera des explications lors de sa prochaine séance du 25 janvier.
De son côté, le ministre de la défense Samuel Schmid avait déjà annoncé dimanche qu’il allait ouvrir une enquête administrative pour déterminer l’origine de la fuite.
Une plainte pénale
D’autre part, une enquête pénale militaire a été ouverte lundi contre le rédacteur en chef et deux collaborateurs du «Sonntagsblick». Ils sont soupçonnés d’avoir publié des secrets militaires, a indiqué l’Office de l’auditeur en chef de l’armée suisse.
Une enquête en complément de preuves contre inconnu a aussi été ordonnée pour découvrir l’auteur de la transmission de ce fax, classé secret, au journal dominical, précise le communiqué.
Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire a indiqué de son côté assumer l’entière responsabilité de cette affaire. Son communiqué précise que l’intérêt du public à connaître l’existence de soi-disant prisons secrètes américaines sur sol européen prime sur ceux de la protection de l’Etat suisse.
Selon le code pénal militaire suisse, la violation de secrets militaires est punie de réclusion jusqu’à cinq ans, d’emprisonnement ou d’amende. Le porte-parole du Département fédéral de la défense, Sebastian Hueber, a ajouté que l’enquête administrative annoncée dimanche par Samuel Schmid est suspendue pour le moment.
swisinfo et les agences
Le fax a été intercepté par le système suisse d’écoute satellite Onyx, basé sur 3 sites à Zimmerwald et Heimenschwand (Berne) et Loèche en Valais.
Berne a demandé des explications à Washington sur 4 atterrissages à Genève et 30 survols d’avions suspectés de transporter des terroristes présumés pour la CIA.
– 17 juin 2004: Human Rights Watch affirme pour la 1re fois que les Etats-Unis détiennent des terroristes dans 15 prisons secrètes dans le monde.
– 7 novembre 2005: le sénateur suisse Dick Marty est chargé par le Conseil de l’Europe d’enquêter sur les centres de détention en Europe et le transfert de prisonniers par avion. Ses soupçons se renforcent un mois plus tard.
– 8 décembre: la secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice termine une tournée européenne sans répondre sur ce sujet.
– 14 décembre: le Parlement suisse demande au gouvernement un rapport sur le transit présumé de détenus de la CIA. Le Ministère public de la Confédération ouvre à son tour une enquête.
– 8 janvier 2006: le Sonntagsblick révèle que la suisse a intercepté un fax égyptien indiquant que la CIA interroge des détenus en Europe.
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