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Claude Goretta ou le travail absolu selon Lionel Baier

Quand Baier donne sa relecture de Goretta... pardo.ch

Sûr de lui, talentueux, conscient de sa valeur, mais avec simplicité et modestie. Lionel Baier, jeune auteur suisse, évoque son hommage cinématographique à Claude Goretta. Un mandat qui lui a beaucoup apporté.

Présenté lors du Festival du film de Locarno, Bon Vent Claude Goretta est donc un hommage à l’un des auteurs les plus importants et les plus productifs du cinéma suisse. Et, surtout, un des grands représentants de la «Nouvelle vague», avec Tanner, Suter, Yersin et Schmid.

Pour la jeune génération, se mesurer avec ses aînés du cinéma signifie souvent qu’il faut les tuer symboliquement pour s’affranchir de leur ombre, d’une certaine façon. «Pour moi, cela s’est mieux passé, confesse en souriant Lionel Baier, né en 1975. Claude Goretta (1929), pourrait être mon grand-père. Et les rapports sont généralement bons avec les grands-parents, en tout cas moins conflictuels qu’avec les parents.»

Et c’est bien ce qui s’est passé. Lionel Baier souligne la gentillesse de Claude Goretta, son grand désir, non pas d’enseigner, mais de transmettre ses connaissances, de partager son expérience.

Frappé… par l’accent romand

Contacté l’année dernière à Locarno par la Cinémathèque suisse et la Radiotélévision suisse (RTS), qui préparent une série de films sur les grands cinéastes de notre pays, Lionel Baier a aussitôt accepté de réaliser un documentaire sur Claude Goretta. «Cela a été facile de dire oui, parce que j’admire énormément Goretta. Et, un de ses films en particulier, L’Invitation. Je l’ai vu avec ma mère quand j’avais 6 ans, pendant qu’elle faisait du repassage.»

Lionel Baier raconte avoir été très frappé par les acteurs qui s’exprimaient avec l’accent romand, surtout genevois. «Ce détail m’avait frappé: mais alors, le cinéma peut être suisse aussi!» Mais un autre film encore a joué un rôle dans son acceptation du projet.

«Le film Pas si méchant que ça, avec Gérard Depardieu, avait été tourné à Aubonne, où j’ai grandi. J’ai ainsi découvert que Depardieu, un acteur de carrure internationale, s’était baladé dans ma petite ville vaudoise, où il se préparait à dévaliser une banque et à attaquer le bureau de poste. Cette proximité m’a impressionné.»

Romancé, «tchékhovien», et pourtant suisse

Baier fait remarquer que Claude Goretta est un metteur en scène qui a trouvé sa place dans le cinéma suisse parce qu’il a tourné beaucoup de films en France. Avec son style très romancé, il donne une place importante aux sentiments, ce qui n’est donc pas très suisse, mais plus proche des œuvres de Tchékhov. «Goretta recèle une envie de faire du grand cinéma, un cinéma narratif qui travaille sur les sentiments. C’est aussi pour cela que j’aime Goretta. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir eu la chance de lui rendre hommage.»

Qu’est-ce qui se passe quand un cinéaste tourne à propos d’un autre cinéaste? Quels sont les pièges? «L’exercice peut être difficile parce qu’on est obligé d’utiliser le même média pour parler du travail d’un collègue. On risque aussi de s’arrêter sur les anecdotes de tournages qui peuvent être plus ou moins amusantes et intéressantes, mais qui disent peu de chose sur le cinéaste lui-même. Je devais trouver le moyen de montrer comment le cinéma de Goretta est important pour mon travail et de donner envie aux gens de voir ses films.»

Baier a résolu le problème en s’inspirant de la tradition de la Renaissance. En fait, il a opté pour la transposition au cinéma de tout ce que les jeunes peintres de l’époque faisaient, c’est-à-dire copier les toiles des grands maîtres pour comprendre leur technique. Concrètement, cela signifie que «j’ai tourné un certain nombre de scènes des films de Goretta, mais avec les acteurs que j’ai choisis, et à ma façon. Vous verrez que, même si ce sont deux manières différentes de faire du cinéma, il y a des liens.»

«Un flair de grand maître»

Claude Goretta a une immense expérience. «Il a tourné une trentaine de film, du jamais vu dans le cinéma suisse et plutôt rare aussi dans le cinéma international d’auteur. J’avais vraiment beaucoup à apprendre» affirme Baier avec humilité, en rappelant que Goretta a été le seul cinéaste suisse à avoir travaillé avec autant de grands acteurs français.

«Dans les années 70, Goretta confie leur premier rôle à des gens comme Gérard Depardieu, Isabelle Huppert, Nathalie Baye. Il fallait le faire, s’exclame Lionel Baier avec admiration. Il a fait preuve d’un flair phénoménal pour choisir des acteurs et des actrices qui sont devenus les poids lourds des années 90.»

Ce sont du reste les mêmes acteurs et actrices qui lui rendent hommage dans Bon Vent Goretta. Et surtout Isabelle Huppert. «Isabelle conserve un souvenir très précis de son travail avec Goretta, parce que La Dentellière est le film qui la fera connaître dans le monde entier. Et d’insister en particulier sur la confiance témoignée par Goretta en lui confiant le personnage central de Pomme alors qu’elle n’avait que 18 ans.»

Deux autres acteurs ont eu un énorme plaisir à raconter leur expérience avec Goretta, à qui ils doivent également toute leur carrière: Michel Robin et Frédérique Meininger.

Cinéma engagé, mais pas militant

Que lui a apporté ce parcours avec Goretta? «C’est cette idée absolue, presque calviniste, du travail, reconnaît Lionel Baier. Le cinéma, c’est une matière qui doit être travaillée, à travers une expérimentation quotidienne, une recherche permanente d’alternatives.»

Reconnaît-il l’étiquette de metteur en scène engagé, voire militant? Le jeune cinéaste réfléchit un instant avant de répondre. «Si on m’attribue cette qualité parce qu’on lit dans mes films un message politique, alors ça me plaît. Du reste, je suis convaincu qu’on ne peut pas faire de films qui n’ont aucune dimension politique.»

Encore une pause. «Militant, non, mais engagé, oui. Je le revendique même. Si je pense à Goretta, avec des films de fiction, il a véhiculé des messages forts, de manière brillante et sans compromis. Dans La mort de Mario Ricci, il dénonce le racisme; dans L’Invitation, la fausseté et la médiocrité de la bourgeoisie moyenne; dans La Dentellière, la différence de classe qu’il ne peut jamais être dépassée.»

Bon vent aussi à Lionel Baier.

Le documentaire de Lionel Baier sera présenté le 16 août en première mondiale au Festival de Locarno, dans le cadre du programme spécial consacré au cinéaste suisse.

Le festival propose aussi La Dentelière, L’Invitation et La Provinciale.

1975: naissance à Lausanne d’une famille d’origine polonaise.

2000: débute avec Celui au pasteur, documentaire consacré à son père, pasteur vaudois.

 

2001: La Parade (Notre histoire), documentaire sur la première Gay Pride dans le canton catholique du Valais.

 

2004: il passe à la fiction avec Garçon Stupide et Comme des voleurs (à l’est) en 2006, appréciés tous deux de la critique.

2008: en concours à Locarno, Un autre homme a été distribué en Europe et au Canada.

2010:Low Cost (Claude Jutra), également présenté à Locarno, et Toulouse.

 

Depuis 2002, est responsable du département de cinéma de l’École cantonale d’art de Lausanne.

2011: est lauréat (catégorie scénario) de l’une des bourses octroyées par la Société suisse des auteurs pour son long-métrage Les grandes ondes (à l’ouest), sur la révolution des œillets au Portugal.

1929: né à Genève où il suit des études de droit et, avec Alain Tanner, fonde le Ciné-Club universitaire.

1957: tourne Nice Time avec Alain Tanner, qui obtient un prix au festival de Cannes. Puis travaille régulièrement pour la Télévision suisse romande

Comptant parmi les principaux représentants du «nouveau cinéma suisse», il signe son premier long métrage, Le fou, en 1970; des œuvres comme L’invitation (prix spécial du jury au festival de Cannes 1973), La dentellière (prix du jury œcuménique au festival de Cannes, 1977), ou Si le soleil ne revenait pas, d’après Ramuz (1987).

Dès les années 1990, il tourne surtout pour la télévision.

Traduction de l’italien: Isabelle Eichenberger

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