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Carlo Brandt (2) – Quand l’écran balaie les planches

Carlo Brandt en Méléagant. Pascal Chantier / Calt Production

Avec Carlo Brandt, parrain du 7ème Festival du film français d’Helvétie de Bienne, nous avons évoqué le théâtre, son auteur-fétiche Edward Bond, et un monde qui gomme l’humain. Suite de notre entretien avec au menu le cinéma, la télévision et… Kaamelott.

Il y a l’homme de théâtre. Et puis l’homme de l’écran, qui, aujourd’hui a la priorité. Carlo Brandt, on l’a vu dans Indochine de Régis Wargnier, dans Ridicule de Patrice Leconte, Dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola.

Mais pour la jeune génération, Carlo Brandt, c’est surtout le sombre Méléagant de la série Kaamelott, d’Alexandre Astier, cette série qui casse tous les codes: ceux du genre (l’épique transformé en comédie, la comédie qui devient drame), du format (de quelques minutes au long-métrage), du vecteur (puisqu’à la télévision succédera le cinéma)…

swissinfo.ch: A la télévision, on a pu vous voir dans «Kaamelott» jouer Méléagant…  et donc incarner celui qui fait plonger la comédie dans le drame. Que représente-t-il pour vous?

Carlo Brandt: C’est surtout la rencontre avec Alexandre Astier, quelqu’un de très simple, basique, ce qui fait son génie, dans la mesure où il reste toujours proche de lui-même. C’est lui-même qui souhaitait renverser le côté comique de la série vers quelque chose de plus profond. Il a bien saisi qu’à un moment il fallait rentrer à l’intérieur des personnages et que ces personnages soient confrontés à l’invisible et à l’indicible, à leur propre tragique, à leur propre côté obscur. Cela a été un très grand bonheur de travailler avec Alexandre et d’amener cette couleur-là dans la série.

swissinfo.ch: Série-culte et personnage-culte venu pourtant sur le tard… Quand on se balade sur le web, on constate que l’interprétation que vous donnez de Méléagant a eu un impact énorme.

C.B.: C’est une loupe, une caisse de résonnance. Le week-end dernier, j’étais à Genève pour voir mon fils, et en rentrant dans un magasin, un vendeur m’a reconnu à ma voix! Je suis très honoré, c’est amusant, mais cela montre surtout la puissance incroyable de l’outil télévision alors que quantitativement, j’ai fait d’autres choses beaucoup plus importantes qui ont été bien moins médiatisées, parce que cela ne passait pas par le média télévision.

Mais je trouve cela très positif, parce que ça me permet de me connecter à la nouvelle génération. Sans le moindre décalage. Je me sens extrêmement bien quand je travaille avec de très jeunes actrices ou acteurs alors que je pourrais être leur père.

swissinfo.ch: Il semble qu’aujourd’hui vous tourniez un peu le dos au théâtre au profit du cinéma.

C.B.: Oui, j’ai arrêté de faire du théâtre à haut niveau, parce que depuis en gros l’arrivée de Sarkozy au pouvoir en France, les choses ont pas mal changé dans le paysage du théâtre subventionné. Il y a moins de prise de risque, il y a le besoin de faire du chiffre, de remplir les salles, ce qui était moins le cas auparavant. Or pour faire du théâtre à ce niveau-là, il faut vraiment avoir quelque chose à défendre. Venir tous les soirs devant les gens, c’est très physique, cela coûte beaucoup, c’est épuisant, donc il faut que ça en vaille la peine.

Les projets deviennent beaucoup plus mous aujourd’hui en France, et paradoxalement, je trouve qu’il y a le retour d’une certaine radicalité dans le cinéma d’auteur français. Je redonne donc maintenant la priorité à l’image.

swissinfo.ch: Vous avez aussi des projets en matière de réalisation…

C.B.: J’ai envie de passer à la réalisation, grâce à la rencontre de gens qui vont me permettre de le faire – parce qu’aujourd’hui, le montage d’un film, c’est le parcours du combattant!

J’ai commencé à travailler sur l’adaptation de Combat de possédés, première pièce de Laurent Gaudé (Prix Goncourt en 2004 avec son roman Le Soleil des Scorta, ndlr). Une pièce qui parle du monde d’aujourd’hui à travers une espèce de roi Lear, un grand capitaine d’industrie qui se rend compte qu’à la veille de sa mort, il n’a pas d’héritier. Il va donc s’en choisir un. Il me semble qu’on est un peu dans cette configuration avec le vieil Occident qui tout à coup se rend compte qu’il est en train de disparaître. Mais qui va prendre les rênes du nouvel occident que nous attendons tous?

Et j’ai encore un autre projet. Un grand film suisse, parce que je trouve que le cinéma suisse n’a pas les films qu’il mérite. On a tout: l’argent, les paysages, les histoires, le fait que la Suisse concentre toute l’histoire de nos démocraties occidentales. Pourquoi ne pas en profiter? J’ai envie d’adapter une pièce d’Eugene O’Neill, Désir sous les ormes. L’histoire d’une famille de paysans aux Etats-Unis, mais qui serait facilement adaptable en Suisse. Cela parlerait de cette mort de la paysannerie suisse à laquelle on assiste et qui pour moi est aussi un paradoxe et un scandale pour notre pays.

swissinfo.ch: Dans une interview, vous parliez du rapport acteur-spectateur au théâtre comme d’un «rapport sacré au plein sens du terme». Ce rapport existe-t-il aussi pour vous par écran interposé, au cinéma ou à la télévision?

C.B.: Evidemment. L’écran est un outil d’une puissance incroyable. C’est une grande responsabilité d’utiliser ces outils, autant le cinéma que la télévision. Les responsables de programme, les managers de télévision oublient un peu trop souvent qu’il ne faut pas verrouiller les choses, se cacher derrière des formules comme «ce n’est pas pour notre public», «ça ne plaît pas à la ménagère de moins de 50 ans» etc. Ce sont des formules totalement caduques. Et pourtant, les écoles de management apprennent à travailler avec des formules.

J’y reviens: Il faut faire plus attention à nous-mêmes en tant qu’êtres humains, plutôt qu’aux chiffres et aux machines. Quand les traders sont face à des écrans qui clignotent au rouge dans tous les sens, que peuvent-ils faire? Rien. Parce que la machine décide quand ça clignote. Bien sûr, les computers sont programmés par des humains, mais c’est le computer qui va décider quand les plombs vont sauter ou non. Aujourd’hui, on est démunis face à cela. Parce que la solution aux problèmes financiers n’est pas technique, elle est humaine. Mentale. Et tant qu’on n’aura pas renversé ce postulat, on sera, permettez-moi l’expression, dans la merde.

Genève. Carlo Brandt est né en 1954 à Genève. Dès le milieu des années quatre-vingt, il mène de front une carrière au théâtre, à la télévision et au cinéma.

 

Théâtre. Sur les planches, Carlo Brandt a été dirigé par les plus grands metteurs en scène de ces trois dernières décennies, dont Benno Besson, Claude Stratz, Bernard Sobel, Matthias Langhoff, Alain Françon, Georges Lavaudant et, très récemment, Emmanuel Meirieu. Il est aussi l’un des acteurs fétiches de l’auteur dramatique anglais Edward Bond.

 

Cinéma. Carlo Brandt a abordé le cinéma dès 1986 avec Happy End de Marcel Schüpbach et L’État de grâce de Jacques Rouffio. Depuis lors, il multiplie les rôles, en jouant notamment dans les films de Régis Warnier (Indochine,1991), Patrice Leconte (Ridicule, 1995), Michael Haneke (Code inconnu, 1999),Sofia Coppola (Marie-Antoinette, 2005) ou encore Jérôme Salle (Largo Winch 2, 2010).

 

Télévision. Il apparaît régulièrement sur le petit écran – notamment dans la série Kaamelott où il interprète le rôle de Méléagant.

Bienne. Le 7ème Festival du film français d’Helvétie se tient jusqu’au 18 septembre à Bienne. Une quarantaine d’invités – comédiens, réalisateurs – sont de la partie.

Bilingue. Le FFFH propose 35 films, la plupart en version originale sous-titrée en allemand. Dans une ville bilingue, le festival vise à rapprocher les cultures. Le public alémanique  représentait plus du tiers de la fréquentation de l’édition précédente.

Eclectisme français. Allant du cinéma grand public aux productions plus intimistes, le festival se veut éclectique. Parmi lesPremières: Polisse de Maïwenn, L’Artiste de Michel Hazavanicius, 17 filles de Delphine et Muriel Coulin, Les Hommes libres de Ismaël Ferroukhi ou Beur sur la ville de Djamel Bensalah seront projetés en Grande première.

Films suisses. Le FFFH présente également quelques films ou coproductions suisses: Vol spécial de Fernand Melgar, All that remains de Pierre-Adrian Irlé et Valentin Rotelli et Un été brûlant de Philippe Garrel.

 

Courts métrages. Des 297 courts-métrages envoyés au Festival, une sélection de 8 films (2 de Belgique, 1 de Suisse, 5 de France) sera examinée par le Jury, présidé par Carlo Brandt.

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