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Invitation dans «La fosse aux hommes»

Laurent Flutsch, directeur du musée romain, aux portes de l'exposition.

Le Musée romain de Vidy-Lausanne est transformé en zoo, le temps d'une exposition consacrée au «seul grand singe de Suisse»: l'Homo sapiens.

L’archéologue Laurent Flutsch a déployé des trésors d’imagination pour attirer le visiteur et l’inviter à méditer sur la condition humaine. Sous des airs de légèreté.

Berne a sa fosse aux ours, Lausanne sa fosse aux… hommes. En tout cas le temps d’une exposition qui métamorphose le public en créatures de zoo. Il est du reste averti à l’entrée: «Les visiteurs sont priés de ne pas nourrir les hommes», peut-il lire.

«C’est l’homme qui est dans, et autour de la fosse, car c’est peut-être la seule espèce capable de s’observer et de développer une science autour de sa propre espèce», explique Laurent Flutsch.

Qui s’empresse d’ajouter: «j’ai voulu en finir avec cette arrogance qui fait que l’homme continue de se placer au-dessus des autres espèces en oubliant l’humilité de sa condition animale.»

Une exposition en deux parties

Après avoir franchi un portillon qui se referme sur le visiteur comme une nasse, celui-ci pénètre dans la fosse, où il suit un parcours interactif et ludique sur l’espèce humaine: son aspect, ses performances, sa sexualité, ses outils et jouets favoris, sa curiosité, ses aptitudes au langage, à la création, à la spiritualité, à la générosité. Mais aussi son amour pour ce qui brille (l’argent), sa propension à la cruauté et à l’autodestruction.

Le tout illustré par des films, des photos, une chambre nuptiale, des jeux, des vitrines où de magnifiques objets romains (après tout, on est dans un musée d’archéologie) cohabitent avec ceux de notre quotidien.

En deuxième partie, l’exposition invite le visiteur à monter sur une plate-forme au-dessus de la fosse, à observer ce qui s’y passe et à lire les panneaux explicatifs.

Panneaux qui, en résumé, rappellent que l’homme fait partie du règne animal que c’est un vertébré, mammifère, appartenant à l’ordre des primates. Lui et le chimpanzé descendent tous deux d’un même ancêtre, qui vivait en Afrique il y a 7 millions d’années.

Le troisième primate

«L’homme est le troisième primate. Il a 98% de patrimoine génétique commun avec le chimpanzé, au point que celui-ci est plus proche de l’humain que du gorille, n’en déplaise aux créationnistes de tous poils», poursuit le directeur du Musée romain. Le mot est lâché.

En effet, «La fosse aux hommes» est un hommage à la théorie darwinienne de l’évolution des espèces (dont on fêtera le bicentenaire dans deux ans). Mais surtout un pied-de-nez aux fondamentalistes qui, Bible en main, affirment que le monde et ses espèces ont été créés en six jours il y a environ 7000 ans.

Mais Laurent Flutsch dépasse la guerre idéologique qui déchire néodarwinistes et néocréationnistes pour rappeler l’humilité de la condition humaine et les exploits de la génétique. «Croire que l’homme a été créé par Dieu, qu’il est au-dessus de la nature et est appelé à la dominer est affaire de croyance, de foi, mais pas de science», confie-t-il à swissinfo.

C’est l’avenir de l’espèce qui est en jeu

Outre la rigueur scientifique et ses airs de salle de jeux, cette exposition montre une préoccupation vertigineuse: la conception que l’on a de l’humanité a nécessairement une influence sur la manière de gérer l’avenir de celle-ci.

«Si on est persuadé que l’homme est une créature protégée par Dieu, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Mais quand on sait que c’est une espèce comme une autre, on sait aussi qu’elle peut s’éteindre comme une autre. D’ailleurs elle y travaille activement.»

Pas question de sauver le monde

Pour Laurent Flutsch, si on accepte l’idée que l’homme peut disparaître, on agira différemment face au réchauffement, à la pollution, aux famines et aux génocides. Car l’homme, qui est partout sur la planète, est devenu un «super-prédateur», un «singe sans-scrupules» capable d’exterminer les siens.

Ou capable de racisme. «Le racisme est absurde car l’humain est la seule espèce à avoir colonisé et à s’être adaptée à tous les biotopes de la Terre. Nous avons tous 211 os et 32 dents (le chimpanzé aussi) et la seule distinction se trouve peut-être dans le groupe sanguin, et encore…»

Avec son discours mêlant fierté, autodérision, tendresse et dégoût pour cette «drôle de bête», cette exposition décalée et décalante réussit parfaitement à faire réfléchir le visiteur, mais avec légèreté. «De toutes façons, on n’a ni l’espoir ni l’illusion de changer le monde ou de le sauver», conclut Laurent Flutsch.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

«La fosse aux hommes», jusqu’au 4 mai 2008 au Musée romain de Vidy-Lausanne. Du mardi au dimanche de 11 à 18 heures.

Né en 1961, Laurent Flutsch est diplômé en archéologie romaine et en histoire ancienne (Université de Lausanne). Après une dizaine d’années de fouilles, il conçoit des expositions depuis 1994.

Il est directeur du Musée romain de Vidy-Lausanne. Récentes expositions: «Da Vidy Code», «Merci Bacchus», «Rideau de rösti», «Dédale», «Tabula rasa», «Jeux de mots», etc.

Il a publié en 2005 «L’époque romaine ou la Méditerranée au nord des Alpes», ouvrage historique grand public sur la période romaine en Suisse.

Il est également co-animateur de l’émission satirique de la Radio suisse romande «La soupe est pleine» et se produit dans des spectacles philosophico-humoristiques.

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