Istanbul-Genève simple course avec Pipilotti Rist en invitée surprise

Dans le cadre du projet d’échanges de Pro Helvetia «L’Autre Méditerranée…», le Centre d’Art Contemporain de Genève entend faire dialoguer huit artistes suisses et turcs. Des parasites sur la ligne…

Dans le cadre du projet d’échanges de Pro Helvetia «L’Autre Méditerranée…», le Centre d’Art Contemporain de Genève entend faire dialoguer huit artistes suisses et turcs. Des parasites sur la ligne…

C’était, mardi dernier, un vernissage quelque peu insolite au Bâtiment d’Art Contemporain genevois. Alors qu’au Centre, les jeunes exposants suisses et turcs guettaient les invités en faisant les cent pas, que le buffet spartiate attendait preneur, tandis qu’un confrère égaré et vaguement cynique demandait en aparté où était le méchoui – le Musée mitoyen (où l’on ne «vernissait» rien) était littéralement pris d’assaut. Lapsus ou parasitage volontaire? Toujours est-il que Christian Bernard, directeur du MAMCO, avait convié Mademoiselle Rist (photo) à y prononcer ce soir-là une conférence. Et que l’événement draina, outre la poignée habituelle de fidèles, une foule plus curieuse d’approcher «l’oiseau rare» que de comprendre quelque chose à son art – soucieuse sans doute de découvrir son look d’un soir (en l’occurrence, un tailleur écossais et un faux chignon en forme de soufflé, très «Marie-Thérèse Porchet»), afin d’en pouvoir discourir dans les salons. La conférence (heureusement entrecoupée de nombreuses vidéos, plus ou moins marquantes ou drôles) fut en effet proférée dans un français parfaitement inintelligible, devant un auditoire dont le snobisme n’avait d’égal que la béatitude…

Mais revenons à nos moutons (car c’est bien de moutons, d’un autre genre, plus précisément d’agneaux égorgés, dont il est question). Soit à l’exposition intitulée «arguments», née de la collaboration entre Paolo Colombo, directeur du Centre et organisateur de la récente Biennale d’Istanbul, et Victor Durschei, responsable du projet «L’Autre Méditerranée» à Pro Helvetia. Son propos? Exposer côte à côte huit jeunes artistes suisses et turcs et instaurer un dialogue, formel ou contradictoire, entre la création d’ici et d’ailleurs.

Là où la Zurichoise Sabina Baumann et la Stanbuliote Ebru Özseçen dévoilent deux visions féministes, politisées et plutôt crues de l’art, via la fresque ou la vidéo, Selim Birsel explore ironiquement la vie privée des individus et les rôles sociaux en accrochant des sacs d’aspirateurs aux cimaises et en répandant leur contenu à terre, en forme de «U». «Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de poussière en Suisse», dixit l’artiste.

Ailleurs, le travail du tandem helvéto-brésilien Mauricio Dias/Walter Riedweg intitulé «Ce n’est pas le Caire» est mis en parallèle avec celui du créateur turc Bülent Sangar. Les premiers ont saisi sur vidéo l’égorgement rituel du mouton: une fresque sanglante faite de longs couteaux et d’yeux roulants, de dépeçage et mains plongeant dans des entrailles. Le second visualise, à travers une succession de photos, le sacrifice biblique d’Isaac. Et propose, plus loin, une autre réflexion, inspirée d’un fait divers sanglant, sur les médias et la violence, symbolique ou réelle. Le lien entre ces artistes? Au-delà du fait que leur démarche implique d’avoir l’estomac bien accroché, chacun propose certes d’intéressantes mises en perspective. Toutefois, on n’évite pas ici l’écueil de la plupart des expositions collectives: le visiteur passe plus de temps à s’interroger sur la cohérence de l’ensemble (et le supposé dialogue), qu’à découvrir des travaux individuels, souvent de qualité. Bref, d’autres parasites encore sur la ligne Istanbul-Genève…

Véronique Zbinden

Genève, Centre d’Art Contemporain, 10, rue des Vieux-Grenadiers: «Arguments/Önermeler»; ma-di 11h-18h. Jusqu’au 13 février.