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L’homme, le lynx et la forêt

Détail de la couverture. Ed. mon village

Une crise identitaire, puis la redécouverte de soi grâce à la forêt et à un fascinant animal… Rolf Kesselring s’est penché sur le roman «Le lynx de la Combe au Lac», un conte écologique signé Dominique Gros aux Editions Mon Village..

Je ne sais, depuis toutes ces années, comment et pourquoi je choisis un livre plutôt que d’autres. Peut-être le titre ou l’illustration, le nom de l’auteur quelquefois, ou encore le texte au dos, souvent ce sont les premières lignes lues au hasard… Mystère et boule de gomme, comme on disait lorsque j’étais encore un enfant hanté d’espoirs et de jubilations.

Dans ce roman-ci, il s’agit de la colère, de l’indignation, qui atteint, éclair de lucidité, l’esprit de celui qui est le héros de cette histoire: un certain Martin Morel, reporter-photographe… ou l’inverse.

Le héros, au moment où commence cette histoire, est au faîte de sa carrière et soudain, comme souvent chez les gens passionnés, au cours du vernissage de l’exposition consacrée à ses meilleurs clichés, l’inutilité de tout ce brouhaha le frappe. La vie, lui apparaît tout à coup, dépourvue de sens. La vie? Sa propre vie.

Cela se produit chez beaucoup d’entre nous lorsqu’on atteint (ou rate!) les buts qu’on s’était fixés durant sa jeunesse. Il s’agit d’un moment crucial de la vie des hommes où des femmes qui ressentent cette soudaine déchirure. Cette brusque lumière provoque presque à coup sûr un changement radical dans la manière de voir et d’appréhender son univers. Chez certains une grande dépression submerge leurs espoirs, dissous leurs enthousiasmes, chez d’autres le cap et les objectifs se transforment et se métamorphosent radicalement.

Il suffit de peu de chose

 

C’est ce qui arrive à Martin Morel. Sans qu’il puisse raisonner cette clairvoyance qui se produit au cours du discours inaugural de son vernissage, la colère le saisit, l’amertume corrode et oxyde son entendement. Il s’en faut de peu qu’il ne devienne ce que deviennent les déçus, les désillusionnés: pleins de rancœur, distillant une bile insupportable à ceux qui les côtoient.

Mal à l’aise, il refuse les honneurs. Il n’arrive plus à supporter ce monde qu’il a pourtant tellement photographié durant toute cette vie passée à saisir les évènements fous et guerriers qui se déroulent un peu partout sur cette planète. Il souffre.

Les psychiatres nomment cette affection: traumatisme psychique de guerre. Ce sont des troubles de l’esprit qui atteignent souvent des personnes, soldats ou civils, qui ont vécu des combats brutaux, ont vu des actes d’une violence extrême, et qui ne peuvent se réadapter à une existence civile ordinaire.

Par réaction contre cet état, notre héros va aller se réfugier dans le Jura, loin du monde et de ses vanités, de ses hypocrisies. C’est là que solitaire, il va parcourir ces combes cernées de forêts profondes, qui sont les paysages de cette région. Arpenteur de son impossible, il tente de trouver une paix nouvelle, un désir neuf, une envie de vivre renouvelée.

Le pire n’est pas toujours sûr

 

Il ne le sait pas, mais le hasard fait souvent bien les choses sans qu’on s’en rende compte. Au cour de ces marches solitaire, il rencontre un groupe de personnes dont les activités, d’abord incompréhensibles à son entendement convalescent, le surprennent.

Du coup, Martin Morel fait la connaissance d’un groupe qui vient pour relâcher un lynx. Cet animal a disparu depuis belle lurette de ces bois secrets qui étaient, naguère, son habitat naturel. L’animal pressenti pour cette expérience a été capturé quelques temps auparavant par les gens d’un organisme appelé «Centre de sauvegarde de la faune sauvage» et qui œuvre pour réintroduire des animaux dans les régions d’où ils avaient disparu et qui étaient leur habitat d’origine.

Stupéfait par la découverte de ces gens qui se battent pour une vie sauvage ressuscitée, Martin Morel semble aussi fasciné par le charme de cette bête étrange et discrète, pour ne pas dire mystérieuse, et va se lancer sur les traces de cette dernière. Il veut absolument la poursuivre pour la photographier…

Une thérapie sauvage

Il va rencontrer une jeune étudiante en biologie prénommée Lorette, dessinatrice animalière de surcroît. Et comme le pire n’est jamais sûr, cela va chambouler ce destin qu’il croyait scellé, pétrifié à jamais. Est-ce ce lynx fuyant et sa chasse qui lui redonnent goût à la photographie, au désir de vivre? À moins que ce ne soit la présence de Lorette qui…

Ce qu’ignore Martin Morel, c’est que cette traque au lynx, dans la les alentours de la Combe au Lac, va lui permettre d’opérer un retour sur lui-même et de, petit à petit, vaincre les angoisses, de guérir de son traumatisme. Il va guérir…

Ce roman distille les sensations que seul un véritable auteur sait procurer à ses lecteurs. Grâce à Dominique Gros, j’ai parcouru ces bois profonds comme des cathédrales, j’ai aimé Lorette jeune femme pétrie de qualités humaines et tellement attachée à la nature. Avec eux, j’ai pourchassé l’animal sauvage.

Un conte écologique

 

Cette histoire est un conte écologique. En la lisant, j’ai songé à tous ces auteurs qui m’ont fait rêver à des régions, à des pays, qui, je le savais, ne se trouveraient jamais sur ma route. J’ai pensé à Gottfried Keller et ses pauvres paysans du Haut-Toggenburg, à Michel Lacombe et ses chères Cévennes, à Pagnol et sa Haute-Provence ou à John Knittel et ses vallées alpestres si rudes aux humains; je me suis souvenu de tous ceux qui savaient créer l’universalité de mon imaginaire en décrivant un tout petit morceau de notre planète.

Grâce à Dominique Gros, qui vit entre Bretagne et Jura, j’ai parcouru la région où j’habite… à moins que cela soit elle qui m’habite désormais. Cet homme, ce véritable raconteur d’histoires, a connu la Réunion, la Bourgogne voisine, la Normandie, mais on sent bien qu’il n’a jamais renié ce Jura qui demeure la toile de fond de son récit.

La poursuite d’un lynx, fuyard  et mystérieux, lui permet de se remettre à exister, à désirer. On voyage dans cette Combe au Lac, ces lieux qui font partie de mes rêves, de mon imaginaire. Ils sont typiques de ce Jura qui se dresse comme une arête sur mon cœur, sorte de frontière entre ma culture et mon pays natal.

1955. Auteur d’un roman du terroir dont aucun éditeur ne voulait, un paysan du village de Vulliens, Albert-Louis Chappuis, décide d’éditer son ouvrage à compte d’auteur et de le distribuer dans les campagnes de Suisse romande. Le succès est tel qu’il fonde sa propre maison : les éditions Mon Village en 1955.

Jura sans frontière. Il publie des romans du terroir d’auteurs suisses et français. Il contribue ainsi à faire connaître l’auteur franc-comtois André Besson dont il publiera une trentaine de titres.

Sainte-Croix. Les éditions Mon Village ont été reprises en 2006 par Jean-Claude Piguet et Denis-Olivier Maillefer, avec la collaboration d’Eliane Rittener. Après avoir émigré du Jorat dans le Jura, à Sainte-Croix, elles poursuivent la ligne éditoriale de qualité du fondateur, centrée sur les romans du terroir, mais ouvertes à d’autres genres littéraires.

 

Premier roman. Dominique Gros, photographe, journaliste, est né à Lons-le-Saunier.  Après avoir vécu à l’ile de la Réunion, en Bourgogne, il  réside aujourd’hui en Normandie et revient très régulièrement dans son Jura natal.  Le  lynx de la combe au lac est son premier roman.

Extinction. Aux 18e et 19e siècles, le lynx a été exterminé dans toute l’Europe centrale.

Réintroduction. Entre 1971 et 1975, 10 lynx furent officiellement implantés en Suisse. Dans ce but, des spécimens sauvages de Slovaquie furent introduits à la même époque dans les Alpes et le Jura.

 

Actuellement. Quelque 120 lynx vivraient entre l’espace alpin et le Jura, estiment les experts.

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