
Le centenaire du futurisme italien célébré à Lugano

Umberto Boccioni et Primo Conti, le maître et l'élève, sont rassemblés pour la première fois en une double exposition pour les cent ans du futurisme italien. En même temps que Rome, Milan, Londres et Paris, Lugano célèbre cet important anniversaire.
«Cette exposition est unique en son genre et représente un évènement très important pour notre musée, explique Bruno Corà, directeur du Musée d’art de la ville de Lugano. En réunissant deux artistes qui n’avaient jamais été exposés ensemble, nous avons réalisé un tour de force en peu de temps et nous en sommes fiers.»
Ouverte dimanche à la Villa Malpensata, siège du Musée d’art, l’exposition propose donc un double parcours. Celui du grand peintre et sculpteur futuriste Umberto Boccioni (1882-1916) et celui de son élève et disciple, le dessinateur et enfant prodige Primo Conti (1900-1988).
Une idée née en Calabre
Le dynamisme futuriste – Hommage à Umberto Boccioni occupe les deux premiers étages du musée luganais sis sur les quais du lac.
Pour la première fois aussi, l’exposition rassemble deux importants noyaux de l’un des principaux protagonistes du mouvement d’avant-garde qui surprit l’Europe en février 1909: il s’agit de 21 tableaux réalisés de 1903 à 1909 par le peintre né à Reggio Calabre de parents originaires de Romagne (Italie du nord) et de ses œuvres sur papier soit 85 dessins effectués en différentes périodes de sa carrière.
«L’idée d’allier ces deux noyaux m’est venue durant un voyage en Calabre, la région natale de l’artiste, explique Bruno Corà. A Cosenze, j’ai trouvé une importante collection de dessins donnés en 1996 à la Galerie nationale de cette ville par les collectionneurs américains Lydia et Harry Winston. Il m’a semblé judicieux de l’unir aux peintures pré futuristes de la collection que l’imprimeur luganais Gabriele Chiattone avait léguées à sa ville en 1961.»
Un grand nombre de ces tableaux avait été exposés en 1983 au Musée national de Reggio Calabre dans le cadre de l’exposition Boccioni pré futuriste. Réalisés sur 60 feuillets, les 85 dessins avaient également fait l’objet d’une exposition mise sur pied au Musée d’art des 18ème et 19ème siècles de Rende, en Calabre.
«Notre objectif est celui de proposer un parcours au travers de l’oeuvre d’Umberto Boccioni, à partir des toutes premières années du 20ème siècle et jusqu’en 1915», précise le directeur du Musée d’art de Lugano.
Surprenant et inquiétant
Pour Tonino Sicoli, directeur du Musée d’art de Rende et l’un des curateurs, avec la Luganaise Cristina Sonderegger, du noyau de l’exposition consacrée à Umberto Boccioni, «ce parcours révèlera au public un personnage qui ne cesse de nous surprendre par ses aspects contradictoires: d’une part un homme sanguin et irascible, d’autre part un être intimiste et dépressif dont l’ombre du suicide a plané sur la mort précoce.»
«N’oublions pas qu’en 1900, Umberto Boccioni avait dessiné un homme tombant d’un cheval: en 1916 dans la campagne véronaise, il tombe lui-même de cheval et meurt quelques jours plus sur son journal intime, il avait même écrit qu’il se sentait ‘déprimé au point de tomber de cheval’». Détails inquiétants qui nous révèlent un artiste bien peu conventionnel.
Après le maître, l’élève: les œuvres du Florentin Primo Conti occupent le troisième étage du Musée d’art. «Ses tout premiers dessins au fusain remontent à 1912, lorsqu’il était encore un enfant et le parcours que nous avons choisi d’illustrer s’achève en 1925», souligne Bruno Corà.
«Il retrace la période expressionniste de celui qui fut le disciple d’Umberto Boccioni et sa phase d’inspiration métaphysique qui se conclut en 1925 justement, lorsque l’artiste retourna à une vision plus classique de son oeuvre», poursuit Bruno Corà. Ce rapprochement entre Boccioni et Conti n’avait encore jamais été tenté.
Sur une plage d’Antignano
Primo Conti – dessins pour Harriet Quien, la femme venue de la mer –1912-1925 propose une soixantaine de fusains provenant de la collection d’Harriet Quien, l’héritière et féministe hollandaise (1900-1981) qui fut le premier amour et la muse de l’artiste florentin.
Primo Conti avait connu Harriet dite «Harry» en 1923 sur une plage d’Antignano (Toscane). Cette polyglotte cosmopolite qui parlait couramment douze langues fut son modèle durant les années, aventureuses, de leur relation.
Lorsque leurs routes se séparèrent, Primo Conti fit cadeau à Harriet Quien de ces dessins dont ceux qu’il lui avait dédiés. A la mort de la muse, ses héritiers en firent don à la Fondation Primo Conti de Fiesole.
La curatrice de l’exposition, Daniela Palazzoli, a mis l’accent sur les quatre premières phases du parcours artistique de «l’enfant prodige» du futurisme italien.
«Un parcours amorcé dès l’enfance et qui a ensuite traversé les années sombres et difficiles de la Première Guerre mondiale lorsqu’en 1914, Conti a découvert le futurisme par le biais d’Umberto Boccioni pour s’approcher dans les années 20 de la métaphysique et des valeurs plastiques prônées par le peintre italien Giorgio de Chirico avant de revenir au classicisme», explique-t-elle.
«Cette ultime période est la plus importante. Son premier grand amour a conduit Primo Conti à une ampleur de vues qui a été le prélude à une continuité entre l’art et la vie et à une vision globale du futur», note pour conclure Daniela Palazzoli.
swissinfo, Gemma d’Urso, Lugano
L’exposition s’intitule La dinamo futurista. Omaggio a Umberto Boccioni, Primo Conti – Disegni per Harriet Quien, ‘La donna che venne dal mare’, 1912-1925.
Elle a ouvert ses portes le 15 février au Musée d’art de la ville de Lugano (Villa Malpensata).
Elle y restera jusqu’au 19 avril avant de prendre le chemin de la Calabre.
Le manifeste. Le futurisme italien fête ses 100 ans le 20 février 2009. La naissance officielle de cette nouvelle école littéraire, fondée par la Revue internationale Poesia de Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) avait été annoncée le 20 février 1909 par la publication du «Manifeste du futurisme» dans le prestigieux quotidien parisien Le Figaro.
Scandale. Le roman de Marinetti rédigé en français Mafarka, le futuriste fait scandale. Il y glorifiait ceux qui choisissaient la mort violente qui couronne la jeunesse. Le livre évoquait orgies et viols et son auteur fut jugé pour outrage à la pudeur.
Révolution. Le futurisme tire ses assises de la révolution technologique du début du 20ème siècle, de la période baptisée «Belle Epoque». Il déclare une confiance illimitée dans le progrès et décrète la fin des vieilles technologies du «passéisme».

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