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Le mythe de Frankenstein rallumé à Paris

Mary Shelley et Lazzaro Spallanzani, duel psychologique en huis-clos. Loris von Siebenthal

Jusqu’au 23 avril, Aline Gampert et Frédéric Landenberg jouent «Mademoiselle Frankenstein», de Thierry Debroux, au Théâtre du Lucernaire, une pièce créée en 2008 à Genève. La rencontre en clair-obscur entre Mary Shelley et un étrange visiteur.

Nous sommes au «Paradis», petite salle nichée tout en haut du Théâtre du Lucernaire, dans le 6e Arrondissement.

Un espace si intime que, de votre place de spectateur, vous avez le sentiment de vous immiscer physiquement dans le huis-clos intense qui réunit Mary Shelley et l’homme qui lui a donné rendez-vous ce jour-là à la Villa Diodati, à Cologny, près de Genève, quinze ans après la fameuse nuit où, au même endroit, elle eut l’illumination qui lui fit imaginer Frankenstein et sa créature.

L’homme qui lui a fixé ce rendez-vous s’appelle Lazzaro Spallanzani. Interprété par un Frédéric Landenberg très habité, Spallanzani vit, depuis sa découverte du récit, dans l’obsession de rencontrer l’auteur de Frankenstein. Une question le hante en effet: comment une jeune femme de 19 ans a-t-elle pu inventer une telle histoire? Il est persuadé qu’«on ne crée pas Frankenstein impunément».

Ce personnage, Mary Shelley, à laquelle Aline Gampert apporte à la fois force et fêlure, ne veut plus en entendre parler. «Quinze ans que ce livre me poursuit», dit l’écrivaine, en s’avouant alors volcan éteint. La mort hante ses années passée – celle de son  mari, celle de plusieurs de ses enfants. Elle se rêve apaisée, alors que son visiteur va tout faire pour ranimer les cauchemars qui dorment en elle.

Nuit d’orage

1816, Cologny. Nuit d’orage. Dans la Villa Diodati, Byron, propriétaire des lieux, a invité le poète Percy Shelley et sa jeune compagne, Mary, ainsi que le médecin John-William Polidori. Ils se lancent un défi mutuel: écrire le plus rapidement possible une histoire d’épouvante.

Mary Shelley va imaginer un individu «penché sur la chose qu’il avait animée». Cette vision deviendra, deux ans plus tard, le Docteur Frankenstein, ce savant capable de recréer la vie à partir de cadavres récupérés dans des cimetières.

«Le roman de Mary Shelley est fascinant parce que très romantique, constate le comédien Frédéric Landenberg. On a l’image d’une histoire d’horreur, d’épouvante, mais ce n’est pas le cas. On est en plein romantisme, avec des sentiments exacerbés, des gens qui s’aiment, qui se déchirent. La créature de Viktor Frankenstein, c’est quelqu’un qui n’est qu’amour, comme un bébé. Et qui ne recevant que de la haine, finit par devenir un monstre destructeur, un démon».

La tonalité du roman de Mary Shelley est effectivement fort éloignée de ce que le cinéma a décliné ensuite sur le même thème. Et l’auteur de la pièce, le Belge Thierry Debroux, est allé puiser à la source. «Tout ce qu’a écrit Thierry autour de Mary Shelley est véridique. Les dates, les faits. Le seul élément fictionnel, c’est la rencontre avec Lazaro Spallanzani», souligne Aline Gampert.

Entre interrogatoire et psychothérapie

Trop de force contre trop d’apparente innocence. Trop de coïncidences aux résonnances étranges, ainsi ce ‘onze’ qui traverse la vie de Mary. Lazzaro veut savoir, Lazzaro veut comprendre. Quelles puissances – extérieures ou intérieures – la jeune femme a-t-elle donc déchaînées cette nuit de 1816? C’est à un véritable interrogatoire qu’il va procéder, usant de la séduction, de la force, de l’hypnose.

«En écrivant Frankenstein, Mary Shelley a accouché d’un monstre qui l’a dévorée et asséchée. Lazzaro, à la fois bourreau et victime de la jeune femme, devient une ‘créature’ plus vraie que nature. Il fonctionne comme un subconscient implacable qui va fouiller l’essence profonde de la créativité de l’écrivaine et devient un reflet de l’âme et de ses fantômes», écrit le metteur en scène Georges Guerreiro.

Mary affirme avoir inventé une simple histoire. Lazzaro lui rétorque qu’elle a «accouché du dernier mythe de l’humanité», alors que le spectateur ne sait pas encore que ce mythe – la folie d’une science qui ne maîtrise pas ses conséquences – concerne le personnage de très près. «En lisant votre ouvrage, j’ai eu l’impression que ma vie vous avait servi de modèle», dit-il à Mary Shelley.

Car au-delà de la réflexion mystico-fantastique qui emballe le dialogue des deux protagonistes, c’est également les dangers de la science non maîtrisée qui sont évoqués là. «C’est de cela que parle la pièce de Thierry Debroux, comme si c’était un message que Mary Shelley avait voulu transmettre aux générations futures: arrêtez de traficoter la vie, les choses qui relèvent de la nature et qui ne doivent pas être modifiées. Parce qu’un jour, on va se prendre un revers dans les dents. C’est un peu le sentiment qu’on a en voyant le Japon aujourd’hui», relève Frédéric Landenberg.

De Genève à Paris

La pièce a été créée en 2008 au Théâtre du Crève-Cœur, à deux pas de la fameuse Villa Diodati, dans une mise en scène de Michel Wright. Pour cette version parisienne, c’est Georges Guerreiro qui en a repris les rênes. «Frédéric et moi-même avons déjà beaucoup travaillé avec lui. C’est quelqu’un qui est très à l’aise dans la direction de huis-clos», constate Aline Gampert.

Deux metteurs en scène pour une même pièce, avec les mêmes comédiens, à trois ans d’écart, le sentiment doit être assez étrange… «Effectivement, cela change tout l’univers. On a coupé du texte, on a enlevé du décor, des accessoires. Au début des répétitions, on avait la sensation d’être un peu tout nus! On a dû retourner aux sources et lâcher prise sur la première création pour trouver des choses nouvelles, ce qui est assez passionnant», explique Aline Gampert. 

Même enthousiasme pour Frédéric Landenberg: «C’est étonnant de se dire que c’est le même texte, la même situation, les mêmes rebondissements et de constater que les personnages sont devenus très différents. Parce que maintenant, tout est axé sur leur rapport plutôt que sur des éléments périphériques».

Reste maintenant à «Mademoiselle Frankenstein» à déchaîner quelques forces, obscures ou lumineuses, pour que, parmi les innombrables spectacles qui figurent au menu quotidien de sa ville, le public parisien trouve le chemin de la Villa Diodati…

Depuis 1990. Il pratique depuis 1990 le métier de comédien pour le cinéma et pour le théâtre.

Au théâtre, on a pu le voir ces dernières années dans des pièces comme Le secret du Pirate d’Antony Mettler, en passant par Mascarade de Nancy Huston ou encore dans Cymbeline de Shakespeare, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, ou, seul en scène, dans La confession dupasteur Burg de Jacques Chessex.

Au cinéma, il a joué notamment dans On dirait le sud de Vincent Pluss, Du rouge sur la croix de Dominique Othenin-Girard et La petite chambre de Véronique Reymond et

Stéphanie Chuat.

Il a réalisé plusieurs courts métrages, ainsi que deux longs : 20 balles de l’heure (1999) dans le cadre de la résolution Doegmeli 261 et De ce monde (2005).

Depuis 2002. Née à Genève en 1979, Aline Gampert est diplômée de l’Ecole Serge Martin en 2002.

Théâtre. En 2007, au théâtre du Loup à Genève, elle a joué dans Les derniers jours de l’humanité (de Karl Kraus mis en scène par Georges Guerreiro) et sous la même direction, elle a joué dans Tsimtsoum de Sandra Korol créé au théâtre de Poche en hiver 2009, suivi d’une tournée.

Crève-Cœur. Parmi ses rôles au Théâtre du Crève-Coeur, dirigé par ses parents, elle a notamment interprété Marianne dans Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset, Elvire dans Le Cid de Corneille ou Marina dans Les Combustibles de Amélie Nothomb.

«Mademoiselle Frankensein»

Jusqu’au 23 avril: Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris.

17 août: Théâtre du Petit Globe, Yverdon-les-Bains

27 août: Sciez (France, près de Genève)

Une tournée est prévue pour la saison 2012-2013.

Coppet. Mary Shelley reviendra en Suise à travers Frankenstein et sa créature à l’occasion d’un spectacle donné en août et septembre 2011, en plein air, dans le parc du Château de Coppet.

Demierre. La mise en scène sera assurée par Gérard Demierre.

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