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Parler la langue des hommes sans se travestir

Marie Fourquet, à l’heure d’un féminisme plus nuancé. Delphine Schacher

Trois hommes cherchent leur voie. Marie Fourquet, jeune auteure lausannoise, leur prête sa voix dans un spectacle qu’elle a écrit et qui tourne en Suisse romande, avec un petit côté phénomène. Entretien.

L’amant éconduit, le mari revenu de tout et le célibataire dragueur qui n’arrive pas à se caser. Trois hommes et autant de monologues que Marie Fourquet a réunis sous ce titre tourmenté: «Pour l’instant, je doute».

Sa pièce, elle l’a écrite à partir de situations imaginaires et l’a montée elle-même, fin janvier, à Lausanne. Le spectacle est présenté en Suisse romande et en France jusqu’à fin mars. Une grosse tournée donc pour une dramaturge inconnue du grand public, mais qui recueille un franc succès. Le secret? Il est sans doute dans l’audace de cette jeune dramaturge qui parle la langue des hommes sans se travestir. Entretien.

swissinfo.ch: Dans votre pièce, vous vous emparez de la psyché masculine en vous mettant dans la peau de trois gars. C’est une démarche rare chez les femmes auteurs. Que faut-il en penser?

Marie Fourquet: Eh bien, qu’on n’est plus du tout dans les schémas féministes des années 70 où les femmes, lorsqu’elles écrivaient, défendaient la position des femmes. Aujourd’hui, les hommes qui ont entre 30 et 40 ans font partie d’une génération un peu perdue, je trouve, et qui mérite qu’on s’intéresse à elle.

swissinfo.ch: Perdue, pourquoi?

M.F.: Parce qu’elle tient à ce qui constitue l’identité masculine traditionnelle, mais en même temps elle ne veut pas être assimilée au mâle qui aime le football et les gros bras. C’est une génération taraudée par des questionnements qu’elle accepte d’évacuer en allant voir un psychanalyste, par exemple. Chose qui était inimaginable pour nos pères, la psychanalyse ayant été très longtemps considérée comme une thérapie nécessaire aux seules femmes ou recherchée par elles.

Donc, à ce niveau-là, il y a un grand bouleversement. Pour résumer, je dirais que cette jeune génération n’est pas cantonnée dans des certitudes, elle a appris à douter.

swissinfo.ch: Qu’est-ce que vous répondez aux critiques qui trouvent que dans votre texte résonnent pas mal de clichés?

M.F.: Le cliché est au cœur de ma démarche. C’est donc volontaire de ma part de partir de lieux communs pour leur tordre le cou ensuite et aller plus loin. Je précise que je travaille sur le processus d’identification avec le spectateur.

swissinfo.ch: Vous devez donc avoir beaucoup d’échos de la part des hommes qui viennent voir votre spectacle?

M.F.: Pas énormément. Les hommes parlent peu, c’est une question de pudeur, ou d’orgueil peut-être…

swissinfo.ch: Pourtant, ils ont «appris à douter», dites-vous?

M.F.: Oui… bon, il y en a eu quelques uns qui sont venus vers moi pour me dire qu’ils trouvaient «bluffantes» certaines scènes de couple. En revanche, j’ai eu de nombreuses réactions de la part de spectatrices qui m’ont avoué s’être reconnues dans mon «je» masculin. J’en conclus que, finalement, nous autres femmes ne sommes pas très différentes des hommes, que tout n’est pas forcément noir ou blanc. C’est peut-être notre manie d’étiqueter de façon définitive chacune des deux identités qui mène à la mésentente entre les sexes.

J’ai 33 ans et suis mariée depuis 10 ans. Quand je regarde tous ces divorces chez les jeunes de ma génération, je me dis: «Mais qu’est-ce qui se passe, est-ce qu’on est en train de faire une erreur par rapport à un schéma de couple plus classique?» Je n’ai pas de réponse à cette question. Tout ce que je sais, c’est que le modèle idéal masculin ou féminin n’existe pas.

swissinfo.ch: Vous n’êtes pas militante, mais vous n’y allez pas de main morte dans votre pièce. Vous vous montrez même assez provocatrice face à la chose sexuelle. Dans ce sens, suivez-vous l’air du temps?

M.F.: J’aime bien Virginie Despentes (jeune romancière française au style «trash», ndlr), j’avais d’ailleurs mis en lecture un des ses textes «King Kong Théorie». Mais bon, mon CV reste très différent du sien. Je ne suis pas bisexuelle comme elle et je n’ai pas non plus son parcours rock’n’roll. Ce que j’apprécie dans son écriture, c’est sa philanthropie vis-à-vis des hommes, je me reconnais dans sa manière de les comprendre. Elle les aime tels qu’ils sont, sans les castrer, sans leur demander d’édulcorer leur virilité.

swissinfo.ch: Une pièce genre «Les Monologues du vagin» de l’Américaine Eve Ensler, écrite dans les années 1990 et considérée comme un des piliers du féminisme, vous paraît-elle dépassée?

M.F.: Ecrire au «je» féminin, je trouve cela très mièvre. Le journal intime ne m’intéresse pas, le récit pornographique encore moins. Ceci dit, les «monologues» d’Eve Ensler touchent à la sexualité féminine dans le sens organique du terme. Ils parlent d’accouchement, de jouissance… Mes monologues, quant à eux, parlent d’états d’âme, ceux que connaissent les trois hommes que je mets en scène et qui, curieusement, m’ont permis de me libérer dans mon expression.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Pour l’instant, je doute», de et par Marie Fourquet:

– à L’Usine à gaz, Nyon, le 18 février.

– Théâtre Le Garage, Roubaix (France), du 23 au 26 février.

– Théâtre Saint-Gervais, Genève, du 2 au 14 mars.

– Salle des Hospitalières-SAT, Porrentruy, 24 et 25 mars.

– Salle du Soleil-SAT, Delémont, le 26 mars.

Auteur et metteur en scène, elle s’est formée à l’Ecole de théâtre internationale Lassaad, à Bruxelles.

Elle y rencontre son futur mari Philippe Soltermann et entame avec lui une collaboration artistique.

En 2004, elle crée à Lausanne sa compagnie Ad-apte.

Elle prépare actuellement à l’Université de Lausanne un diplôme en gestion culturelle.

Elle écrit et met en scène ses propres spectacles. Parmi ceux-ci, citons «Cabaret sexuel», «Je-me-déconstruction».

Elle est par ailleurs collaboratrice du magazine suisse «Profil», dans lequel elle tient une rubrique mensuelle.

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