Des perspectives suisses en 10 langues

Un roman de 13’095 pages revit sur le net

Alors qu'Aglatidas s'apprête à aborder Amestris, il découvre que son rival, Megabise, s'approche d'elle. artamene.org

«Artamène ou le Grand Cyrus», le plus long roman de la littérature française, est désormais accessible sur Internet.

A l’origine de cette expérience insolite, une équipe de chercheurs de l’Université de Neuchâtel.

«L’embrazement de la Ville de Sinope estoit si grand, que tout le Ciel; toute la Mer; toute la Plaine; et le haut de toutes les Montagnes les plus reculées, en recevoient une impression de lumiere (…) Jamais objet ne fut si terrible que celuylà»…

C’est ainsi que commence l’histoire du Grand Cyrus. On peut aussi renoncer à la lire dans sa graphie de l’époque et choisir la version résumée. Un clic de souris et les mots d’aujourd’hui se substituent à ceux de l’époque baroque.

Et voilà le texte retranscrit et résumé… «Au cœur de la nuit, Artamène et son armée découvrent la ville de Sinope en flammes, alors qu’ils s’apprêtaient à l’attaquer afin de libérer la princesse Mandane, enlevée par le roi d’Assyrie».

Enfin, ceux qui estiment qu’une bonne histoire est une histoire qui contient davantage d’images que de mots pourront encore se projeter sur la page des illustrations qui contient une trentaine de reproductions issues d’une édition de l’époque.

Le péché de la profusion?

Autant de chemins pour démontrer qu’Artamène ou le Grand Cyrus ne mérite pas d’être qualifié d’œuvre démesurée, inaccessible.

Même si on comprend aisément comment il a pu se forger cette réputation… Avec ses 13’095 pages (7443 dans sa version online) et près de 400 personnages, il est le plus long roman de la littérature française.

A l’époque, il avait pourtant rencontré un grand succès auprès du public. «C’est l’une des œuvres les plus importantes du 17e siècle français», observe Claude Bourqui, directeur scientifique du projet artamene.org.

«On en retrouve des influences très fortes jusque chez Molière. Le Misanthrope, par exemple, est imprégné des conversations qu’on trouve dans l’œuvre de Madeleine et Georges de Scudéry».

Mode de consommation

«Par ailleurs, les conditions de consommation de ce type d’ouvrage étaient différentes de celles que nous adoptons spontanément à l’égard de l’imprimé, poursuit le professeur Bourqui. Le Grand Cyrus se prêtait bien à une lecture orale dans un contexte social interactif.»

Au 17e siècle, certains textes étaient surtout lus à haute voix, en situation de salon. Ils étaient utilisés occasionnellement seulement pour la lecture intime et linéaire, telle que nous la pratiquons aujourd’hui, seuls, bien calés dans notre fauteuil à bascule.

«La situation de lecture orale dans un contexte social amenait à échantillonner le texte, précise Claude Bourqui. Or ce roman permet de le faire parce qu’il est réparti en une trentaine d’histoires d’amour, intercalées dans l’histoire principale – les conquêtes de Cyrus. A tout moment, on pouvait extraire l’une ou l’autre.»

Avec leur site Internet www.artemene.org, les chercheurs de l’Université de Neuchâtel ont voulu se rapprocher de ces conditions de lecture originales.

«Il est clair qu’on ne peut pas les simuler parfaitement, souligne le directeur scientifique du projet. Mais le site offre la possibilité d’accéder au texte par différents endroits et de pénétrer dans la lecture dans cette même dimension échantillonnée.»

Une seconde vie

Artamene.org propose, par exemple, des liens hypertexte menant aux fiches décrivant chaque personnage (ce qui n’est pas inutile lorsqu’il y en a près de 400…). Une manière de remplacer le narrateur d’autrefois qui pouvait donner aux participants de la lecture sociale des éléments sur tel ou tel personnage.

Grâce à Internet, les chercheurs espèrent enfin «délivrer le roman de sa gangue de papier» pour qu’il retrouve sa lisibilité et lui offrir par la même occasion une seconde vie.

«La dimension extraordinaire du Grand Cyrus n’a pas permis sa réimpression, explique Claude Bourqui. Il y a donc eu jusqu’ici une sorte de décalage entre le destin de diffusion et l’importance réelle du texte. Le roman a été prétérité. En le transférant sur Internet, on espère modifier son destin…»

swissinfo, Alexandra Richard

Le site Artamène présente l’intégralité du roman «Artamène ou le Grand Cyrus» (1649-1653) de Madeleine et Georges de Scudéry.
Il s’agit du plus long roman de la littérature française.
L’édition originale compte 13’095 pages (un demi-mètre de rayonnage dans les éditions d’époque).
La version en ligne compte 7443 pages.

– Sur artamene.org, le texte des Scudéry est présenté dans sa graphie d’époque, mais la mise en page utilise les outils d’Internet (hypertexte, image, moteur de recherche, etc.).

– Le site s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche subventionné par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique.


– Il est hébergé par l’Institut de littérature française moderne de l’Université de Neuchâtel.

– Un livre de poche présentant des extraits du roman paraît simultanément. Il est coordonné avec le site.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision