Une «Heure exquise» avec Béjart

«Enfin Maurice Béjart libère Winnie!» vidy.ch

Au Théâtre de Vidy-Lausanne, le chorégraphe signe un spectacle somptueux en s'inspirant d'«Oh! les beaux jours», la célèbre pièce de Beckett.

Enfin Maurice Béjart libère Winnie! L’héroïne d’«Oh! les beaux jours», une des plus célèbres pièces de Samuel Beckett, n’est plus cette femme condamnée pour toujours à l’inertie. Elle n’est plus cette enterrée vive qui s’enlise lentement dans le temps, fourrée jusqu’aux nénés dans un «mamelon» de tourbe.

Winnie est désormais libre. Et sa liberté, elle la doit à la générosité de Béjart qui, sous le titre «L’Heure exquise», réécrit à sa manière «Oh! les beaux jours» en faisant de Winnie une ballerine. Là où Beckett déchaîne la violence dans l’immobilité, Béjart la dissout dans la danse. Et là où le premier crée le tumulte dans le silence, le second le résorbe par la musique qu’il emprunte à Webern, Mahler et Mozart.

C’était le moins que l’on pouvait attendre d’un chorégraphe pour qui le corps, davantage que les mots, reste le plus beau véhicule des émotions et de la pensée.

La promesse du moment

Place donc à la danse qui, mieux que tous les babils, permettra à Winnie de s’étourdir et d’occuper tant bien que mal l’interminable journée qui l’attend. Son «mamelon» n’est plus une triste butte de pissenlits, mais un ravissant monticule de chaussons roses qui s’ouvre comme une fleur pour laisser échapper son occupante.

Gracieuse, aérienne, élégante, divine Winnie. Elle a les traits de Maina Gielgud qui se souvient du temps où elle fut jeune ballerine s’exerçant à la barre, avant de devenir une danseuse accomplie, acclamée par un public imaginaire auquel elle s’adresse comme en rêve.

Aujourd’hui, elle voyage en songe, elle délire en tutu, lui aussi rose. Et l’on subit le charme de sa nostalgie. Celle d’un passé glorieux saisi dans la lumière sidérale d’un flash qui subitement la fige. La voici poupée de cire miraculeusement réanimée par le souffle de Willie (Martyn Fleming), son mari dans la version de Beckett, son partenaire de danse chez Béjart.

Elle et lui semblent liés par les liens indéfectibles des souvenirs communs que Béjart brise de temps en temps pour introduire dans sa chorégraphie des ruptures et des embardées. Mais l’harmonie finit toujours par revenir, mêlée aux accents romantiques de cette valse que fredonne Winnie: «L’Heure exquise qui nous grise lentement/La caresse, la promesse du moment…».

swissinfo/Ghania Adamo

«L’Heure exquise», à Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au 16 juin. Tél: [phone].