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Une mascarade vénéneuse

Porras en vieille dame, mascarade vénéneuse… SP/Jean-Paul Lozouet

Avant Vevey et Neuchâtel, Omar Porras présente en création à Genève «La visite de la vielle dame» de Dürrenmatt.

Avec le brio qu’on lui connaît, le metteur en scène colombien mêle ici féerie et tragédie pour stigmatiser la cupidité des pouvoirs publics.

Ce qui se construit sur scène dans «La visite de la vieille dame», c’est un conte merveilleux au cœur d’une société déchue. Contraste ô combien pertinent qui alimente d’un nectar envenimé cette oeuvre magistrale de Friedrich Dürrenmatt, ici servie par un metteur en scène tout aussi magistral, Omar Porras.

Avec le brio qu’on lui connaît, l’artiste colombien, dont la compagnie est établie à Genève, réussit un spectacle qui balance sans peine entre gravité et humour, entre l’horreur profonde et la légèreté enjouée de ceux qui savent que la vie est une grosse farce.

Vision qui s’accorde parfaitement avec l’esprit de Dürrenmatt. Ecrivain affublé toujours de l’étiquette «protestant» alors que ses rapports avec l’austérité sont d’une ironie exquise.

Théâtre suisse et verve latine

Voilà bien dix ans que Porras porte haut la flamme d’un théâtre suisse allié à une verve latine qui procure à ses mises en scène une touche de fantaisie inégalée. Et sa «Vieille dame», comme ses précédentes créations («Noces de sang», «Ay!QuiXote»…) présentées en Europe et en Amérique latine, n’échappe pas à la règle.

Le metteur en scène en avait déjà donné une première version en 1993. Ce qui, à l’époque, lui avait valu le Prix romand des Spectacles indépendants. Il revient donc sur cette pièce de Dürrenmatt qu’il monte au Forum Meyrin (près de Genève), dans une nouvelle production, avec à la scénographie son frère Fredy Porras.

Ces deux-là forment un couple de lutins capable de vous assurer un enchantement d’autant plus étonnant que le monde qu’il cache est un cloaque.

Dans un patelin que Dürrenmatt nomme Güllen, une vieille dame (jouée par Omar Porras lui-même) revient après 40 ans d’absence. Son but? Se venger de son ex-amant Alfred Ill (incarné par Philippe Gouin) qui l’avait séduite et abandonnée.

Pour ce faire, elle va utiliser sa richesse, immense. Cent milliards de dollars sont ainsi offerts à la ville de Güllen et à ses habitants, en contrepartie de l’assassinat d’Alfred.

Proposition qui, pour commencer, soulève l’indignation de la population et des autorités publiques. Mais la tentation est grande et la morale légère. Tellement légère qu’elle frôle la caricature.

Guignols d’un soir

C’est ce qu’il fallait à Omar Porras qui, mieux que quiconque, sait réduire le monde à ses dimensions carnavalesques. Nous voilà donc en pleine satire.

Ici, la vengeance de la vieille dame s’épanouit au milieu d’acteurs masqués. Leurs silhouettes de marionnettes se découpent dans la pénombre d’un théâtre de tréteaux qui favorise les jeux d’escamotage et le mariage entre féerie et tragédie.

Une longue chaîne humaine formée par les acteurs, qui au début entrent en scène à la queue leu leu, va se décomposer petit à petit. Chacun de ses maillons s’avèrera être un corps de la société.. Celle-là même que Dürrenmatt stigmatise en la personne du Pasteur, du Maire, du Proviseur, de l’Adjudant…

Autant de représentants des pouvoirs publics, guignols d’un soir qu’Alfred Ill affrontera un à un dans une atmosphère de mascarade vénéneuse.

C’est peu dire que le spectacle est un joyau d’intelligence. Il est déjà programmé dans de nombreux théâtres, en France (dont Paris), comme en Suisse. Vevey et Neuchâtel l’accueilleront prochainement..

swissinfo, Ghania Adamo

– C’est la deuxième adaptation que le metteur en scène Omar Porras donne de la plus célèbre pièce de Friedrich Dürrenmatt.

– Un texte écrit principalement dans le train, alors que l’écrivain effectuait des trajets réguliers entre Neuchâtel et Berne!

– «La visite de la vieille dame» est à voir à Genève, Forum Meyrin, jusqu’au 31 janvier, au Théâtre de Vevey, le 31 mars et à Neuchâtel, Théâtre du Passage, les 21 et 22 avril.

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