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La politique de milice: aubaine pour l’économie mais obstacle à la carrière?

Gespräch Vorgesetzter - Angestellter
Si un employé a des ambitions pour une fonction politique, il dépend du soutien ou du moins de la courtoisie de l'employeur. Keystone / Peter Klaunzer

L’économie suisse soutient ouvertement le travail de milice. Mais au quotidien, de nombreux salariés ont de la peine à concilier leur carrière professionnelle et l’exercice bénévole d’un mandat politique. Faut-il accorder un appui financier aux employeurs?

Cet article fait partie de #DearDemocracy, la plateforme de swissinfo.ch pour la démocratie directe. En plus de celles de la rédaction, elle accueille aussi des contributions d’auteurs extérieurs. Leurs positions ne correspondent pas forcément à celles de swissinfo.ch.

Une histoire tirée du quotidien, racontée de manière vivante et soulignée par une musique dramatique: le clip vidéo Lien externeen dialecte dans lequel l’organisation faîtière economiesuisse manifeste son soutien au système de milice est frappant. Il présente un maître jardinier qui, suite à une expérience personnelle, décide de s’engager en politique à côté de son travail. Le message: l’économie suisse soutient le principe du travail de milice.

Le système de milice constitue la base du système politique démocratique suisse. Dans ce pays, pour éviter que les élus ne deviennent une caste de politiciens de métier coupés du peuple, il faut qu’ils exercent une activité professionnelle en plus de leur mandat politique. Cela ne vaut évidemment pas pour les membres du Conseil fédéral ou les exécutifs des grandes communes et des cantons.

L’économie a également manifesté son soutien à la politique de miliceLien externe en 2015 dans une déclaration publique largement diffusée et signée par 200 entreprises et associations. Celles-ci s’y engageaient à soutenir leurs collaborateurs qui exercent un mandat politique.

Mais au quotidien, la réalité est souvent bien différente. Celui qui assume des responsabilités à côté de son travail dépend souvent du bon vouloir de son employeur. Parce que l’exercice d’un mandat public signifie qu’il faut quitter le bureau plus tôt pour se rendre à une séance où arriver plus tard à son travail en raison d’une réunion. Pour certains mandats, une réduction du temps de travail peut s’avérer indispensable.

Ouvert mais pas enthousiaste

Une discussion publique sur le travail de milice organisée récemment à Zurich a permis de se faire une idée de ce que combiner travail et mandat politique peut signifier. «Mon chef n’a pas vraiment débordé d’enthousiasme lorsque je lui ai dit que j’étais candidat au Conseil national», a raconté Pirmin Meyer, Head Public Affairs chez l’assureur Zurich et élu vert’libéral au parlement de la ville de Zurich.

Michaela Huser, députée au parlement argovien, a fait une expérience analogue. «Mon chef m’a dit: ‘je voterai pour toi mais j’espère que tu iras à Berne (au Parlement fédéral, nldr) une autre fois’», raconte la politicienne de milice UDC qui travaille elle aussi dans une assurance, mais chez Helvetia.

Pirmin Meyer et Michaea Huser ont cependant relevé que leurs employeurs leur ont manifesté leur soutien, notamment en se montrant prêts à réduire leur temps de travail en faveur du mandat politique. Et effectivement, de nombreuses sociétés prévoient des mesures d’allègement spécifiques pour faciliter l’exercice d’une activité de milice. Par exemple sous la forme de modèles de temps de travail flexibles.

Les grandes entreprises que sont les Chemins de fer fédéraux (CFF) et La Poste permettent en outre aux employés à plein temps de consacrer jusqu’à 15 journées de travail par an à leur mandat. Credit Suisse, Zurich et Julius Bär leur mettent à disposition jusqu’à 20% du temps global de travail payé. Et ils ont la possibilité d’utiliser certaines infrastructures de l’employeur, les photocopieuses ou les beamers par exemple.

Avec l’Année du travail de milice, l’Association des communes suisses (ACS) veut attirer l’attention du public sur la crise que traverse le système de milice suisse, une crise qui peut prendre des proportions dramatiques au niveau de la démocratie locale. La chute de la participation des citoyens, le manque de volontaires prêts à assumer des fonctions politiques, la réduction de la marge de manœuvre politique, les fusions de commune et la disparition des médias locaux ou régionaux en sont les principales raisons. 

Afin de promouvoir une discussion interdisciplinaire approfondie sur les solutions envisageables, l’ACS organise en 2019 des manifestations dans toute la Suisse avec des partenaires issus de différents secteurs. Les discussions entre les experts et le public doivent déboucher sur des impulsions qui, aux yeux de l’ACS, sont nécessaires et urgentes pour renforcer et développer le système de milice. 

Partenaire média de l‘«Année du travail de milice», swissinfo.ch publiera régulièrement des articles sur ce thème.

Un défi pour les PME

L’exercice d’un mandat politique peut toutefois aussi représenter un handicap pour la carrière professionnelle d’un employé. Il y a souvent un écart entre la théorie et la pratique, relève Andreas Ladner, professeur de sciences politiques à l’Université de Lausanne. Les entreprises clament leur soutien au travail de milice, mais lors d’une promotion les supérieurs sont facilement tentés de préférer un candidat entièrement disponible plutôt que celui qui, en plus de son travail, siège dans une commission scolaire.

Et celui qui veut travailler à un taux d’activité réduit dans une grande société verra son ascension stoppée au plus tard lorsqu’il voudra accéder à la direction – parce qu’à ce niveau, la majeure partie des entreprises continuent d’exiger un engagement à 100%, a relevé la conseillère nationale PLR Doris Fiala lors de la discussion publique de Zurich. «Il faut être bien conscient qu’à partir du moment où l’engagement politique prend une certaine importance, la carrière professionnelle reste à la traîne».

Dans ce contexte, on entend souvent déplorer que l’internationalisation de la culture des entreprises dans le sillage de la mondialisation réduise sérieusement la compréhension à l’égard de la culture politique suisse et de son système de milice. Monika Rühl, directrice de l’organisation faîtière economiesuisse, n’est pas d’accord: «Je crois que les entreprises respectent leurs engagements». Pour elle, les problèmes ne viennent pas des grandes sociétés actives au niveau international, mais bien plutôt des petites et moyennes entreprises (PME). «Il est plus difficile de compenser l’absence d’un collaborateur dans une petite exploitation».

L’économie ne veut pas d’indemnités

C’est pourquoi certains parlent d’incitations financières pour encourager le travail de milice. Ainsi, les auteurs d’une étude de la Haute école technique et économique de Coire (HTW) publiée récemment envisagent la possibilité d’indemniser financièrement les entreprises qui mettent à disposition de leurs employés du temps pour leur travail de milice.

Ils s’appuient sur le modèle des cours «Jeunesse + Sport»: lorsque quelqu’un est engagé comme moniteur d’un cours J+S, son employeur touche l’argent provenant d’allocations pour perte de gain identiques à celle qui servent à dédommager les militaires en service. Devrait-on également y recourir pour le travail de milice?

economiesuisse est sceptique. La charge financière pour l’employeur ne constitue un obstacle que dans certains cas très particulier, dit sa directrice Monika Rühl. «Ils ne sont pas une raison suffisante pour réglementer.» Elle estime qu’il est plus sensé, comme le fait son association, de sensibiliser les entreprises à l’importance du travail de milice et aux avantages qu’il représente pour l’économie.

«Le système de milice contribue à ce que la politique prenne en compte les intérêts de l’économie parce que les politiciens de milice sont des gens qui travaillent, connaissent le milieu professionnel et font valoir les préoccupations des entreprises.»

Curdin Derungs, professeur de management public à la HTW de Coire et l’un des auteurs de l’étude, reconnaît que les incitations financières ne suffiraient pas pour sortir le système de milice de la crise. «Mais dans une petite entreprise, elles peuvent être l’argument qui permet l’engagement politique des collaborateurs».

Traduit de l’allemand par Olivier Hüther

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