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Ces injustices mondiales qui entraînent la faim

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Dans un centre de nutrition soutenu par l'UNICEF à Fort Dauphin, Madagascar, en septembre 2015. Une ile frappée alors par la sécheresse et une grave crise alimentaire. Keystone / Shiraaz Mohamed

En instaurant et en défendant des règles injustes, les pays du Nord contribuent à la malnutrition en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

Guerre, catastrophes naturelles, mauvaise gouvernance – certaines causes de la faim peuvent être imputées à la situation du pays concerné. Mais il existe aussi des défaillances systémiques, des injustices, des déséquilibres de pouvoir et des interdépendances qui entravent le développement des régions les plus pauvres du monde ou qui entraînent directement la faim.

Si nous voulons nourrir une population mondiale croissante dans les conditions du changement climatique, nous devons modifier nos systèmes alimentaires, selon l’ONU. Elle organise donc un sommetLien externe à New York le 23 septembre 2021. swissinfo.ch y consacre une série.

Prenons l’exemple de la spéculation alimentaire: lorsque des investisseurs suisses achètent du riz en bourse pour le revendre plus tard à un prix plus élevé, les habitants des pays du Sud ne peuvent plus se permettre de consommer cette denrée de base. Dans ce qui suit, nous examinons les principales évolutions indésirables en matière de nutrition mondiale.

Les animaux de la ferme mangent la nourriture des gens

Dans les pays industrialisés et de plus en plus dans les pays émergents, on consomme trop de viande. Les animaux mangent du fourrage qui doit être cultivé pendant des mois. Par conséquent, pour des valeurs nutritionnelles comparables, la production de viande consomme beaucoup plus de sol et d’eau que la production de céréales, de légumes ou de légumineuses. En outre, les animaux d’élevage émettent des gaz à effet de serre et contribuent ainsi au changement climatique.

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Foto Gaccioli Kreuzlingen

Le changement climatique est l’une des plus grandes injustices de notre époque: alors que les pays riches y ont le plus contribué par leurs émissions de CO2 depuis l’industrialisation, ce sont les pays les plus pauvres qui en subissent le plus les effets, tels que l’érosion des sols, la pénurie d’eau et les sécheresses, qui entraînent de mauvaises récoltes.

Le gaspillage des aliments importés

Un tiers de la nourriture produite dans le monde est jetée. Dans les pays du Sud, les aliments se gâtent souvent après la récolte en raison d’un mauvais stockage, du manque d’installations de réfrigération ou d’infrastructures de transport inadéquates. Dans les pays riches du Nord, en revanche, de nombreux consommateurs sont suffisamment fortunés pour jeter une partie de leur nourriture à la poubelle.

«La nourriture est transportée à l’autre bout du monde et y est gaspillée», se plaint Yvan Schulz de Swissaid, une ONG dédiée à la coopération au développement. Pour lui, le gaspillage alimentaire est l’une des failles des systèmes alimentaires actuels qui entraînent la pauvreté et la faim.

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Keystone / R4182/_andrea Warnecke

Importation – exportation

Les déchets alimentaires sont particulièrement choquants lorsque la nourriture gaspillée a été importée de pays où les gens souffrent de malnutrition. «Il y a beaucoup de terres qui ne sont pas utilisées pour nourrir la population locale, mais pour des produits d’exportation tels que les bananes, le café, le cacao ou l’huile de palme qui finissent sur le marché international», explique M. Schulz. «Les agriculteurs sont donc dépendants des fluctuations des prix sur les marchés internationaux. Si les choses vont mal, ils n’ont pas assez d’argent pour aller à la ville la plus proche et acheter de la nourriture», dit-il, relevant que personne ne se gave d’huile de palme ou de café.

«Les humains ont besoin de différents aliments pour se nourrir. Même les pommes de terre ne suffisent pas», déclare M. Schulz. Le système des exportations et des importations peut donc entraîner la faim. Selon M. Schulz, il serait important de produire localement et de devenir indépendant des chaînes d’approvisionnement. Les bénéfices resteraient également dans le pays lui-même et ne seraient pas transférés vers de riches pays étrangers par l’intermédiaire de grandes entreprises basées en Europe ou aux États-Unis.

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Une plantation de thé à Munnar, dans l’État indien du Kerala. Keystone / Sanjay Baid

Accaparement des terres

Cela devient particulièrement problématique lorsque des entreprises ou des investisseurs internationaux achètent des terres fertiles à grande échelle et produisent des matières premières ou du biocarburant pour l’exportation.

Selon M. Schulz, les entreprises n’ont aucun intérêt à produire des aliments pour la population locale, car le pouvoir d’achat local est très faible. Un kilo de café peut être vendu en Suisse pour plusieurs fois ce que vous obtiendriez pour un kilo de tomates en Colombie.

Une partie du problème est que de nombreux pays ne réglementent pas l’utilisation des biens et des terres. «En Suisse, la loi sur le droit foncier des agriculteurs garantit que seuls les agriculteurs peuvent acheter des terres et non les entreprises, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays», explique la parlementaire écologiste Christine Badertscher, membre du conseil de fondation de Swissaid.

Land grabbing
Un vraquier le long du terminal fluvial du géant du soja américain Cargill à Santarem, dans l’État de Para, au Brésil, en août 2020. Les pêcheurs de la région dénoncent la pollution engendrée par ce terminal. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved.

Les pays occidentaux créent des conditions de concurrence inégales

Les petits agriculteurs des pays du Sud sont en concurrence avec les grandes entreprises internationales. Le système commercial mondial désavantage les petits agriculteurs.

«Les accords commerciaux sont généralement injustes, les pays riches et les entreprises internationales profitent des pays du Sud», explique Yvan Schulz. Les pays en développement exportent principalement des matières premières. En raison du déséquilibre structurel du pouvoir, les producteurs du Sud doivent souvent vendre à des prix trop bas parce qu’ils doivent obtenir de l’argent rapidement, selon M. Schulz.

Et ce n’est pas tout: grâce aux subventions, aux droits de douane et aux normes de produits, les pays industrialisés peuvent proposer leurs propres produits à bas prix sur le marché mondial. Les producteurs locaux ne sont donc même pas compétitifs sur leur propre marché malgré des coûts de production inférieurs. «Les pays occidentaux détruisent partiellement les marchés locaux avec des produits subventionnés», affirme M. Schulz.

Dans le même temps, des pays industrialisés comme la Suisse protègent leur propre agriculture par des droits de douane élevés. Patrick Dümmler, du laboratoire d’idées Avenir Suisse, orienté vers l’économie, est contrarié: «Il est cynique que la Suisse dépense des milliards pour l’aide au développement, tout en entravant l’importation de produits agricoles étrangers avec les droits de douane les plus élevés du monde et des réglementations administratives lourdes.» Les exportations des pays moins développés n’auraient guère de chance.

Reisfeld
Des femmes récoltent du riz à la périphérie d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, en août 2019. Le riz est devenu l’aliment de base en Côte d’Ivoire. Selon l’ADERIZ (Agence pour le développement de la filière riz), la production nationale de riz couvre à peine 50 % de la consommation nationale. Pour combler ce déficit, la Côte d’Ivoire a eu recours à des importations massives. Keystone / Legnan Koula

Selon Beat Werder, du groupe Syngenta, l’Afrique, en particulier, devrait être en mesure de se nourrir grâce à des sols et des conditions météorologiques favorables et n’a pas besoin d’importations alimentaires coûteuses.

Mais Beat Werder pointe aussi la responsabilité des pays africains eux-mêmes: «Lorsque nous avons voulu aider avec certains de nos produits lors de la dernière invasion de criquets, cela a échoué parce qu’ils n’ont pas pu être approuvés en Afrique à temps.» Il est donc crucial que ces pays puissent moderniser leurs processus d’enregistrement des produits: «La Suisse officielle peut également y contribuer par ses programmes de développement.»

Dépendance à l’égard des semences et des pesticides

Selon Simon Degelo, de Swissaid, certains agriculteurs du Sud sont dépendants des grandes entreprises internationales parce qu’ils leur achètent des semences, des engrais et des pesticides. Le problème est le suivant: les agriculteurs doivent acheter les semences chaque année, ils ne sont pas autorisés à les sélectionner eux-mêmes en raison de la protection des variétés.

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Il existe environ trois cents variétés de pomme de terre au Pérou, dont la plupart ne poussent que dans les Andes à haute altitude. Keystone / Martin Mejia

Selon Swissaid, les dispositions légales de nombreux pays en développement criminalisent les petits agriculteurs qui sélectionnent, échangent et revendent leurs propres variétés. Bien que celles-ci soient généralement mieux adaptées aux sols et au climat local que les variétés commerciales.

Le Nigeria et le Ghana, par exemple, ont tous deux récemment adopté des lois strictes sur la protection des variétés végétales. Si un agriculteur déplace des semences protégées, il risque dix ans de prison au Ghana et un an au Nigeria.

Syngenta rejette fermement l’accusation selon laquelle elle rend les petits agriculteurs dépendants des semences commerciales, des engrais synthétiques et des pesticides et les pousse à s’endetter: «Le fait est que l’agriculture d’aujourd’hui peut atteindre des rendements plus élevés avec beaucoup moins de pesticides que par le passé, déclare Beat Werder. Nous apprenons aux agriculteurs des pays en développement à le faire.»

Cependant, l’ONG Swissaid et Syngenta, le leader mondial des pesticides, sont d’accord sur un point: la plupart des petits exploitants des pays en développement n’achètent pas de semences commerciales. «Dans de nombreux pays, 80 à 90 % des semences proviennent de la production des agriculteurs», explique Simon Degelo, de Swissaid. Le marché des semences commerciales est très faible dans la plupart des pays d’Afrique et dans certains pays d’Asie, selon M. Werder de Syngenta.

La plupart des petites agricultrices et petits agriculteurs doivent réutiliser les semences de l’année précédente «gratuitement», selon Beat Werder. Les semences conservées présentent souvent des inconvénients importants par rapport à ce que proposent les entreprises, dit-il: «Elles n’offrent aucune sécurité sur le rendement et les maladies de l’année précédente sont reportées.»

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