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Internet, une arme dans les manifestations en Iran

Maryam Banihashemi an einer Demo in Zürich.
Maryam Banihashemi lors d'une manifestation à Zurich: depuis la mort de Masha Amini à Téhéran, elle déploie toute son énergie contre le régime iranien. © Keystone / Michael Buholzer

Jamais la résistance contre le régime iranien n'a été aussi jeune ni aussi internationale. La génération Z mène les protestations sur place, et les Iraniens et Iraniennes en exil apportent leur aide via les réseaux sociaux. Mais le régime utilise également Internet à ses fins.

Maryam Banihashemi doit encore s’y habituer. «Il y a trois semaines, personne ne connaissait mon nom en Suisse, et aujourd’hui, c’est déjà la deuxième fois que je rencontre des politiciens au Palais fédéral», explique l’exilée iranienne. Depuis le début des protestations mondiales contre le régime des mollahs en Iran, cette presque quarantenaire est devenue le visage de la résistance suisse.

De nombreux médias en Suisse l’ont déjà interviewée et photographiée. Cette spécialiste des réseaux sociaux a étudié à l’université d’élite Sharif de Téhéran ainsi qu’en Allemagne. Elle a quitté l’Iran pour la Suisse il y a six ans et s’est constitué une communauté de 20’000 abonné-es sur Instagram grâce à ses photos de voyage et de nature.

Depuis bientôt un mois, rien n’existe plus pour cette Iranienne en exil que la protestation en et pour l’Iran. Celle-ci a été déclenchée à la suite de l’arrestation puis du décès de Mahsa Amini, 22 ans, par la police des mœurs iranienne à Téhéran. Son délit: elle aurait porté son foulard de manière non conforme aux prescriptions. Deux heures après son arrestation, elle est tombée dans le coma. Elle est décédée le 16 septembre.

Le gouvernement iranien affirme que Mahsa Amini est morte des suites d’une maladie. La famille affirme cependant que la jeune femme était en bonne santé jusqu’à son arrestation. Elle est convaincue que les véritables raisons du décès sont les violences policières. Le jour même de l’arrestation de Mahsa Amini, d’origine kurde, l’affaire a été rendue publique sur les réseaux sociaux, et le lendemain, les médias iraniens l’ont reprise.

Bild von Demo in Teheran
Plus de 300 manifestations ont eu lieu en Iran depuis la mort violente de la jeune femme d’origine kurde. Et à chaque fois, les forces de sécurité de l’Etat les répriment avec brutalité. Keystone / Str

Le régime a coupé Internet

L’événement a déclenché un embrasement et des rassemblements de masse ont eu lieu dans tout le pays. Sur la base de vidéos, la BBCLien externe a répertorié qu’au moins 300 manifestations se sont tenues dans tout l’Iran jusqu’à la semaine dernière. Mais les forces de sécurité de l’État réagissent avec brutalité: selon l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International, 82 personnesLien externe, dont des enfants, ont été tuées par les forces de sécurité rien que dans le sud-est du pays lors de la répression des protestations.

Le régime ne s’est guère exprimé sur les réseaux sociaux durant les 14 jours qui ont suivi la mort de Mahsa Amini. La seule action des autorités a consisté à limiter l’accès à Internet ou le couper complètement afin d’étouffer dans l’œuf le mouvement. Les interruptions ont été fréquentes, selon le rapportLien externe de Netblocks, une organisation qui surveille la cybersécurité et la gouvernance d’Internet. «Une arme puissante du régime», comme l’a déclaré Isik Mater de Netblocks à la BBC.

Selon lui, le réseau de téléphonie mobile n’est actuellement plus régulièrement interrompu. «Les restrictions sur les médias sociaux et les plateformes de messagerie sont toutefois toujours en vigueur», a déclaré Alp Toker, fondateur de Netblocks. Des problèmes persistent également sur le réseau mobile et fixe, a-t-il ajouté. A cela s’ajoutent des coupures de courant ciblées dans différentes régions.

Malgré ces restrictions, le mouvement de protestation est parvenu depuis longtemps à franchir les frontières de l’Iran. Des millions de photos de rassemblements de personnes qui ne craignent pas le régime sont partagées sur les plateformes numériques. À ce jour, le hashtag #مهسا_امینی (Mahsa Amini) a été utilisé des millions de fois sur Instagram. Instagram est l’un des réseaux les plus populaires parmi la population iranienne, car jusqu’à il y a trois semaines, il n’était guère contrôlé ou censuré.

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La génération Z est plus courageuse

Le récent mouvement de protestation dans la République islamique d’Iran est l’un des plus importants de ces dernières décennies. Fait marquant: ce sont surtout les jeunes Iraniennes et Iraniens qui descendent dans la rue. Une jeunesse qui appartient à la génération Z – également appelés Zoomers – et est née entre 1997 et 2010.

Dans son analyseLien externe, le Middle East Institute écrit que la génération Z iranienne, contrairement à ses parents et grands-parents, a obtenu un meilleur accès à l’information et au monde extérieur. «Sa présence active sur les réseaux sociaux et son accès à ceux-ci lui ont donné de meilleures capacités d’analyse, une plateforme pour leurs préoccupations et le courage d’exprimer leurs opinions». Selon les chiffres officiels du journal en ligne iranien ultraconservateur Javan Daily, 93% des protestataires ont moins de 25 ans.

Maryam Banihashemi, bientôt 40 ans, ne fait certes plus partie de cette génération. Mais le mouvement de protestation lui donne le courage de croire que quelque chose va changer en Iran. Depuis qu’elle a appris la mort de Mahsa Amini, elle ne dort presque plus et investit toutes ses forces dans la révolte. Elle utilise pour cela son expertise dans les réseaux sociaux et s’est ainsi constitué un réseau.

Elle-même n’a pas beaucoup de contacts directs dans le pays. Son père vit encore en Iran et s’inquiète que sa fille soit désormais exposée au public, il a peur. Une peur que partagent beaucoup d’Iraniennes et d’Iraniens en exil et qui préfèrent donc ne pas s’exprimer dans les médias. Une peur que la jeune génération iranienne a toutefois abandonnée. Elle n’a guère de perspectives et ose donc affronter ouvertement le gouvernement.

La diaspora suisse est active

Comme nombre de ses compatriotes ayant fui le régime, Maryam Banihashemi reçoit des vidéos et des nouvelles d’Iran qu’elle partage sur les réseaux sociaux. «Mais nous ne devons pas tous diffuser le même contenu», affirme-t-elle avec conviction. Elle se positionne en tant que médiatrice, en montrant au peuple iranien que le monde prend en compte ses revendications et en convainquant les autorités et les organisations locales d’agir. «Le changement doit se produire dans le pays lui-même, mais nous devons les aider à trouver la force de continuer», déclare Maryam Banihashemi.

Les autorités suisses sont restées longtemps silencieuses sur les événements en Iran – trop longtemps au goût de nombreuses et nombreux exilés iraniens. La semaine dernière, le président de la Confédération Ignazio Cassis a tout de même réagi et critiqué le régime des mollahs iraniens. Il ne voit toutefois aucune possibilité de sanctions supplémentaires.

Maryam Banihashemi estime que, bien que la diaspora iranienne en Suisse compte à peine 6500 personnes, les manifestations et les différentes actions ont reçu une attention importante comparativement. «Mais il faut faire plus», dit-elle. C’est pourquoi elle a lancé une pétitionLien externe. Elle est en outre heureuse que des politiciens suisses aient déposé une interpellationLien externe exigeant des mesures suisses contre les violations des droits de l’homme en Iran. Entre-temps, des universités suisses comme l’ETH Zurich ou l’EPFL Lausanne se sont également déclarées solidaires de la communauté iranienne.

La population iranienne a appris à contourner la censure

«Internet est la principale arme de la population civile», a récemment déclaré la journaliste germano-iranienne Natali Amiri dans le quotidien alémanique Tages-Anzeiger. Depuis longtemps, la population iranienne a trouvé des moyens de contourner la censure. Actuellement, les applications qui permettent de naviguer anonymement sur Internet sont en plein essor.

Les Iraniennes et Iraniens ont également appris une chose au cours des dernières décennies: «à distinguer les informations dignes de confiance des fausses nouvelles», explique Negin Winkler, une Iranienne vivant en Suisse. C’est une compétence particulièrement importante, surtout à l’heure où le gouvernement commence à mettre sa propagande en œuvre.

L’exemple du chanteur iranien Shervin Hajipour illustre le fonctionnement de cette propagande. Shervin Hajipour a été emprisonné après que sa chanson «baray-e azadii» («Pour la liberté») a été visionnée près de 40 millions de fois sur Internet et est devenue l’hymne de la protestation. La vidéo a été supprimée et le chanteur remis en liberté sous caution. Il a pris ses distances avec le mouvement de protestation sur Instagram. Mais ses fans sont certain-es que cette déclaration a été forcée.

La chanson «Pour la liberté» est devenue l’hymne de la révolte iranienne:

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«L’attention internationale doit subsister»

Negin Winkler
Negin Winkler apparaît publiquement et veut ainsi donner une voix aux femmes iraniennes. zVg

Negin Winkler veut contribuer à lutter contre la propagande du régime, même si cela signifie qu’elle ne peut plus retourner dans son pays d’origine. La physicienne suit l’actualité à partir de sources fiables. Comme Maryam Banihashemi, elle est présente dans les médias suisses. Il est particulièrement important pour elle de souligner que cette révolution défend pour la première fois les droits des femmes en Iran. 

«En Iran, ils n’entendent pas ce que nous faisons ici, mais nous pouvons porter la voix des protestataires dans le monde et montrer notre solidarité», explique la jeune femme de 31 ans. Car l’attention internationale sur les événements en Iran doit persister. «Dès que le monde ne s’intéresse plus aux Iraniennes et Iraniens, le régime ferme ses portes et commence à tuer des gens».

Traduit de l’allemand par Emilie Ridard 

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