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Plus d’un élu suisse sur deux se dit victime de menaces

Salle du Conseil national
© Keystone / Anthony Anex

Près de 60% des parlementaires fédéraux disent se sentir menacés et 78% affirment subir des insultes régulièrement. Un phénomène qui touche davantage les femmes que les hommes. C’est ce qui ressort d’une vaste enquête menée par la Radio télévision suisse (RTS).

En 2018, l’Office fédéral de la police (Fedpol) a été informé de 669 menaces contre des politiciens, juges et fonctionnaires fédéraux. Le problème est particulièrement exacerbé sous la Coupole fédérale, comme l’a révélé mardi la RTS, qui a mené une grande enquête auprès des députés suisses.

Plus de 58% des élus ayant répondu au questionnaire de la RTS disent avoir reçu des menaces plus ou moins régulièrement, et à des degrés de gravité différents. Par ailleurs, 78% dit se faire insulter couramment par courrier postal, courrier électronique, messageries mobiles ou sur les réseaux sociaux.

Protection policière et gilet pare-balles

Avec un taux de presque 66%, les femmes semblent plus exposées aux menaces que les hommes (54,7%). C’est le cas de la députée Margret Kiener Nellen, qui a lancé une quinzaine de procédures ces quatre dernières années, dont deux ont abouti à des condamnations et deux autres sont toujours en cours.

La socialiste bernoise a en effet reçu plusieurs lettres de menaces de mort durant la période précédant les élections fédérales de 2015. Ce qui a conduit à une protection policière. «Il y avait des patrouilles chez moi une à deux fois par jour. J’ai dû changer mes portes et mes fenêtres.» La conseillère nationale se souviendra également longtemps de son allocution du 1er mai 2015, à Bienne: «Pour la première fois de ma vie, j’ai dû porter un gilet pare-balles.»

Et d’ajouter: «Ces mesures m’ont rassurée et m’ont permis de ne pas céder d’un millimètre dans mes engagements politiques.»

>> Le témoignage de Margret Kiener Nellen:

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Procédures pénales

Le député de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) Mike Egger a, lui aussi, bénéficié d’une protection policière en 2015: «J’ai d’abord reçu plusieurs messages très dénigrants, ce qui arrive sans doute à beaucoup de parlementaires. Mais, par la suite, j’ai reçu des menaces concrètes sous-entendant qu’on voulait m’éliminer. La police m’a donc informé que je serais suivi.»

Méthodologie

Le sondage a été envoyé par courriel à l’ensemble des 246 parlementaires fédéraux, en français et en allemand. Deux messages de relance ont été envoyés durant le mois de mai. 

Au total, 124 élus ont répondu, dont 11 n’ont pas souhaité participer au sondage. C’est donc sur un échantillon de 113 conseillers.ères nationaux.ales et conseillers.ères d’Etat – 75 hommes et 38 femmes – que se base cette enquête. A noter que la part des femmes au Parlement fédéral s’élève à 28,9% actuellement.

A l’instar de Margret Kiener Nellen, une dizaine de participants au sondage précise avoir entamé des procédures pénales. C’est ce qu’ont fait deux élus alémaniques (souhaitant garder l’anonymat), l’une ayant reçu des menaces de viol, l’autre ayant découvert des animaux morts dans sa boîte aux lettres.

Quant à l’Argovien Cédric Wermuth, il affirme avoir découvert une balle d’arme à feu dans une enveloppe. Le socialiste met en lien ces intimidations avec son combat pour le droit des requérants d’asile. «Il serait malhonnête de dire que ces choses ne me font pas peur, mais cela fait partie de la routine de la politique. Dans ces moments-là, on pense surtout à protéger sa famille et à éviter qu’elle soit directement touchée», réagit-il.

D’autres, comme l’UDC vaudois Michaël Buffat, relativisent: «Je reçois régulièrement des piques après des débats émotionnels comme l’asile ou l’Europe. La première lettre anonyme que j’ai reçue m’a fait bizarre, mais on s’y habitue. Cela fait partie de la politique.»

90% de femmes visées par des insultes sexistes

En ce qui concerne les insultes, la majorité des 78% de participants concernés dit recevoir des attaques en lien avec leur parti (54%) ou avec des idées qu’ils défendent (47,8%).

Les insultes sexistes touchent plus largement les femmes que les hommes: près de 88% des élues en subissent, alors que seuls 5,5% de leurs collègues masculins en sont victimes. Les invectives peuvent prendre des formes plus ou moins crues, à en lire les témoignages obtenus: «Too sexy for politics», «Frigide et bonne à revêtir une burqa», «poison blond», ou encore «les femmes au Palais sont un accident».

L’écart entre les genres se resserre dans la catégorie «insultes à caractère sexuel», puisqu’environ 40% des sondées s’en disent victimes, contre 11% chez les hommes. Ce type de message prend parfois la forme d’images pornographiques, comme témoigne cette élue romande, sous couvert d’anonymat: «On m’a envoyé, par courrier, un montage photo de ma tête collée sur un corps de femme, dans une position sexuelle.»

Les hommes davantage ciblés par les propos homophobes

Les dénigrements homophobes, qui concernent une minorité des personnes questionnées (7,1%), sont le plus souvent destinés aux parlementaires masculins: 12,7% en reçoivent, alors qu’une seule conseillère nationale en fait mention.

«J’ai reçu des lettres ou des tweets anonymes me disant de faire attention à ma vie ou me disant que l’on ne pouvait rien attendre de personnes homosexuelles», rapporte le libéral-radical zurichois Hans-Peter Portmann.

Un autre député qui défend la cause LGBT indique recevoir régulièrement des invectives homophobes. «On m’a par exemple écrit ‘Si ton père était un sale pédé comme toi, tu ne serais au moins pas sur Terre’.»

De une fois par année à plusieurs fois par semaine

La fréquence des messages insultants ou menaçants (via email, courrier postal, réseaux sociaux ou messageries mobiles) varie fortement. La majeure partie estime en recevoir entre une et cinq fois par an (38%), alors que 32% y sont confrontés une à cinq fois par mois.

A noter que 10% de notre échantillon disent en être victimes plusieurs fois par semaine, alors qu’un participant sur dix n’en reçoit jamais.


Conseillers fédéraux également visés

Les membres du Conseil fédéral ne sont pas épargnés par les menaces et les insultes. Sans donner de détails, la Chancellerie indique que plusieurs «personnalités publiques reçoivent régulièrement des menaces ou sont insultées, y compris les conseillers fédéraux.»

Et de préciser: «Les cas que nous jugeons pertinents pour la sécurité sont transmis à Fepdol.»

Lorsque les parlementaires se sentent menacés, ils se tournent généralement vers les services de sécurité du Parlement ou Fedpol. «La plupart du temps, ce sont des gens qui veulent se défouler à la suite d’une prise de position d’un élu par exemple», indique l’Office fédéral de la police. 

Environ 10% des cas annoncés par les parlementaires sont jugés sérieux. «Lorsque les invectives se répètent, que le ton devient de plus en plus menaçant ou qu’il y a une volonté claire d’agir, on conseille aux victimes de porter plainte directement auprès des polices cantonales», précise l’office. Les mesures concrètes, telles que les protections rapprochées, sont ensuite menées par les forces policières des cantons. 

Cellule spéciale au Parlement 

A la fin 2017, le Parlement a mis en place une cellule de conseil indépendante pour les parlementaires victimes de harcèlement sexuel ou de mobbing. Contactés, les services du Parlement indiquent que ce dispositif n’a pas encore été sollicité, mais qu’il reste en place. 

En outre, une autre cellule de conseil concernant le cybermobbing a récemment été créée. «Les premiers résultats parviendront à la fin de cette année», explique la porte-parole des services du Parlement Isabelle Flükiger.


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