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Relations Suisse-Chine: profits et fâcheries

Rencontre entre le premier ministre chinois Li Keqiang et le ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann à Pékin
Rencontre entre le ministre du commerce chinois Gao Huchenget et le ministre suisse de l’économie Johann Schneider-Ammann à Pékin en 2013. Keystone / How Hwee Young

La Suisse et la Chine entretiennent des relations bilatérales depuis 1950 déjà. Mais les rapports entre le petit État démocratique et la grande puissance communiste sont parfois compliqués. Et ils le seront certainement plus encore à l’avenir. Car dans le sillage du durcissement des relations internationales, on attend de la Suisse qu’elle se positionne plus clairement.

La Chine a réagi par retour de courrier: la Suisse n’a pas à s’immiscer dans les affaires intérieures du pays, écrit Wang Shiting, l’ambassadeur chinois à Berne, en mars 2021. Il évoque des «accusations infondées» et des «fake news». Quelques jours auparavant, le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis a présenté la future «Stratégie Chine» du Conseil fédéral et a soulevé la question des droits humains et du traitement des minorités par le régime chinois. Le ministre a parlé un langage inhabituellement clair, en épinglant par exemple des «tendances de plus en plus autoritaires». Aussitôt, Wang Shiting a publiquement accusé certains Suisses d’attiser la confrontation idéologique: «Cela n’aide pas au développement de nos relations.»

Un rapprochement précoce

Les contacts entre la Suisse et la Chine ont une longue histoire. Ils sont complexes et compliqués. La Suisse fut l’un des premiers États occidentaux à reconnaître la République populaire maoïste en 1950. Depuis les années 1980, elle entretient de vastes échanges bilatéraux avec Pékin. En outre, depuis plus de 30 ans, elle soutient des projets servant au transfert de connaissances et de technologies. Aujourd’hui, ceux-ci englobent notamment des projets d’aide au développement, qui ont pour but d’aider la Chine à lutter contre le réchauffement climatique. Enfin, depuis 1991, il existe un dialogue sur les droits humains, dans le cadre duquel les ministres des affaires étrangères des deux pays discutent chaque année de la situation des droits humains en Chine. La Suisse officielle partageant le point de vue critique des autres pays sur la situation précaire des Ouïgours au Xinjiang, ce dialogue est cependant à l’arrêt depuis 2019.

Comptoir suisse 1975 Lausanne
Le comptoir suisse de 1975 à Lausanne. Keystone / Alain Gassmann

Un des principaux pays d’exportation

Les relations économiques ont depuis toujours une importance particulière. L’exemple du constructeur lucernois d’ascenseurs et d’escalators Schindler illustre bien le rapprochement économique précoce entre les deux pays. Schindler est en effet la première entreprise industrielle occidentale à avoir conclu une joint-venture avec les Chinois. Aujourd’hui, elle possède six filiales en Chine, profite du boom de la construction dans les métropoles chinoises et participe à de nombreux chantiers prestigieux. Actuellement, la Chine est le troisième marché d’exportation de la Suisse après l’Allemagne et les États-Unis. La Suisse est le premier pays d’Europe continentale à avoir signé un accord de libre-échange avec la superpuissance asiatique. Entré en vigueur en 2014, il lui assure des avantages concurrentiels: les entreprises profitent d’un accès au marché facilité; elles exportent sans droits de douane ou à des tarifs réduits.

Comment la Suisse profite à la Chine

Les deux pays sont fiers du côté pionnier de leurs contacts bilatéraux. La Suisse officielle considère que son rôle est de bâtir des ponts. Elle mise sur un dialogue «constructif et critique» et se montre réticente à prononcer des critiques ou des sanctions. Elle souhaite apporter des améliorations en collaborant avec la Chine. Pour le gouvernement chinois, ces multiples coopérations sont intéressantes sur le plan politique: il voit dans ce petit État neutre une passerelle vers l’Europe.

Les deux pays ont des échanges réguliers au plus haut niveau politique. Toutefois, des couacs se sont déjà produits plusieurs fois. Nombreux sont les Suisses à se souvenir de la visite de Jiang Zemin en 1999. Furieux de voir des Tibétains manifester en ville de Berne – et exercer ainsi, comme c’est souvent le cas en Suisse, un de leurs droits démocratiques – , le chef d’État chinois fait attendre le gouvernement suisse et, visiblement irrité, écourte la réception officielle. Quand la présidente de la Confédération d’alors, Ruth Dreifuss, aborde un peu plus tard la question des droits humains, la situation se dégrade encore. En fin de compte, Jiang Zemin déclare: «Vous avez perdu un ami».

Ruth Dreyfuss et Jiang Zemin
En 1999, Ruth Dreyfuss, alors présidente de la Confédération, accueille le président chinois Jiang Zemin. L’ambiance est encore au beau fixe. Keystone / Str

Le régime contrôle son image

Ce type de fausses notes ne s’observe pas seulement en politique. Certaines acquisitions d’entreprises et d’immeubles, mais aussi certains investissements chinois dans le football suisse, font grincer des dents en Suisse. Comme nulle autre puissance étatique ou presque, le Parti communiste chinois (PCC) tente de contrôler la manière dont il est perçu à l’étranger. En Suisse aussi, il surveille systématiquement et sans ménager ses efforts la façon dont on parle de la République populaire dans la diaspora, les instituts de formation, les cercles économiques, et même sur la scène culturelle. Des représentants du PCC participent à des manifestations publiques. Ils ne sont pas passés inaperçus lors d’un événement organisé par l’université de Zurich, brandissant leur caméra au moment où des questions, de leur point de vue malvenues, ont été posées.

L’ambassade chinoise à Berne est notamment intervenue quand des étudiants de la Haute école d’art de Zurich ont réalisé un film sur les révoltes à Hongkong. En 2021, le cas d’un doctorant de l’université de Saint-Gall (HSG) a fait couler beaucoup d’encre. Celui-ci avait critiqué le gouvernement chinois sur Twitter, à la suite de quoi sa professeure avait pris ses distances avec lui. Sa demande de réimmatriculation à la HSG, après un séjour dans une université chinoise, a été refusée. À l’issue de ce conflit, et après trois ans de travaux de recherche, il a dû changer de voie professionnelle. La HSG, qui entretient des contacts avec des hautes écoles en Chine par des programmes d’échanges et des projets de formation et de recherche, a entre-temps annoncé qu’elle se pencherait sur des dangers tels que le transfert de connaissances incontrôlé ou l’autocensure.

Ruth Dreyfuss et Jiang Zemin
Quelques heures plus tard, l’ambiance s’est fortement dégradée en raison de manifestations pour le Tibet dans la capitale fédéral. Le président chinois reproche à Ruth Dreyfuss de ne pas savoir “contrôler son peuple”. Keystone / Str Team

Autocensure dans la recherche

Ralph Weber, professeur à l’Institut européen de l’université de Bâle, replace ces événements dans un contexte plus large. Il parle d’un problème structurel, qui concerne de nombreuses écoles supérieures en Europe. «L’autocensure est une question qui se pose à tous les chercheurs travaillant sur le terrain de régimes autoritaires.» L’attitude de la Chine pose problème aux écoles, mais aussi aux entreprises et à la sphère politique. Le politologue a analysé la manière dont le gouvernement chinois use de son influence en Suisse. «Ses efforts dans ce sens sont systématiques», note-t-il. Selon Ralph Weber, l’État-parti chinois possède un réseau difficile à cerner d’associations et d’organisations qui s’associent avec des acteurs locaux. «Il tente ainsi de faire entrer ses messages dans nos têtes.»

Ai Wei Wei
L’artiste dissident chinois Ai Wei Wei. Keystone / Petr David Josek

Quiconque fait des affaires en Chine à affaire au PCC. Dans quelle mesure faut-il lui complaire? La question a fait débat l’an dernier, quand la banque Crédit Suisse a résilié le compte d’Ai Weiwei, artiste critique envers le régime chinois. La banque a affirmé l’avoir fait en raison de l’absence de certains papiers. Les voix critiques avancent toutefois que Crédit Suisse, qui souhaitait renforcer sa position sur le marché asiatique, avait surtout à cœur de ne pas fâcher les autorités chinoises.

Des espoirs déçus

Les échanges bilatéraux avec l’empire du Milieu constituent depuis toujours un exercice d’équilibrisme. Des partis de gauche et des organisations de la société civile refusent de collaborer avec un régime qui «opprime les minorités». Ils condamnent depuis des années les agissements de l’État au parti unique contre les libres-penseurs, les Tibétains, les Ouïgours et les habitants de Hongkong. Ces critiques, et l’appel à adopter une attitude plus dure vis-à-vis de la Chine, ont pris de l’ampleur récemment. Aux Chambres fédérales, les initiatives dans ce sens se sont multipliées.

À l’automne, le Parlement s’est demandé s’il fallait compléter l’accord de libre-échange par un chapitre sur les droits humains et sociaux. «Hélas, l’espoir de voir dans le sillage de l’ouverture économique des progrès advenir sur le terrain de la démocratie et des droits humains a été déçu», a déclaré le conseiller national vert’libéral Roland Fischer (LU), soulignant que les années de dialogue sur les droits humains ont eu peu d’impact. Le conseiller fédéral Guy Parmelin a rétorqué qu’il serait contre-productif d’exiger des clauses contraignantes. «Nous bloquerions ainsi la situation, a-t-il averti, et fermerions les portes du dialogue avec la Chine sur toutes ces questions importantes.»

Pragmatisme ou opportunisme?

«La Suisse entend bâtir des ponts, exploiter les opportunités et aborder les problèmes ouvertement», lit-on dans la nouvelle stratégie du Conseil fédéral. Celui-ci souhaite donner ainsi un cadre clair aux nombreux types de liens que la Suisse entretient avec la Chine. Il continue de miser sur une politique chinoise indépendante et souligne sa neutralité. En même temps, il veut s’engager «en faveur de l’intégration de la Chine dans l’ordre international libéral et dans la gestion des défis mondiaux». Le problème est que «sur ce point, cette stratégie est ambivalente», relève Ralph Weber, car on ignore comment la Suisse entend concrètement la mettre en œuvre. Cette ambiguïté, dit le politologue, la Suisse la porte en elle depuis des décennies, à savoir «depuis qu’elle a décidé, pour des raisons absolument compréhensibles, de collaborer avec un régime autoritaire tout en voulant rester fidèle à ses valeurs». La Suisse, poursuit-il, a opté pour une voie pragmatique, qui peut également être vue comme de l’opportunisme.

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La voie suisse sous pression

En effet, il est de plus en plus ardu pour la Suisse de justifier sa neutralité. La guerre d’influence mondiale menée par la Chine suscite des réactions de rejet dans le monde entier. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont nettement durci leur rhétorique et ourdi une guerre commerciale contre la Chine. Joe Biden semble plus modéré, mais il suit une stratégie tout aussi claire. En novembre 2021, il a mis en garde le chef d’État chinois Xi Jinping contre une confrontation. La concurrence économique ne doit pas dégénérer en conflit, a déclaré le président américain lors d’une rencontre virtuelle, arguant que tous les pays doivent s’en tenir aux mêmes règles du jeu.

L’an dernier, l’UE a prononcé des sanctions contre des responsables chinois, protestant ainsi contre les «arrestations arbitraires» de Ouïgours au Xinjiang. Pékin a aussitôt réagi en prenant des mesures contre des parlementaires et des scientifiques européens. Le régime chinois a aussi adopté des contre-sanctions quand des critiques ont été émises sur sa gestion de la pandémie. Il a par exemple restreint le commerce avec l’Australie après que celle-ci a soutenu des demandes visant à enquêter sur les origines du coronavirus. Dans son Rapport de situation 2020, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) note qu’au niveau mondial, la Chine est devenue un facteur de tensions au moins depuis le début de la pandémie et que l’image internationale de la Chine a souffert. Dans son analyse, le SRC évoque également le danger des cyberattaques et des activités chinoises d’espionnage. Ces dernières représentent, écrit-il, «une menace importante pour la Suisse». Cela montre pourquoi la neutralité suisse vis-à-vis de la Chine touche de plus en plus à ses limites.

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Débat sur un boycott diplomatique

L’attitude de la Suisse a de nouveau donné matière à discussion avant les Jeux olympiques d’hiver, quand les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et l’Australie ont opté pour un boycott diplomatique, suivis par plusieurs États européens. Le conseiller national zurichois Fabian Molina (PS) a fait valoir qu’on ne peut pas applaudir les compétitions sportives sans se soucier des droits humains en Chine. «Il n’y a pas lieu de faire la fête dans un pays où sont sans cesse commis des crimes contre l’humanité.» D’après lui, la Confédération devait plutôt donner un signal fort et renoncer à envoyer une délégation officielle.

Christoph Wiedmer, directeur de la Société pour les peuples menacés, s’est également prononcé en faveur du boycott. Pour obtenir des améliorations, il faut faire preuve de fermeté, a-t-il déclaré. «Les violations des droits humains au Tibet et au Xinjiang ont pris des proportions choquantes. En 2008 déjà, les Jeux olympiques d’été ont montré que sans pression internationale vigoureuse, la République populaire de Chine n’arrêtera pas d’opprimer ses minorités.»

Le Conseil fédéral a tardé à répondre à ces sollicitations. Finalement, il a communiqué qu’il serait «convenable» qu’un représentant du gouvernement se rende à la cérémonie d’ouverture à Pékin. Il s’est toutefois laissé une certaine marge de manœuvre en se référant à la pandémie. Son porteparole a déclaré: «Si la situation sanitaire requiert la présence en Suisse de tous les conseillers fédéraux, le voyage sera annulé». À la fin de janvier, il a décidé de ne pas prendre part aux festivités.

Cet article a été publié le 1er avril 2022 par la Revue SuisseLien externe.

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