Des perspectives suisses en 10 langues

Toucher sa retraite suisse à l’étranger, est-ce profiter du système?

Markus Somm
Le journaliste de droite Markus Somm s'en est pris aux Suisses de l'étranger dans son podcast. © Keystone / Gaetan Bally

La bienveillance qu’éprouve la population en Suisse à l’égard des Suisses de l’étranger est ébranlée par le débat sur la 13e rente AVS. Faut-il tout croire? Eléments de réponses et chiffres.

En pleine campagne sur la 13e rente AVS, qui sera soumise au vote le 3 mars, un argument s’est frayé un chemin: celui selon lequel la Confédération ne devrait pas verser de 13e rente à sa population expatriée, puisque le pouvoir d’achat est supposément plus élevé à l’étranger.

Un graphique tiré des résultats du dernier sondage SSR, publié vendredi dernier, a mis le feu aux poudres. Il montre que les Suisses de l’étranger sont nettement plus favorables à l’introduction de cette 13e rente que la population en Suisse, à 80% contre 60%.

Contenu externe

Tirade contre la 5e Suisse

Le même jour, le journaliste de droite Markus Somm a commencé le dernier épisode de son podcast en affirmant que «les Suisses de l’étranger étaient les plus grands égoïstes qui soient».

Markus Somm, membre du PLR (droite libérale), a aussi l’oreille de la direction de l’UDC (droite conservatrice). Son podcast «Bern einfach» («Berne simplement») est suivi par des milliers d’internautes, dont une partie de la classe politique influente à droite.

Le 26 janvier donc, Markus Somm s’y est livré à une tirade assez inédite contre les Suisses de l’étranger.

«Il est déjà étonnant qu’ils puissent conserver leur nationalité. Certains sont installés en Allemagne depuis 40 ans et n’ont plus rien à voir avec la Suisse. Ils ne paient pas d’impôts mais perçoivent volontiers une rente AVS. Les Suisses de l’étranger peuvent s’acquitter de leurs cotisations avec peu d’argent (cette affirmation de Markus Somm n’est d’ailleurs pas exacte : les personnes domiciliées dans un Etat de l’UE ne peuvent plus cotiser volontairement à l’AVS depuis 2001, ndlr) puis ils perçoivent l’AVS en plus de la retraite allemande. C’est un scandale, ils devraient avoir honte. Je les considérais jusqu’ici comme de bons patriotes mais cette façon de vouloir traire l’Etat suisse, le salarié suisse et le contribuable suisse, ça ne va pas du tout.»

Effet immédiat. Lors de son assemblée des délégués le lendemain, l’UDC a recommandé le rejet de l’initiative.

Assemblée de l UDC à Bürglen
Les délégués de l’UDC se sont clairement prononcés contre l’initiative populaire pour une 13e rente AVS. © Keystone / Urs Flueeler

La députée thurgovienne Diana Gutjahr a repris à son compte l’argument des «rentes de luxe à l’étranger», affirmant qu’une 13e rente profiterait surtout aux personnes retraitées à l’étranger.

L’UDC s’est clairement positionnée contre le texte alors qu’une partie de sa base y était encore favorable il y a peu.

Victimes collatérales?

Mais alors, pourquoi cette colère soudaine contre des compatriotes? Il semble que les Suisses de l’étranger soient des victimes collatérales de la campagne.

C’est avant tout sur «l’étranger» que l’UDC cherche à mobiliser son électorat, en mettant l’accent sur le pouvoir d’achat plus élevé que procurent des retraites suisses perçues hors des frontières helvétiques.

«Les retraités à l’étranger profitent du franc fort et d’un coût de la vie plus bas», a relevé Diana Gutjahr. Le parti a cité en exemple les retraites perçues en Turquie ou en Macédoine, autrement dit pas des pays d’expatriation privilégiés par les ressortissants et ressortissantes suisses.

«L’UDC cogne sur les étrangers»

A l’origine, la campagne visait les pensions versées à l’étranger en général. L’attaque était donc dirigée contre les retraités étrangers, de retour dans leur pays après avoir travaillé en Suisse «L’UDC cogne sur les étrangers», écrivaient les journaux du groupe CH Media la semaine dernière.

Oui mais voilà, les rentes versées à l’étranger ne font pas de distinction selon la nationalité, c’est pourquoi la 5e Suisse ont toujours un peu été dans le viseur, mais rarement d’une manière aussi ciblée que ne l’a fait Markus Somm dans son podcast.

En réalité, les rentes versées à l’étranger vont principalement à des travailleuses et travailleurs étrangers qui rentrent au pays pour leur retraite, comme le montre le graphique ci-dessous.

En 2022, les Suisses de l’étranger à la retraite ont perçu au total 152 millions de francs de rentes, soit une petite partie seulement de l’ensemble des rentes versées à l’étranger.

Contenu externe

Les retraites versées à l’étranger ont certes augmenté ces dernières années, mais pas de manière disproportionnée par rapport à celles payées en Suisse, car le budget total de l’AVS a également augmenté. Quand l’UDC affirme que «toujours plus de rentes partent à l’étranger», il serait ainsi tout aussi vrai de dire que «toujours plus de rentes partent en Suisse».

Et pourtant, la Cinquième Suisse elle aussi doit se défendre contre les attaques de l’UDC.

Contenu externe

Pression à Berne

Ironie de l’histoire: au Parlement à Berne, la coprésidente de l’intergroupe parlementaire dédié aux Suisses de l’étranger n’est autre que la conseillère nationale argovienne UDC Martina Bircher, elle-même à l’origine de la campagne actuelle de sa formation politique.

D’un côté, elle s’engage en faveur de la 5e Suisse – en soutenant par exemple un postulat visant à faire bénéficier les Suisses de l’étranger d’une meilleure assurance maladie; de l’autre, elle dénigre son propre engagement dans le cadre de cette campagne sur l’AVS, en ciblant les «retraités à l’étranger» qui seraient «massivement avantagés».

Martina Bircher
La conseillère nationale UDC Martina Bircher veut ajuster les rentes versées à l’étranger au pouvoir d’achat dans les pays de résidence. © Keystone / Peter Klaunzer

Sollicitée par swissinfo.ch, elle précise que son observation vaut autant pour les Suisses de l’étranger que pour les ressortissants et ressortissantes étrangers. Elle exposera sa position lors de la prochaine émission «Let’s Talk» de swissinfo.ch avec d’autres personnalités politiques.

La semaine dernière, le média en ligne 20 Minuten a relayé le combat mené par l’élue UDC Martina Bircher contre les pensions versées à l’étranger. Le média a demandé à son lectorat si les rentes versées aux Suisses de l’étranger devaient être adaptées au pouvoir d’achat offert par le franc suisse selon le pays de résidence.

Contenu externe

Il en ressort que le niveau de vie actuel des Suisses à la retraite à l’étranger convient à la moitié des 11’000 internautes alémaniques interrogés. Mais 40% des personnes sondées aimeraient voir ces rentes réduites à l’avenir.

Un franc sur sept 

Organisé par un média à forte audience en Suisse, ce sondage démontre que la bienveillance observée jusqu’ici à l’égard de la 5e Suisse de la part de la population restée au pays n’est plus acquise.

Ce dénigrement est-il vraiment justifié? Dès le début de la campagne en vue de cette votation du 3 mars, swissinfo.ch a souligné que l’accent mis par l’UDC sur les rentes versées à l’étranger ne tenait pas compte des montants des rentes.

L’UDC avance notamment que près d’un bénéficiaire de l’AVS sur trois vit à l’étranger, ce qui est exact.

Contenu externe

Mais il faut alors aussi dire que ce n’est pas 1 franc de retraite sur 3 qui pas à l’étranger, loin s’en faut. Les retraites versées à l’étranger représentent 13,5% du montant total, soit 1 franc 7.

Contenu externe

Pourquoi? Parce que les rentes versées à l’étranger sont en moyenne nettement inférieures à celles versées en Suisse. On calcule qu’une rente à l’étranger coûte à l’AVS la moitié d’une rente suisse.

Beaucoup s’expatrient à la retraite

Directrice de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), Ariane Rustichelli admet aussi que «nombre de nos membres ne touchent pas des rentes de luxe». Beaucoup ont décidé de partir parce qu’elles et ils avaient du mal à tourner en Suisse avec leur pension. «Ces personnes partent de plus en plus souvent dès l’âge de la retraite», confirme-t-elle.

Pour avoir cotisé toute leur vie, ces personnes ont droit à l’AVS, (l’assurance-vieillesse et survivants), premier pilier de la retraite en Suisse. «Des rentes dont le montant est proportionnel à leurs versements à l’instar de tout le monde», rappelle-t-elle.

De plus, ce versement ne génère pas de coûts particuliers pour les caisses maladie et prestations complémentaires. «Je ne vois pas en quoi c’est égoïste», pointe Ariane Rustichelli.

Quel que soit le résultat qui sortira des urnes le 3 mars, le débat ne fait sans doute que commencer. Il sera d’ailleurs intéressant d’analyser au soir de cette votation quel aura été le poids réel de la Cinquième Suisse.

Toujours est-il que les critiques assénées par Markus Somm laisseront des traces. En particulier le fait d’avoir remis en question le droit de vote des Suisses de l’étranger ou de se demander s’ils et elles peuvent conserver leur nationalité suisse.

Prochain épisode: les rentes pour enfants

Le prochain thème est déjà tout trouvé: les rentes pour enfants. Des sommes importantes sont versées dans ce domaine, souvent à des pères qui ont des enfants à l’âge de la retraite ou subviennent aux besoins des enfants de leur compagne.

Au total, 230 millions de francs ont été versés en 2022, dont un tiers à l’étranger. La commission chargée de ce dossier au Conseil national, la chambre basse du parlement suisse, a déjà décidé d’y mettre un terme.

Ariane Rustichelli se dit soucieuse pour les 800’000 Suisses qui résident à l’étranger. «Que des Suisses soient remontés contre leurs compatriotes me remplit d’une vive inquiétude», lance-t-elle, se demandant si une campagne contre la 5e Suisse n’a pas débuté.

Traduit de l’allemand par Alain Meyer / ptur

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision