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Des épargnants ruinés à l’assaut de Credit Suisse

Reuters

Trois groupes menacent de saisir la justice pour défendre collectivement les épargnants de Credit Suisse, lésés par la faillite de la banque américaine Lehman Brothers. Une «class action» en Suisse? Après tout, David a défié Goliath...

«Les lésés de la crise financière sont nombreux, leur situation est très visible et il faut en profiter pour améliorer la protection de tous les clients des banques.» Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs (FRC), est de tempérament combattif.

Conjointement avec la «Schutzgemeinschaft der Lehman-Anlageopfer» (communauté des victimes de LB) en Suisse alémanique, la FRC a lancé un appel public pour que les lésés s’annoncent. Et envoyé une lettre à Credit Suisse demandant une «solution globale et équitable» afin que tous se voient «rembourser l’intégralité du capital investi». Faute de quoi, des poursuites judiciaires seront lancées.

«Notre idée est de constituer une table ronde qui puisse appliquer une stratégie cohérente et nous espérons que le CS désignera un interlocuteur», indique Mathieu Fleury.

Outre ces deux associations, un troisième groupe s’est constitué autour d’un avocat zurichois, Daniel Fischer, qui se dit spécialiste en «class actions».

«Ces gens ont été trompés»

Le 15 septembre, le tsunami provoqué par Lehman Brothers (LB) transformait de vénérables banques en vulgaires dominos et lessivait des clients de banques suisses qui leur avaient vendus ces produits structurés.

Scandale: incrédules, des gens se sont plaints dans les médias d’avoir tout perdu: «J’étais de bonne foi, car le prospectus de la banque insistait sur la formule du capital garanti.»

Pour Mathieu Fleury, ces gens ont été trompés: «Nous ne défendons pas des investisseurs, mais des épargnants qui se sont vus offrir des produits exceptionnels par leur banquier, dont le métier traditionnel est pourtant le conseil, pas la vente».

En Suisse, on avance le chiffre de 650 millions de francs de pertes pour des dizaines de milliers d’épargnants, en grande majorité des clients de Credit Suisse (CS).

«CS n’est pas seul à avoir vendu des produits structurés, il y a aussi certaines banques cantonales, mais c’est probablement CS qui en a le plus vendu», commente Jean-Pierre Ghelfi, ancien membre de la Commission fédérale des banques et président de la Banque cantonale neuchâteloise.

«La disparition de Lehman a été un choc pour tous», regrette de son côté Credit Suisse, qui rejette cependant toute responsabilité juridique. «Nous n’étions pas émetteurs de ces produits structurés, dont le risque de contrepartie est assumé par l’investisseur», explique Jean-Paul Darbellay, au service de presse du numéro deux bancaire suisse.

«Conscients de la situation, poursuit-il, nous avons contacté nos clients concernés dès le lendemain de la faillite de LB pour les prévenir et leur offrir notre assistance.»

«Un individu isolé n’a aucune chance»

«Dans un 2e temps, ajoute M. Darbellay, la banque a proposé de racheter en partie les produits défaillants. A condition d’avoir moins de 500’000 francs de placements à fin août auprès du CS et plus de 50% investis dans des produits à capital protégé émis par LB.»

Re-polémique: tout le monde n’aurait pas reçu la même proposition. «Nous analysons chaque cas personnellement, chaque client concerné a reçu une offre qu’il est libre d’accepter ou non», répond M. Darbellay. Quant au nombre de lésés ou au volume des sommes en jeu, la banque se refuse à toute précision. Pas plus que sur le nombre de personnes ayant accepté ou refusé son offre.

Selon Jean-Pierre Ghelfi, un individu isolé n’a aucune chance en justice: «Il faudrait une class action, comme aux Etats-Unis, mais ce n’est pas prévu par notre droit, très différent du droit anglo-saxon.»

Pour la FRC, ce n’est pas une raison suffisante. «Nous devons montrer nos muscles, déclare son secrétaire général. Nous ne disposons pas de l’outil de la ‘class action’, nous devons donc utiliser notre seule arme: la communication.»

En attendant que CS «évolue»

Pour Matthias Schwaibold, avocat de l’association alémanique de lésés, il y a cependant une voie judiciaire: «Avec trois dossiers bien ficelés, je peux déposer une plainte au nom de l’association. On peut imaginer aussi constituer plusieurs groupes de quelques plaignants chacun, affirme-t-il. Mais je veux laisser la porte ouverte au CS», ajoute-t-il, privilégiant une solution négociée.

Tout comme Mathieu Fleury à Lausanne et Daniel Fischer à Zurich. «Il faut chercher une solution hors du tribunal: cela prend moins d’énergie et cela coûte moins cher», a déclaré ce dernier dans le «Tages Angzeiger» (20.11.2008).

Et l’avocat de souligner que «le CS aurait bien plus peur et adopterait une stratégie bien différente si les plaignants étaient aux Etats-Unis».

Reste que «l’effet médiatique» de cette affaire se veut un «effet accélérateur», avertit Matthias Schwaibold. «Le CS a déjà montré dans le passé qu’il peut évoluer, je suis convaincu que le temps nous donnera raison et qu’il va revoir sa position.»

swissinfo, Isabelle Eichenberger

La Fédération romande des consommateurs (FRC), la «Schutzgemeinschaft der Lehman-Anlageopfer» (communauté des victimes de LB, association créée ad hoc à Zurich) et l’étude Daniel Fischer de Zurich caressent l’éventualité d’une action collective contre le CS.

Selon Mathieu Fleury (FRC): «A trois, nous avons reçu environ 1200 (400 par association) demandes d’information. Nous avons reçu confirmation de 200 personnes qui ont adhéré à notre plate-forme et payé une provision de 150 francs.»

Selon Matthias Schwaibold (avocat de la «Schutzgemeinschaft»): «300 personnes sont inscrite et ont payé une provision de 100 francs pour bénéficier de notre protection.»

La lettre envoyée à Credit Suisse par la FRC a reçu un accusé de réception, selon Mathieu Fleury, et celle de la communauté alémanique une réponse négative, selon Matthias Schwaibold.

Credit Suisse signale qu’il veut «entretenir une communication directe avec ses clients» et «aucun commentaires en ce qui concerne les contacts avec les différentes parties concernées».

Très différent du droit anglo-saxon, le droit suisse ne prévoit pas de «class action».

Il y a la possibilité d’un «procès-type», une plainte qui bénéficie d’une «décision de principe» du Tribunal fédéral qui peut, ensuite, faire jurisprudence pour d’autres affaires analogues.

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