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Le pétrole, sang de l’économie suisse

Un conflit de courte durée en Irak n’affectera pas les réserves suisses. swissinfo.ch

La menace d'un conflit en Irak focalise l'attention sur le pétrole et sur les effets économiques d'une éventuelle pénurie. Le patron de la BNS ne sous-estime pas les risques.

Mais, pour l’heure, la Suisse compte sur ses stocks qui sont supérieurs à ceux de nombreux autres pays.

Devant les membres du Business Club de Genève, Jean-Pierre Roth l’admet: une guerre au Moyen-Orient risque bien d’ «ébranler sérieusement la confiance des optimistes les plus invétérés.»

Une montée en flèche du prix du pétrole, ajoute le patron de la BNS, pourrait couper l’élan de la conjoncture mondiale. Même si elle ne devait être que de courte durée.

Cela dit, la Suisse est peut-être mieux assurée que d’autres contre les risques à courts termes.

En effet, elle possède des réserves obligatoires qui permettent de couvrir la demande en mazout et en essence pendant quatre mois environ. Et, concernant le kérosène, ces réserves sont de trois mois.

«Quatre mois, cela signifie que nous avons davantage de réserves obligatoires que les autres pays industrialisés, déclare Rolf Hartl, directeur de l’Union pétrolière suisse (swissoil). Car la norme internationale est de 90 jours.»

Une sorte de police d’assurance

Le directeur de swissoil fait remarquer que la Suisse dispose historiquement de plus de réserves que d’autres pays européens et que les Etats-Unis.

«Cela doit avoir quelque chose à voir avec le goût des Suisses pour les assurances, explique Rolf Hartl. Au cours des dernières décennies, nous avions encore davantage de réserves à cause de la Guerre froide. Il y a dix ou quinze ans, les stocks permettaient de tenir environ un an.»

Environ le tiers des besoins pétroliers de la Suisse sont couverts par l’importation de brut libyen, nigérian et algérien. Les deux autres tiers sont des importations de produits pétroliers de pays européens. Il n’y a en revanche aucune importation directe depuis l’Irak.

Rolf Hartl a cependant du mal à indiquer si le pétrole irakien arrive en Suisse sous la forme de produits transformés en Europe.

«Statistiquement, nous savons juste que 15 à 20% de la demande européenne de brut est couverte par des importations en provenance du Moyen-Orient», déclare-t-il.

Une flambée des prix prévisible

Le directeur de swissoil s’attend à une hausse significative des prix du pétrole en cas de guerre en Irak. Il a d’ailleurs pu constater que, généralement, toute annonce de guerre était suivie d’une augmentation des prix.

«Je crois que les prix vont augmenter brusquement et qu’ils dépendront de la façon dont se développe le conflit et de la durée de la guerre», précise Rolf Hartl.

«Mais je ne pense pas qu’il y aura un manque de pétrole, poursuit-il. En effet, l’Irak ne fournit que deux millions de barils par jour, ce qui n’est pas très élevé par rapport à la production mondiale totale qui est de 75 millions de barils.»

Cependant la situation pourrait être bien pire si le conflit s’étendait aux voisins de l’Irak, eux aussi producteurs de pétrole. «Les conséquences sur le marché seraient graves, car l’ensemble du Moyen-Orient fournit le tiers de la production mondiale de brut», explique Rolf Hartl.

Quant au scénario idéal en cas de guerre, Rolf Hartl dit ne pouvoir donner qu’une réponse «cynique»: «D’un point de vue économique et pétrolier, le meilleur scénario consisterait en une guerre courte en Irak et en l’établissement d’un nouveau gouvernement qui serait fiable et dans lequel les marchés auraient confiance.»

Un impact relativement modeste

Il est très difficile de dire quelles seront les conséquences d’une guerre en Irak pour l’économie suisse. Cependant, l’Institut de prévisions conjoncturelles (KOF) de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich a tenté de livrer quelques prévisions en décembre dernier.

Les chercheurs sont partis de l’hypothèse que le prix du brut atteindrait 40 dollars le baril au cours de premier trimestre 2003, avant de retomber à 27,60 dollars, ce qui donne une moyenne annuelle de 36 dollars pour l’ensemble de l’année.

Chercheur auprès du KOF, Erdal Atukeren en est arrivé à la conclusion qu’une forte hausse du prix du brut et le ralentissement de l’activité économique mondiale qui lui serait lié n’auraient probablement qu’un impact limité sur la croissance de l’économie suisse.

Le ralentissement ne représenterait que 0,1% du produit intérieur brut (PIB) en 2003 et 0,3% l’année suivante. Cette prévision pour sombre pour 2004 que pour 2003 provient du fait que certains secteurs subiront le choc à retardement.

Des exportations en hausse

Bien que la Suisse n’ait rien importé d’Irak en 2002, les chiffres montrent que ses exportations vers Bagdad augmentent. Malgré l’embargo des Nations Unies, les entreprises suisses y ont exporté l’an dernier des biens pour une valeur de 123,8 millions de francs, soit 66% de plus que l’année précédente.

«Il s’agit surtout de marchandises humanitaires livrées dans le cadre du programme onusien pétrole contre nourriture, explique Othmar Wyss responsable du contrôle des exportations auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (seco).

Les marchandises humanitaires incluent des médicaments et de la nourriture, mais aussi des moulins à farine et de pompes pour les hôpitaux. Othmar Wyss avoue cependant ne pas savoir ce qu’il advient de ces produits lorsqu’ils arrivent en Irak: «Nous souhaiterions qu’ils soient distribués à ceux qui ont besoin, mais nous ne pouvons rien faire à ce sujet.»

Mais les exportations suisses ne se résument pas à ces produits humanitaires. «Depuis six mois, nous pouvons aussi exporter d’autres choses, à l’exception de matériel de guerre ou de produits servant à en fabriquer», précise Othmar Wyss.

Violer l’embargo peut coûter cher

Les exportations suisses de matériel de guerre sont en légère hausse. «Elles se sont montées à 278 millions de francs en 2002, soit 7,6% de plus que l’année précédente, précise Othmar Wyss. C’est la moitié du montant record enregistré en 1987, qui était de 580 millions.»

La législation suisse ne permet pas de faire des exportations vers des pays en guerre. Othmar Wyss avoue cependant qu’il est difficile d’éviter que du matériel militaire ne parvienne en Irak en transitant par des pays tiers.

Mais violer l’embargo de l’ONU n’est pas sans risque. Dans les cas les plus graves, les contrevenants peuvent s’exposer jusqu’à un million de francs d’amende et à cinq ans d’emprisonnement.

swissinfo, Robert Brookes
(traduction: Olivier Pauchard)

– La Suisse a importé près de 14 millions de tonnes de pétrole et de produits pétroliers en 2001.

– Le brut représente un tiers du total des importations. Il provient surtout de Libye (48,7%), du Nigeria (31,9%) et d’Algérie (9,7%).

– Presque tous les produits pétroliers finis viennent de l’Union européenne (99,2%).

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