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Le Parlement suisse refuse de mieux contrôler le financement du matériel de guerre

Armes
Production d'armes chez Rheinmetall à Altdorf, dans le canton de Zurich. En 2019, les entreprises suisses ont exporté 43% de matériel de guerre en plus que l’année précédente pour un montant total de 728 millions de CHF. Keystone / Urs Flueeler

La Banque nationale suisse et les institutions de prévoyance doivent pouvoir continuer d’investir dans des entreprises qui produisent du matériel de guerre, estime le Parlement suisse. La Chambre basse recommande au peuple de rejeter l’initiative populaire contre le commerce de guerre et refuse de renforcer le contrôle et la transparence des investissements.

La loi actuelle est suffisante pour contrôler les investissements dans le commerce de matériel de guerre. C’est en tout cas l’avis de la majoritéLien externe de la Chambre basse (Conseil national) du Parlement suisse, qui invite le peuple à rejeter l’initiative populaireLien externe «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre». Les élus ont également refusé par 105 voix contre 87 d’élaborer un contre-projet afin de renforcer l’interdiction du financement indirect des armes interdites et d’accroître la transparence. Les voix des Verts, des Verts libéraux, des Socialistes et des représentants du Parti évangélique n’ont pas suffi à faire pencher la balance.

«Les PME qui garantissent les emplois en Suisse souffriraient de cette initiative, car celles qui produisent des outils de précision ou des vitres pour des pièces d’armement seraient aussi concernées.»
Maja Riniker, PLR

L’initiative populaire contre le commerce de guerre a été lancéeLien externe par le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) et les jeunes Verts. Le texte demande d’introduire un nouvel article dans la Constitution qui stipule que la Banque nationale suisse (BNS), les fondations et les institutions de prévoyance ont l’interdiction de financer des producteurs de matériel de guerre. Cela signifie qu’il ne leur serait plus possible d’accorder un crédit, un prêt, un don ou d’acquérir des titres, des parts ou des produits financiers liés à des entreprises dont plus de 5% du chiffre d’affaires annuel proviennent de la production de matériel de guerre.

L’argent ou la morale?

Le débat s’est résumé à un affrontement gauche-droite, un camp défendant les valeurs éthiques et l’autre la place économique helvétique. «La BNS applique déjà des critères de placements très sévères et nous refusons toute ingérence politique dans les affaires de la banque, a déclaré Maja Riniker, du Parti libéral-radical (PLR, droite libérale). De plus, les PME qui garantissent les emplois en Suisse souffriraient de cette initiative, car celles qui produisent des outils de précision ou des vitres pour certaines pièces d’armement seraient aussi concernées.»

Les élus de droite ont expliqué que les institutions de prévoyance auraient des difficultés à effectuer des placements sûrs et diversifiés, ce qui pourrait conduire à une baisse des rendements. «La Suisse a besoin de compétences dans la production de matériel de guerre, a aussi précisé Mauro Tuena, député de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), sinon elle dépend de l’étranger pour approvisionner son armée et ne peut plus remplir ses obligations de neutralité.»

«Il existe d’autres secteurs de placements qui sont tout aussi stables et profitables que celui du commerce de guerre.»
Léonore Porchet, les Verts

Les parlementaires de gauche ont mis en avant les contradictions de la Suisse, qui promeut la paix dans le monde tout en vendant des armes et en finançant les producteurs de matériel de guerre. «Il en va surtout de la crédibilité et de l’image de notre pays, a souligné Pierre-Alain Fridez, du Parti socialiste (PS, gauche). La Suisse a fait de la politique des bons offices, de la représentation diplomatique de pays en guerre, de l’installation sur son sol d’organisations internationales, de la mise sur pied de conférences et de pourparlers de paix une marque de fabrique. Elle se prévaut d’un label de valeurs éthiques. Nous devons faire le pas, pour une Suisse plus en phase avec ses valeurs.»

Les élus de gauche ont rappelé que la place financière helvétique était l’une des plus importantes au monde et qu’elle avait l’occasion de montrer l’exemple. «Les indices boursiers sont nombreux, et beaucoup d’entre eux ne sont pas du tout liés au commerce de guerre, a indiqué Léonore Porchet, des Verts (PES, gauche écologiste). Il existe donc d’autres secteurs de placements, qui par ailleurs sont tout aussi stables et profitables que celui du commerce de guerre.»

Contenu externe

Limites de la loi actuelle

La loi suisseLien externe interdit le financement direct de matériel de guerre prohibé: armes nucléaires, biologiques et chimiques, mines antipersonnel, armes à sous-munitions. Elle en interdit aussi le financement indirect, mais uniquement si le but est de contourner l’interdiction du financement direct. Plusieurs parlementaires de gauche ont martelé que cette législation était insuffisante, en citant les chiffres de l’ONG hollandaise PAXLien externe: dans le cadre de son projet «Don’t bank on the bombLien externe», celle-ci révèle que Credit Suisse, UBS et la BNS ont investi près de 9 milliards de dollars entre 2017 et 2019 dans des entreprises qui fabriquent des armes nucléaires, notamment Boeing, Airbus, Honeywell et Lockheed Martin.

«Les banques possèdent des règles efficaces pour s’assurer du respect de la loi en vigueur. La législation atteint son but, elle ne vise pas à interdire sans discernement tout investissement dans un conglomérat.»
Guy Parmelin, ministre de l’Économie

«Il y a un amalgame entre matériel de guerre prohibé et matériel de guerre non prohibé», a réagi le conseiller fédéral en charge de l’Économie, Guy Parmelin. Il a rappelé que la loi suisse interdisait le financement de certaines armes, alors que l’initiative voulait étendre le champ d’application à tout le matériel de guerre.

«Les affirmations de ‛Don’t Bank the Bomb’ ne permettent pas de dire que la loi actuelle ne fonctionne pas, car elles ne tiennent pas compte du fait que certains conglomérats comme Airbus ou Boeing fabriquent aussi des produits civils», a précisé Guy Parmelin.

En réaction aux révélations de PAX, le Secrétariat d’État à l’économie a contrôlé en 2018 les investissements des entreprises citées dans le rapport de l’ONG, a encore ajouté le conseiller fédéral. «Il a conclu que les banques possédaient des règles efficaces pour s’assurer du respect de la loi en vigueur et qu’il n’existait aucune procédure judiciaire en cours. La législation atteint son but, elle ne vise pas à interdire sans discernement tout investissement dans un conglomérat.»

Convaincue par les arguments du Gouvernement, la majorité de la Chambre basse n’a pas souhaité entrer en matière sur un quelconque contre-projet visant à renforcer la loi actuelle. Le dossier passe maintenant au Conseil des États. Le peuple aura sans doute le dernier mot.

Explosion des exportations de matériel de guerre

En 2019, les entreprises suisses ont exporté 43% de matériel de guerre en plus que l’année précédente. Des ventes ont été effectuées dans 71 pays et atteignent un montant total de 728 millions de CHF.

D’après le Secrétariat d’État à l’économie (SECOLien externe), cette augmentation s’explique principalement par d’importantes transactions avec trois pays: la livraison de véhicules blindés à roues vers le Danemark (150 millions CHF) et la Roumanie (111 millions CHF) ainsi que la vente de systèmes de défense antiaérienne au Bangladesh (55 millions CHF). Les exportations d’armes ne représentent que 0,23% du total des exportations de marchandises.

Amnesty InternationalLien externe critique le fait que la Suisse continue de livrer des armes à des États qui se trouvent dans des zones de conflit ou qui violent systématiquement et gravement les droits humains, comme le Bangladesh, le Pakistan, les Émirats arabes unis ainsi que d’autres pays du Golfe. Une initiative populaire demandant l’interdiction des exportations d’armes dans les pays en proie à la guerre civile a d’ailleurs abouti l’an dernier.

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