La Suisse aussi pleure l’abbé Pierre

L'abbé Pierre, le 19 avril 2005, durant une conférence de presse de présentation à Genève d'un CD "20 paroles de paix de l'Abbé Pierre". Keystone

Les réactions émues se sont multipliées à travers le monde, y compris en Suisse, après le décès lundi de l'abbé Pierre. Micheline Calmy-Rey, présidente de la Confédération, a salué «un personnage extraordinaire ».

Figure emblématique de la lutte en faveur des deshérités et des mal-logés, le fondateur du mouvement Emmaüs est souvent venu en Suisse. Son message y a mobilisé des Catholiques. En cinquante ans, six communautés d’Emmaüs sont nées

«De toutes les batailles depuis 1954, l’abbé Pierre m’a beaucoup impressionné par la continuité de son engagement», a affirmé la ministre suisse des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey, après l’annonce du décès. Il faut dire qu’elle l’avait rencontré à plusieurs reprises.

L’abbé Pierre est mort aux premières heures de la matinée lundi à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce. Il avait 94 ans. De son vrai nom Henri Grouès, il «est décédé entouré de ses proches après une semaine d’hospitalisation», a annoncé une porte-parole d’Emmaüs France.

L’appel de 1954 entendu en Suisse

Lorsque le 1er février 1954, l’abbé Pierre a lancé son fameux appel en faveur des sans-abri en France, il a également été entendu à l’étranger: des catholiques suisses ont ainsi participé à la construction d’abris pour les démunis dans la capitale française.

Ils ont par la suite mis sur pied des vacances en Suisse pour des enfants allemands et français. L’action de cette œuvre d’entraide, qui s’appelle aujourd’hui Kovive, a permis à plus de 25’000 jeunes Européens défavorisés de passer leurs vacances en Suisse.

Démunis de plus en plus jeunes

Les six centres d’Emmaüs fondés en Suisse depuis 1957 hébergent principalement des personnes qui sont passées au travers de tous les filets de la protection sociale.

Depuis quelques années, des gens de plus en plus jeunes viennent y chercher refuge. A Carouge (Genève), la moyenne d’âge était de 60 ans en 1969; aujourd’hui on approche des 35 ans.

Financièrement, les communautés d’Emmaüs vivent de manière autonome, sans subventions. Meubles, vêtements et ustensiles divers sont récupérés et revendus. La réhabilitation par le travail est le principe de base de la communauté.

C’est en 1949 que l’abbé Pierre a fondé la première communauté d’Emmaüs. Dans l’Evangile de Luc, ce nom est celui d’un village de Palestine où le Christ, après sa résurrection, a partagé son pain avec deux disciples.

Envois de Juifs en Suisse

D’autres événements relient l’abbé Pierre à la Suisse. Pendant la 2e Guerre mondiale, alors qu’il était vicaire à Grenoble, il a fait passer des Juifs en Suisse.

De 1941 à 1943, plusieurs réfugiés ont bénéficié de son appui, dont le propre frère du général de Gaulle. Une fois découvert, l’abbé Pierre s’est enfui en Espagne, puis en Algérie.

C’était un prophète

La vigne à Farinet – la plus petite vigne du monde – a été crêpée de noir lundi à Saillon (Valais) après le décès de l’abbé Pierre. Celui-ci, qui en avait été propriétaire entre 1994 et 1999, avait émis début janvier le souhait de la revoir une dernière fois. Une messe sera dite à sa mémoire mardi soir à Sion.

L’abbé Pierre «était un prophète», a estimé lundi Georges Chevieux, de la Communauté d’Emmaüs à Genève. Le responsable a souligné l’actualité de son discours sur la pauvreté et sur l’injustice.

«Nous devons continuer son œuvre et travailler même un peu plus aujourd’hui pour lui rendre hommage», a aussi dit Georges Chevieux. La population que nous accueillons a beaucoup changé depuis la création de la communauté, la première fondée en Suisse, a-t-il relevé.

Les cabossés de la vie

«Pour sauver un homme, il faut lui rendre sa dignité: c’est la leçon essentielle que laisse l’abbé Pierre», a estimé lundi le journaliste Jean-Philippe Rapp. Celui-ci, qui a beaucoup interviewé le religieux français, prépare un DVD consacré à son message.

«Il y avait chez lui un caractère de prophète, a relevé Jean-Philippe Rapp. Mais c’était surtout un homme d’une très très grande fidélité à ses engagements et resté très proche de ceux qu’il voulait défendre et qu’il appelait les cabossés de la vie».

swissinfo avec les agences

L’impact en Suisse

De 1970 à 1984, l’abbé Pierre est fréquemment venu en Suisse. Il séjournait à Genève au moins une fois par semaine.

Des quelque 400 communautés d’Emmaüs existant dans le monde, six se trouvent en Suisse, accueillant quelque 180 personnes.

La première est née à Carouge (GE) en 1957. Ont suivi Etagnières près de Lausanne (1973), Sion (1976) et Rivera au Tessin (1979). En 1981 et 1988, Fribourg et La Chaux-de-Fonds ont à leur tour ouvert un centre. Des associations d’amis ont aussi été créées dans le Jura (Boncourt), à Berne et Zurich.