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Brigitte Klinkert: «Face au drame que vit l’Alsace, la solidarité de la Suisse me touche énormément»

Malgré un hôpital militaire installé devant le centre hospitalier de la ville, Mulhouse n'arrive pas à faire face à la vague de coronavirus qui déferle sur la ville. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved

Une trentaine de patients français gravement atteints du Covid-19 sont actuellement soignés dans des hôpitaux suisses. Présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, Brigitte Klinkert est la première à avoir demandé l’aide de ses voisins suisses et allemands. Témoignage.

L’Alsace en général, et plus particulièrement les hôpitaux de Mulhouse et de Colmar, sont totalement débordés par la crise du coronavirus. A l’origine de cette flambée épidémique, un rassemblement évangélique de 2000 personnes qui s’est tenu sur plusieurs jours à la mi-février à Mulhouse. Un mois et demi plus tard, la région du Grand Est dénombre plus de 1000 décès dû au Covid-19 rien qu’en milieu hospitalier.

Brigitte Klinkert préside depuis le 1er septembre 2017 le Conseil départemental du Haut-Rhin. Victor Tonelli

Pour décharger les hôpitaux alsaciens, qui accueillent plus de 4000 malades, dont près de 900 en réanimation, les évacuations vers d’autres régions moins touchées de l’Hexagone se multiplient. En ambulance, en hélicoptère, en avion militaire ou en train sanitaire, des dizaines de patients sont transférés quotidiennement par des convois médicalisés spectaculaires. 

Une centaine de patients ont également été transférés vers l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse. A l’origine de cette démarche, une élue locale, Brigitte Klinkert, première femme à diriger le Conseil départemental du Haut-Rhin. Entretien.

swissinfo.ch: Pourquoi avoir demandé l’aide de la Suisse?

Brigitte Klinkert: Il y a dix jours, je voyais nos hôpitaux qui se remplissaient à vue d’œil. Les services de réanimation étaient débordés, malgré la création continue de nouvelles places et la mise sur pied d’un hôpital de campagne de l’armée à Mulhouse.

Des évacuations de malades commençaient à se faire vers Marseille, Bordeaux ou encore la Bretagne. Or face à l’urgence et au drame qui était en train de se jouer dans le Grand Est, j’ai aussi pensé à nos voisins suisses et allemands, avec qui nous avons un partenariat très étroit. 

Le 21 mars, j’ai donc adressé une demande d’aide par e-mail aux gouvernements régionaux du Bade-Wurtemberg et des cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et du Jura. En parallèle, j’ai informé le préfet du Haut-Rhin, l’Agence régionale de santé ainsi que le Premier ministre Édouard Philippe, qui ont jugé que c’était une bonne idée de faire appel à la solidarité de nos voisins.

Le soir même, les ministres de ces cantons m’ont appelée, très émus, en me disant comprendre la situation dramatique dans laquelle nous étions et en m’annonçant qu’ils étaient prêts à mettre des lits à disposition de plusieurs patients français. Ces accords ont été validés par Berne dès le lendemain matin. Des contacts ont ensuite été pris entre les responsables des hôpitaux alsaciens et suisses.

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Au départ, votre demande concernait quelques patients. Or aujourd’hui, on en compte déjà une trentaine dans les hôpitaux suisses. Comment a-t-on pu aller si vite?

Cette coopération a été mise sur pied de manière spontanée, très efficace et sans bureaucratie. Les relations d’amitié que nous entretenons de longue date et la solidarité transfrontalière ont joué un rôle prépondérant.

Ensuite, les réponses positives des cantons et des Länder allemands voisins de l’Alsace ont fait tache d’huile. Le consul général de France à Zurich a par exemple pris contact avec d’autres cantons suisses: Saint-Gall, Argovie, Berne, Schaffhouse, Soleure, Thurgovie ou encore Zurich.

Cette solidarité me touche énormément, également sur le plan personnel. Je connais par exemple très bien un patient alsacien qui a été transféré à l’hôpital de Fribourg.

Des contreparties ont-elles été négociées? La Suisse a-t-elle par exemple obtenu la garantie que les 30’000 frontaliers français actifs dans la santé en Suisse puissent continuer à venir travailler sans entraves?

A ma connaissance, il n’y a pas eu de contrepartie négociée, même s’il est vrai que beaucoup d’Alsaciens travaillent dans le système de santé des cantons suisses voisins.

En ce qui concerne la prise en charge des coûts, la convention-cadre de coopération sanitaire entre nos deux pays stipule que le pays de provenance du patient s’acquitte des frais d’hospitalisation, en l’occurrence la France. 

«On a beaucoup parlé des frontières qui se fermaient avec l’arrivée du coronavirus. Cette solidarité est un contre-exemple fantastique»

Je tiens toutefois à le souligner: on a beaucoup parlé des frontières qui se fermaient avec l’arrivée du coronavirus. Cette solidarité est un contre-exemple fantastique. Grâce à cette coopération transfrontalière, des vies sont sauvées.

Jusqu’à quand les hôpitaux suisses se sont-ils dit prêts à accueillir des malades de votre département?

En moyenne, ces patients restent une quinzaine de jours en réanimation. Mon souhait serait que lorsqu’ils iront mieux, d’autres malades français du Covid-19 puissent prendre leur place. En tenant compte bien évidemment de l’évolution de la pandémie en Suisse et des capacités hospitalières dans les cantons.

Dans notre département, la situation reste dramatique. Des dizaines de patients en insuffisance respiratoire grave arrivent tous les jours dans nos hôpitaux. Sur la seule journée de lundi, on a dénombré 380 décès dans les hôpitaux du Haut-Rhin et 250 dans les établissements pour personnes âgées (EHPAD). Et c’est sans parler de toutes les personnes que nous ne sommes pas capables de prendre en charge et qui meurent à domicile.

Les hôpitaux alsaciens n’ont pas les moyens de prendre toutes les personnes âgées en réanimation, c’est véritablement de la médecine de guerre que nous pratiquons depuis deux semaines. Nous espérons arriver au pic de la pandémie le plus rapidement possible, mais malheureusement nous n’y sommes pas encore.

La Suisse n’a reçu aucune demande de prise en charge de patients de la part de l’Italie. C’est la raison pour laquelle aucun malade italien n’est actuellement soigné dans les hôpitaux helvétiques, ont indiqué à swissinfo.ch les autorités du canton du Tessin ainsi que le Département fédéral des Affaires étrangères.

Giuliano Gallera, responsable de la cellule de crise de la région italienne de Lombardie, a confirmé qu’aucune démarche de ce type n’avait été entreprise et que la Lombardie avait préféré se tourner vers les autres régions de l’Italie.

Plusieurs patients italiens ont pourtant été transférés ces derniers jours vers l’Allemagne. L’Italie est le pays le plus durement touché en Europe par la pandémie de Covid-19, avec plus de 12’000 morts recensés depuis le 21 février.  

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