Des perspectives suisses en 10 langues

Pietro Grasso: «La Suisse est une base opérationnelle de la mafia»

Le président du Sénat Pietro Grasso quitte la salle après avoir rencontré le président italien Sergio Mattarella, au Palais du Quirinal à Rome, jeudi 8 décembre 2016.
La mafia est toujours plus active en Suisse. AP Photo/Gregorio Borgia

Avec la multiplication des conflits, des guerres et d'autres crises importantes, la mafia passe désormais souvent au second plan. Elle reste pourtant très active. Pour le spécialiste italien Pietro Grasso, elle est notamment bien implantée en Suisse.

Ex-président du Sénat italien, Pietro Grasso est surtout une autorité, une pointure en matière de crime organisé. Ancien procureur national anti-mafia, ses enquêtes ont notamment permis l’arrestation en 2006 de Bernardo Provenzano, l’un des plus redoutables chefs de clan de la Cosa Nostra.

«Il serait illusoire de penser que la mafia a disparu»

Pietro Grasso, ancien président du Sénat italien et ancien procureur national anti-mafia

Il y a quelques jours, cet expert était l’invité de la Commission Droits et Justice du Grand Conseil tessinois pour évoquer les risques liés au crime organisé. L’occasion pour lui de rappeler un message clair: bien qu’on en parle de moins en moins, «la pieuvre», autre nom donné à la mafia, est plus active que jamais, et notamment en Suisse.

«Ce serait illusoire de penser qu’elle a disparu. La mafia essaie de profiter de n’importe quelle calamité. Que ce soit une pandémie ou une guerre, en pénétrant par exemple le trafic d’armes, en échangeant des armes contre de la drogue ou encore en se liant à des organisations terroristes. Il faut donc rester vigilant et ne pas déclarer forfait», a-t-il expliqué à la RTS.

Contenu externe

Le risque de faire passer la mafia dans l’oubli

Et d’ajouter qu’il ne faut pas baisser les bras, alors même que d’autres crises émergent et occupent l’actualité, poussant le thème de la mafia en arrière-plan. Pour Pierluigi Pasi, ancien procureur fédéral et député tessinois, il s’agit d’un phénomène récurrent. «On avait déjà vécu cela face à l’urgence du terrorisme, dans les années 2013-2014. Les autorités avaient mis la priorité et probablement investi davantage d’énergie pour répondre à ce phénomène, car il nécessitait une réponse immédiate», rappelle-t-il.

Plus discrètes et silencieuses, les organisations mafieuses ont tendance à passer sous les radars dans ces moments-là. Les autorités baissent la garde, d’autant que du côté de l’opinion publique et des pouvoirs politiques, le problème est rarement perçu comme une émergence concrète. Une erreur d’analyse, selon Pierluigi Pasi. «Le problème, c’est que la progression de la mafia ne s’est pas interrompue et qu’entre temps, ce manque d’intérêt des autorités a sans doute permis des infiltrations encore plus en profondeur», résume-t-il.

En Suisse, «personne ne vient nous déranger»

Des infiltrations qui ont notamment lieu en Suisse, où la mafia peut mener diverses activés de manière relativement sereine. Une situation qui fait dire à Pietro Grasso que le pays est devenu une place privilégiée pour le crime organisé.

«Les mafias n’ont pas les mêmes comportements agressifs que dans leurs régions d’origine, parce qu’elles ont tout intérêt à être bien intégrées afin de mener leurs affaires et de s’enrichir»

Pietro Grasso, ancien président du Sénat italien et ancien procureur national anti-mafia

«Je pense que la Suisse est une base opérationnelle pour organiser des activités déployées dans d’autres pays. Parce qu’ici, on est tranquille, personne ne vient nous déranger. On peut mener ses affaires en toute quiétude», analyse-t-il.

Pour le spécialiste, ces organisations mafieuses font profil bas en Suisse, mais elles restent néanmoins très actives. «Les mafias n’ont pas les mêmes comportements agressifs que dans leurs régions d’origine, parce qu’elles ont tout intérêt à être bien intégrées afin de mener leurs affaires et de s’enrichir, dans ces territoires qui sont déjà riches», ajoute-t-il.

>> Revoir le reportage du 12h45 sur le crime organisé en Suisse:

Contenu externe

Pénétration du tissu économique

Pour l’expert, la Suisse, pays riche, s’est sans doute pensée à l’abri du fléau. Une erreur d’appréciation, car la mafia s’est adaptée et peut désormais également utiliser ici son influence.

«La nouveauté, c’est qu’on assiste à une colonisation de certains territoires et à la pénétration du tissu économique. L’argent, c’est le pouvoir, et le pouvoir permet de nouer des relations qui progressivement deviennent de moins en moins contrôlables», détaille-t-il.

Et de citer l’exemple de l’Italie du nord qui, elle aussi, se pensait un temps à l’abri. «Nous avons assisté à de tels phénomènes dans le nord de l’Italie. Là-bas, on pensait avoir les anticorps nécessaires pour éviter d’être gangréné. Un jugement erroné puisque les clans ont gagné du terrain et du pouvoir», conclut-il.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision