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Une nette majorité des Suisses ont voulu en finir avec la valeur locative

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Les locataires s'opposaient massivement à la réforme tandis que les propriétaires lui étaient plutôt favorables. (image d'illustration) Keystone / Christian Beutler

Le projet de loi visant à mettre un terme à l'imposition de la valeur locative a été accepté à 57,7%, dimanche en votation. Le camp du oui salue la fin d'un impôt injuste. Les adversaires de la réforme déplorent pour leur part un cadeau fiscal qui nuira à la transition énergétique.

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C’est donc la fin de la valeur locative, une originalité fiscale helvétique. Imposable comme un revenu, elle correspond au loyer théorique que les contribuables propriétaires du logement qu’ils habitent pourraient obtenir en le louant. 

La valeur locative ne figurait pas explicitement dans l’intitulé de l’objetLien externe sur lequel l’électorat suisse était appelé à se prononcer dimanche. Mais la suppression de cet impôt, pour les résidences principales et secondaires, est bien au cœur de la réforme. 

Cette dernière prévoit en contrepartie que la Constitution soit modifiée, de sorte que les cantons puissent prélever un impôt immobilier spécial sur les résidences secondaires. Il leur appartiendra de décider s’ils veulent le faire et selon quelles modalités.

En outre, les propriétaires immobiliers ne pourront plus déduire fiscalement, comme c’est le cas aujourd’hui, ni leurs travaux d’entretien ou de rénovation énergétique, ni leurs intérêts hypothécaires.  

L’entrée en vigueur de l’abolition de la valeur locative n’est pas encore fixée, mais elle n’aura pas lieu avant 2028, comme l’a rappelé dimanche la ministre des finances Karin Keller-Sutter.

>> Notre article explicatif sur l’abolition de la valeur locative : 

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Un rejet net de la valeur locative

Le « oui » à l’abolition de la valeur locative l’a emporté dimanche à 57,7% et à une large majorité des cantons. Le scrutin a mobilisé environ 49,5% du corps électoral – un taux de participation dans la lignée des autres votations de l’année.

La netteté du résultat contraste avec le suspense qui a prévalu pendant la campagne.

Dans le dernier sondage SSR, publié deux semaines avant la votation, une petite majorité des personnes sondées (51%) se disaient encore favorables à la suppression de la valeur locative.

Mais au vu de la progression du non (-7 points d’opinions favorables par rapport au mois d’août), gfs.bern se disait dans l’impossibilité de dégager une tendance, et soulignait que la mobilisation en fin de campagne serait déterminante.

Un impôt décrié depuis longtemps 

Remontant à la Première Guerre mondiale, l’imposition de la valeur locative était controversée depuis plusieurs décennies.

Cet impôt sur un «revenu en nature» avait déjà fait l’objet de plusieurs tentatives infructueuses de suppression ou d’allègement en 1999, 2004 et la dernière fois en 2012. Le sujet n’avait toutefois jamais vraiment quitté l’ordre du jour au Parlement.  

Sept ans de débats ont été nécessaires pour aboutir, en décembre 2024, à un nouveau projet de loi recueillant le soutien du Conseil fédéral et des Chambres.

Pour les autorités, la réforme «équilibrée» qui a été adoptée ce dimanche simplifiera le système fiscal et réduira l’incitation à l’endettement.

Actuellement, les propriétaires ne sont en effet pas encouragés à rembourser leur hypothèque, puisque la quasi-totalité des intérêts de la dette sont déductibles. 

Une thématique qui clive la Suisse 

Malgré la clarté du résultat de dimanche, l’électorat helvétique est loin d’être unanime sur la valeur locative. Durant la campagne, le sujet a mis en lumière des lignes de fracture nombreuses et profondes.  

Le principal clivage opposait les locataires, qui étaient massivement contre la réforme, et les propriétaires, qui lui étaient plutôt favorables. La première catégorie semble s’être moins mobilisée que la seconde.

En corollaire, le fossé entre villes et campagnes s’est révélé particulièrement criant: la population urbaine (majoritairement constituée de locataires) rejetait majoritairement le projet, tandis que les habitants de zones rurales et d’agglomérations le soutenaient. 

Désignés comme les grands gagnants du nouveau système proposé, tous les propriétaires n’en bénéficieront pourtant pas de la même façon: les propriétaires de logements récents nécessitant peu d’entretien, ou les personnes – principalement des seniors – ayant amorti leur hypothèque, en profiteront clairement.

Les propriétaires de biens anciens à rénover feraient en revanche plutôt partie des perdants, les propriétaires de résidences secondaires probablement aussi. 

Un pur exemple de «Röstigraben»

Un authentique «Röstigraben» s’est observé sur cet objet. Tous les cantons romands ont refusé le projet, pour la plupart à plus de 60%, tandis qu’outre-Sarine, tous l’ont accepté.

Le conseiller aux Etats PLR Pascal Broulis, qui s’opposait à la réforme (contrairement à la position officielle de son parti), voit dans ce clivage le résultat d’une taxation excessive de la valeur locative pratiquée par les cantons alémaniques.

Selon le sénateur, ces derniers ont péché par «excès fiscal», alors que les cantons romands ont toujours été «parcimonieux» sur la valeur locative, a-t-il analysé dimanche sur le plateau de la RTS.

Durant la campagne, les autorités des cantons latins et de montagne s’étaient prononcées en faveur du «non». Ils avaient rappelé que la fin de la valeur locative impliquerait d’importantes pertes fiscales (estimées au total à 1,8 milliard de francs par an) dont ils assumeraient les deux tiers – le tiers restant revenant à la Confédération.

Les cantons alpins et touristiques, à l’instar du Tessin et des Grisons, avaient fait valoir qu’ils seraient disproportionnellement touchés, puisque le manque à gagner lié aux résidences principales s’ajouterait à celui des résidences secondaires. Et pourtant, une large majorité de la population de ces cantons a voté pour le changement de système. Le Valais est le seul canton de montagne à s’être opposé à la réforme.

>> Lire notre article résumant les principaux clivages sur la valeur locative:

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Cadeau ou fin d’une anomalie fiscale?

Sur le plan politique, un clivage classique gauche-droite s’est exprimé sur cette question. Le Parti socialiste, les Vert-e-s et les syndicats s’opposaient à la réforme, arguant que le projet privilégierait de manière unilatérale les propriétaires immobiliers à revenus élevés. 

Déplorant le résultat du vote, la présidente des Vert-e-s suisses Lisa Mazzone a aussi dit à la RTS craindre que la disparition de la valeur locative ne nuise à la protection du climat, en réduisant les incitations pour les rénovations énergétiques.

À l’opposé, le soutien au changement de système augmente au fur et à mesure qu’on se déplace vers la droite de l’échiquier politique: Centre, PLR (droite libérale) et UDC (droite conservatrice) – à l’exception d’une partie des membres romands du PLR et du Centre. Les sympathisants de l’UDC y étaient les plus favorables.  

L’argument selon lequel il est injuste de payer un impôt sur un revenu «fictif» a particulièrement fait mouche dans l’électorat bourgeois.

«Mini-révolution» fiscale

«La valeur locative imposait un revenu inexistant», a rappelé le conseiller aux Etats du Centre Pirmin Bischof à l’agence Keystone-ATS. Son parti se réjouit de la suppression de cet impôt «unique en Europe» et qui n’a «rien à voir avec la fiscalité», a-t-il ajouté.  

L’Association des propriétaires fonciers (HEV) s’est également félicitée de la fin de cet «impôt fictif injuste»: «Le peuple a envoyé un signal fort pour plus de justice fiscale, plus de responsabilité individuelle et plus d’encouragement pour le logement privé», selon la HEV.

Au diapason, le conseiller national UDC Manfred Bühler parle même d’une «mini-révolution» fiscale.

Un budget record pour abolir la valeur locative 

Les partisans de la suppression de la valeur locative avaient annoncé au Contrôle fédéral des FinancesLien externe un budget de campagne d’un peu plus de 7 millions de francs. 

Il s’agit d’un montant record depuis l’introduction des règles de la transparence du financement de la vie politique, qui se sont appliquées pour la première fois à une votation en mars 2024. Ces règles prévoient que les campagnes dont le budget dépasse 50’000 francs et les donations de plus de 15’000 francs doivent être déclarées nommément. 

Le précédent record s’élevait à 5,2 millions de francs, dépensés par les partisans de l’élargissement des autoroutes, soumis en votation le 24 novembre 2024.  

Le camp des adversaires de l’abolition de la valeur locative avait quant à lui budgétisé près de 460’000 francs, soit quinze fois moins. 

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg 

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