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L’Europe doit retrouver son leadership universitaire

Keystone

Le président de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne révèle pourquoi son école développe des projets avec toutes les institutions qui comptent et pourquoi il crée un campus offshore aux Emirats arabes unis. Interview de Patrick Aebischer publié par Bilan.

En quelques jours, Patrick Aebischer est apparu comme panéliste à Davos, orateur à l’école de management IMD et signant un accord pour développer un campus aux Emirats arabes unis. Une suractivité qui le caractérise bien: le président de l’EPFL a mis les projets de partenariats au cœur de son action.

Vous avez l’ambition de faire de l’EPFL une marque. Expliquez-nous votre vision.

Patrick Aebischer: Certaines universités sont déjà des marques quand vous parlez du MIT, de Stanford ou de Harvard, par exemple. L’avantage des marques prestigieuses, c’est qu’elles attirent les meilleurs. Et l’université, c’est un rassemblement de cerveaux et meilleurs ils sont, meilleur sera l’établissement.

Et vous souhaitez toujours remplacer le nom de l’EPFL par Swisstech?

P.A. : Oui, car personne ne peut prononcer EPFL à l’étranger. Swiss, c’est une marque. Mon rêve serait d’avoir deux labels, Swisstech Zurich et Swisstech Lausanne.

Pour ne pas créer de jaloux?

P.A. : Nous avons deux grandes écoles technologiques en Suisse, c’est remarquable pour un pays de cette taille. Aujourd’hui, il ne faut pas avoir une fusion, mais un label commun. Les deux réunies sous un seul label figureraient sûrement dans les dix meilleures institutions du monde.

Bilan: La fusion des deux EPF serait complètement irréaliste?

P.A. : Difficile: il y a deux cultures et une distance. De facto, nous avons un organe commun, c’est le conseil des écoles polytechniques. L’important, c’est le brand.

Pourquoi créer un campus hors les murs à Ras Al Khaimah?

P.A. : Jusqu’ici, les unis servaient des marchés nationaux. Avec la globalisation, elles doivent travailler bien au-delà de leurs frontières. Il faut donc développer des campus offshore.

Au-delà du gain de notoriété de l’institution dans d’autres endroits du monde, cela permet de pratiquer d’autres types de recherche: l’énergie solaire, la désalinisation, la construction dans des conditions extrêmes seront plus faciles là-bas. Et puis, l’idée consiste aussi à développer un parc scientifique qui attire des entreprises, notamment des suisses.

C’est aussi une opération d’image à bon prix pour l’EPFL…

P.A. : Soyons clairs: cela ne nous coûtera rien. La Confédération n’aura pas un franc à débourser. Seuls les Emirats financent le projet, ce sont donc des moyens supplémentaires pour l’EPFL.

Les PME sont-elles importantes pour vous?

P.A. : Il y a encore quinze ans, deux tiers de nos étudiants trouvaient du travail dans les grandes entreprises. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Du coup, la formation de nos étudiants doit être plus diversifiée, car leur employeur va leur demander des compétences bien plus larges.

Pourquoi?

P.A. : Les PME sont les grandes créatrices d’emplois. Il y a une évolution du tissu industriel qui devient de plus en plus lié à la haute technologie. Et ces PME s’avèrent très demandeuses de polytechniciens.

Faut-il former les étudiants aux affaires?

P.A. : Oui, c’est important, le management de projets notamment et toutes les compétences sociales dont les langues. La moitié de nos diplômés vont travailler plusieurs années à l’étranger. Et une partie de ceux qui sont partis vont revenir. On crée ainsi ce capital humain dont la région a besoin pour son avenir économique.

Il n’y a pas une institution dans la région avec laquelle vous n’avez pas un projet…

P.A. : Mais j’en suis ravi! Mon diagnostic, c’est qu’il faut mettre les gens en synergie. Rien que dans la région lausannoise, vous avez cinq ou six institutions de niveau mondial. Prenez l’ECAL, l’IMD, le CHUV, l’UNIL… Toutes ne travaillaient pas assez ensemble. Mon ambition en arrivant était d’avoir un projet avec chacune d’entre elles, car l’interdisciplinarité est fondamentale.

Quel est l’équilibre idéal entre financement privé et public pour l’EPFL?

P.A. : Il y a un moment où il faut faire très attention. Très difficile à dire quand. Nous sommes aujourd’hui à 30% de fonds privés dans notre budget de 700 millions de francs, dont 480 millions qui proviennent de la Confédération.

Nous avons des sponsors industriels et des mécènes. Même avec ces derniers, il faut fixer des limites. Si une personne fortunée vous donne de l’argent pour créer 15 labos dans un domaine, il ne donnera qu’une contribution, car ces installations coûtent très cher. En acceptant tous les dons, nous changerions la stratégie de l’institution. La direction de l’école doit définir la ligne et accepter ou chercher les mécènes dans les domaines qui l’intéressent.

Il y a des secteurs économiques dont vous n’accepteriez pas les dons?

P.A. : Oui bien sûr. Les gens qui donnent sont et doivent être des partenaires. Une bonne partie d’entre eux fait partie de notre conseil stratégique, ce sont des personnalités que je peux solliciter tous les jours pour qu’ils me conseillent. Et lorsque Ernesto Bertarelli sponsorise deux chaires, la semaine suivant l’annonce, l’argent est sur notre compte.

Quelle est la limite aux fonds privés?

P.A. : Si on fait l’analogie avec le monde de l’entreprise, l’Etat doit rester l’actionnaire principal et fournir plus de 50% du budget, nous avons donc de la marge.

Le risque en levant des fonds privés, c’est que l’Etat baisse sa contribution, non?

P.A. : Ce serait catastrophique. Je dis toujours aux politiciens que la solution idéale serait qu’à chaque fois que nous levons un million, la Confédération en rajoute un autre. C’est le matching fund: un partenariat vertueux de rêve pour moi. Le politique doit comprendre que c’est dans des moments de crise qu’il faut investir prioritairement dans la formation et la recherche.

Comment gérez-vous les dons?

P.A. : Nous avons créé une fondation – EPFL Plus – et nous sommes très prudents avec une gestion de l’argent conservatrice.

Sur le PSE, il y a une centaine de start-up, certaines ont-elles vraiment émergé?

P.A. : Chez nous, plus de 80% des sociétés qui incubent existent toujours au bout de cinq ans. Un bon résultat, mais en même temps nous aimerions les voir croître un peu plus.

C’est-à-dire?

P.A. : Aux Etats-Unis, il est très facile de citer des start-up qui ont réussi: Microsoft, Apple, Google, etc. En Europe, c’est beaucoup plus difficile à cause de la fragmentation du marché face aux 300 millions d’Américains qui parlent en plus la même langue.

Par rapport à leur taille, EPFL et EPFZ créent autant de start-up que le MIT ou Stanford. Mais nous n’en avons pas encore une qui fait exploser les compteurs. Mon rêve serait d’avoir un Google qui se crée à l’EPFL.

C’est une question d’individus?

P.A. : Et de loi des séries. Cela va arriver. Prenez l’exemple de la Finlande, Nokia a transformé le pays.

Bill Gates et Steve Jobs ont créé leur entreprise avant d’avoir terminé leurs études: vous y pensez?

P.A. : Je me pose toujours la question de savoir si nous ne sommes pas en train d’éliminer par notre système de sélection un Steve ou un Bill. Le curriculum polytechnique est redoutable avec les maths, la physique, etc.!

Steve Jobs avait décidé d’arrêter ses études pour créer Apple. Et à ce moment-là ce ne sont pas ses heures d’électronique qui l’ont aidé à créer sa boîte, mais ses souvenirs de cours de calligraphie chinoise qui lui ont permis de créer ses fontes dans son Mac.

Et comment prévoir cela?

P.A. : J’aimerais être sûr que nous avons à l’EPFL l’atmosphère qui permet aux étudiants d’être plus indépendants. En Europe, nous avons trop tendance à mettre les gens dans des rails. ll faut un peu de chaos dans les systèmes, ceux qui sont les plus ordonnés n’ont pas forcément les meilleures chances de survie.

Que faut-il apprendre aux plus jeunes avant qu’ils n’arrivent à l’EPFL?

P.A. : Les connaissances ont explosé, pas facile de faire le tri. Pour moi, il faut d’abord bien maîtriser sa langue maternelle, savoir une ou deux langues étrangères dont l’anglais, connaître l’histoire sinon on ne sait pas qui on est, les mathématiques car rien n’est possible sans.

Et puis je mettrai encore un peu de philosophie car à la fin c’est ce que vous retenez au moment d’essayer de répondre aux grandes questions.

Les choses s’améliorent dans l’enseignement secondaire en Suisse romande?

P.A. : Les Valaisans sont au-delà de 60% de taux de réussite pour l’admission à l’EPFL, idem avec Fribourg, ces deux cantons ayant été plus conservateurs dans leur enseignement qui vise à assurer des bases solides.

Solliciterez-vous un quatrième mandat à la tête de l’EPFL?

P.A. : Un pas après l’autre. Je me poserai la question en temps voulu en 2012 et on peut aussi imaginer qu’une école a besoin de sang frais.

Vous êtes en ligne avec les objectifs que vous vous étiez fixés à ce poste?

P.A. : Nous avons fait des choses avec mon équipe comme nos prédécesseurs. Mais il faut aller plus loin. Impossible de se confiner à la Suisse. Mon obsession, c’est l’Europe: elle a énormément apporté à la société et à la technologie. Et je suis un peu triste que l’Europe qui a inventé le concept universitaire l’ait un peu perdu de vue.

J’ai une grande admiration pour nos collègues américains, mais en même temps je suis frustré. J’aimerais voir se développer une grande politique universitaire européenne avec quelques grandes institutions qui seraient les pendantes des grandes unis. Afin que l’Europe ait toujours son mot à dire dans les décennies à venir.

Francesca Argiroffo (Radio Suisse Romande) et Stéphane Benoit-Godet (Bilan)

1954: Naissance à Fribourg où il suivra les cours du Collège Saint-Michel avec Daniel Vasella.

1980: Formation en médecine puis trois ans plus tard en neurosciences aux Universités de Genève et de Fribourg.

1984: Plusieurs positions à la Brown University, à Providence, aux Etats-Unis, jusqu’en 1992.

1992: Nommé professeur de thérapie génique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne.

1995: Professeur au département des matériaux de l’EPFL.

1999: Nommé président de l’EPFL, il prend ses fonctions en mars
2000.

2008: Création d’Amazentis, la troisième start-up à laquelle participe Patrick Aebischer.

2009: Création du campus de l’EPFL à Ras Al Khaimah, dans les Emirats arabes unis.

Si le succès d’une école se mesurait à la croissance de ses étudiants, l’EPFL décrocherait la palme alors que les grands instituts de technologies en Occident voient leurs effectifs reculer.

Les grands projets ont été le moteur de l’EPFL, sous l’ère Aebischer. Que ce soit la construction du Learning Center en passant par la collaboration avec d’autres institutions (écoles mais aussi entreprises comme Nokia), l’EPFL est toujours en synergie.

La visibilité fait partie de la recette du succès car la science doit aussi être populaire et spectaculaire. Alinghi, Solar Impulse mais aussi le Swisscube, premier satellite suisse lancé par une fusée européenne le mois prochain, sont made in EPFL.

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